La critique de : Angry Indian Goddesses (★★★★★) #PIC2017

vendredi 27 janvier 2017
critique film ffast festival paris cat sticks Lors de la première table ronde qui a introduit la seconde journée du Paris Images Cinema - l'industrie du rêve, Pan Nalin déclarait : « je ne suis pas un réalisateur d'auteur. Je tombe avant tout amoureux d'une histoire. » Chez Bolly&Co, nous avons eu l'opportunité et le privilège de nous entretenir avec le cinéaste antérieurement à la projection de Déesses Indiennes en Colère. Le métrage nous a donc été présenté comme un 'film de potes' au féminin, sorte de pendant girly de Zindagi Na Milegi Dobara et Dil Chahta Hai. Pourtant, les critiques français le présentent comme une chronique féministe sur ces indiennes modernes qui évoquent, à l'occasion du mariage de l'une d'elles, les difficultés auxquelles elles sont chacune confrontées dans la société indienne. Au sortir du visionnage, nous étions en larmes, et Pan Nalin a reçu les acclamations du public présent et une standing ovation bien méritée.

La salle était d'ailleurs pleine à craquer, à tel point que des spectateurs malheureux, arrivés trop tard, ont dû être conduits vers la sortie.



Déesses Indiennes en Colère, c'est le genre de films dont je me disais qu'il était fait uniquement pour plaire aux occidentaux, qui semblent se complaire dans ces métrages féministes qui dénoncent les mentalités rétrogrades de pays émergents. Je suis toujours un peu sceptique face à ces productions dénonciatrices, mais qui ne semblent pas s'adresser aux principales concernées : les indiennes. Plus tôt dans l'année était sorti en France La Saison des Femmes, qui mettait en lumière le quotidien d'indiennes dans un village reculé du Gujarat au fonctionnement phallocrate. J'admets que j'apprécie ces histoires à petite dose, quelque peu refroidie par l'image réductrice de l'indienne rurale limitée, même en terme de compétences, par l'homme.

Déesses Indiennes en Colère prend un parti complètement différent, et beaucoup plus intelligent à bien des égards. Car toutes les héroïnes sont des femmes instruites, pour la plupart accomplies professionnellement et qui assument leur sexualité. On évite bien heureusement le cliché de la fille débridée et dépourvue de valeurs, Pan Nalin mettant d'ailleurs habilement en avant la facilité avec laquelle les hommes se laissent aller aux jugements de valeur sur la base d'un mini-short, d'une situation ou d'une orientation sexuelle. Lors de notre échange avec lui, le cinéaste expliquait avoir le sentiment de comprendre enfin les femmes depuis qu'il a mené à bien le projet Déesses Indiennes en Colère. Il déclarait surtout avoir pris conscience du machisme ordinaire qui s'est inscrit dans la société indienne, où les hommes sont toujours priorisés. « Quand ma mère préparait les 'roti', j'avais ceux qui étaient chauds et ma sœur ceux qui étaient froids. » Au début du métrage, on plonge dans une ambiance très légère et positive. La chanson introductive « Kattey » sur les timbres de la chanteuse Bhanvari Devi et de la rappeuse Hard Kaur nous embarque avec une force incroyable. En ce qui me concerne, j'ai été saisie dès les premières minutes non seulement par le propos du film, mais encore plus par sa fabrication. Le rythme est soutenu sans être effréné, le cinéaste ayant eu des soucis de créer un espace autour des protagonistes, avec un soin du détail qui se révèle durant l'épilogue.

Il a également missionné 7 actrices de talent, aussi différentes les unes des autres.

J'ai le souvenir d'avoir découvert Sarah-Jane Dias en 2011 dans Game, un suspense intéressant mais commercial avec Abhishek Bachchan, Kangana Ranaut et Shahana Goswami. Ancienne reine de beauté, elle fait un virage à 180° en jeune artiste qui annonce son soudain mariage à ses amies. J'ai eu également l'occasion de voir Rajshri Deshpande précédemment dans le métrage malayalam Haram, qui portait également en lui un message féministe. Amrit Maghera est une ancienne danseuse et mannequin, qui a notamment travaillé dans un film punjabi (Goreyan Nu Daffa Karo) ainsi que dans la série anglaise Hollyaks.

Anushka Manchanda est une chanteuse pop reconnue en Inde, qui a également participé à de nombreux programmes télévisés. Pavleen Gujral est une ancienne avocate devenue actrice de théâtre et mannequin. Tannishtha Chatterjee et Sandhya Mridul sont quant à elles des habituées d’œuvres indiennes avant-gardistes et 'parallèles'. Les 7 comédiennes vivent leurs personnages et les incarnent avec un naturel désarmant. Une grande place a été laissée à l'improvisation par le réalisateur, qui était soucieux que les actrices s'approprient leurs scènes et puissent se projeter à la place des personnages qu'elles interprètent.

Déesses Indiennes en Colère passe alors de la comédie dramatique réflexive au thriller contestataire. Le revirement d'atmosphère est radical, plongeant le spectateur dans une chute des plus vertigineuses émotionnellement parlant. Le choc est tel que l'on s'attache à chacune des héroïnes avec une facilité déconcertante. On pourrait tout à fait être ami(e) avec Frieda, la photographe rebelle mais aussi avec Joanna, l'apprentie actrice ou avec Mad, la chanteuse écorchée vive. L'événement qui vient bousculer cette bande de filles libérées met surtout en lumière le fait que la condition féminine soit préoccupante dans toutes les couches sociales de l'Inde, que l'on vienne du désert du Rajasthan ou que l'on soit gérante d'une société à Mumbaï.

Mais j'ai pleuré bien avant. Parce que le métrage possède en son sein une sensibilité à fleur de peau. Ce métrage sur ces femmes fortes que rien ne semble arrêter en surface met aussi en avant leurs failles et leurs profondes blessures, l'émotion est donc palpable bien avant le coup de théâtre qui vient bouleverser nos héroïnes. Pan Nalin a réalisé à mes yeux un véritable coup de génie avec ce métrage, empli d'humanité et d'humilité, puisqu'on sent que le réalisateur a laissé la part belle à ses vedettes féminines. Juste après la projection d'hier soir et les applaudissements continus de l'audience y ayant assisté, le cinéaste a proposé que des questions lui soient posées. Mais le film se suffit à lui-même. Tout ce que le public a été en mesure d'exprimer, c'était de la gratitude.

Alors merci Monsieur Nalin, et merci au Paris Images Cinema - Industrie du rêve de nous avoir non seulement permis de nous entretenir avec un artiste aussi brillant, mais surtout de découvrir cette pépite du cinéma indien. C'était un merveilleux moment de partage mais aussi d'introspection, comme si le métrage était allé bien au-delà de sa fonction divertissante, nous amenant à prendre conscience d'une réalité dont nous semblons éloignés en France, mais qui dépasse largement la situation des indiennes.

Déesses Indiennes en Colère est un bijou à la portée universelle.

Merci encore, et bravo.
LA NOTE: 5/5
★★★★★
mots par
Asmae Benmansour
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"Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même."