Meena Kumari, la tragédienne

vendredi 30 mars 2018
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La vie de Meena Kumari ressemble à une tragédie bollywoodienne,rythmée de musique, de gloire et de déchéance.

Dès sa naissance en 1932, la vie de la jeune Mahjabeen Bano ne débute pas sous les meilleurs auspices. Incapable de subvenir à ses besoins, son père Ali Baksh l'abandonne sur le seuil d'un orphelinat musulman, pour ensuite revenir la chercher quelques heures plus tard. Acteur de théâtre et chanteur, il impose à Meena de travailler au cinéma dès son plus jeune âge alors qu'elle préférerait aller à l'école et étudier, comme les autres enfants. A 7 ans, c'est elle qui fait vivre ses parents et ses grandes soeurs Khursheed et Madhu en jouant les 'child artist' dans de grosses productions hindi.

Son premier film notamment, Farzand-E-Watan sorti en 1939, a rencontré un franc succès.

Elle fait ses débuts d'actrice principale dans des œuvres mythologiques telles que Veer Ghatotkach en 1949 ou Shri Ganesh Mahima en 1950, ainsi que dans des contes fantastiques de l'époque comme Alladin and The Wonderful Lamp, sorti en 1952. Elle devient populaire en 1952 en incarnant Gauri dans Baiju Bawra. En jeune femme rejetant les avances de l'homme qu'elle aime et qui s'aliène afin de lui permettre d'emplir sa musique d'intensité et de pertinence, elle excelle. Elle devient la première actrice de l'histoire à remporter le Filmfare Award de la Meilleure Actrice, en 1953.

Ses rôles les plus célèbres sont par ailleurs assez semblables : elle est l'héroïne dramatique par excellence, mélancolique et onirique. En témoigne les 'hits' au box-office Parineeta en 1953Daera en 1956Sharda en 1957 et Dil Apna Aur Preet Parayi en 1960. Tout en cultivant son image de grande tragédienne, elle apparaît dans des œuvres plus légères dans la veine de Azaad en 1955Miss Mary en 1957 et Shararat en 1959.

Un de ses rôles les plus populaires est sans aucun doute celui qu'elle a incarné dans Sahib Bibi Aur Ghulam, sorti en 1962 et produit par Guru Dutt. Meena Kumari y campe Chhoti Bahu, une jeune mariée alcoolique. Le long-métrage est devenu un large succès d'estime, ainsi qu'un véritable carton public. Selon la critique, ce plébiscite est largement dû à la performance de Meena, considérée comme l'une des plus marquantes de l'histoire du cinéma indien. Sa prestation est d'autant plus mémorable qu'elle accuse de nombreuses similitudes avec sa propre vie. En effet, la comédienne, qui vivait une relation tumultueuse avec le cinéaste Kamal Amrohi, se met à boire et devient presque inapte à tourner ses scènes correctement. Elle marquera l'histoire de Bollywood et des Filmfare Awards en étant la seule nominée de l'année 1963 dans la catégorie de la Meilleure Actrice pour trois de ses films : Aarti, Main Chup Rahungi et bien sûr Sahib Bibi Aur Ghulam, pour lequel elle raflera le prix d'interprétation féminine.

Après 4 années fructueuses en tournages avec les sorties de Dil Ek Mandir en 1963Phool Aur Patthar en 1966 et Kaajal en 1965, qui lui vaudra son 4ème et ultime Filmfare Award de la Meilleure Performance Féminine, elle devient de plus en plus dépendante à l'alcool suite à son divorce d'avec le réalisateur Kamal Amrohi, prononcé en 1964. Elle noie sa sombre tristesse dans la liqueur et plonge dans une profonde dépression, tout en tentant d'oublier son désarroi dans les bras d'hommes plus jeunes qu'elle. Parmi ses jeunes amants, on peut notamment citer Dharmendra. De surcroit, ses sorties suivantes, Chandan Ka Palna et Majhli Didi, ne rencontreront pas le succès escompté.

Evidemment, l'alcoolisme a ébranlé sa santé et en 1968, Meena est entre la vie et la mort.

Elle se réfugie à Londres puis en Suisse afin de s'y faire soigner. Puis, de retour en Inde, elle se rapproche de sa soeur Madhu, avec laquelle elle n'avait pas eu de contact depuis plus de deux ans. Du fait de sa maladie, elle perd de vue les beaux rôles qu'on lui proposait et devient une actrice de genre, comme dans Jawab en 1970 ou Dushmun en 1972. Elle développe une grande affection pour Gulzar, avec lequel elle travaillera dans son premier film en tant que réalisateur Mere Apne, en 1971. Meena y est brillante en jeune meurtrie, tentant d'éradiquer la violence ambiante des quartiers malfamés de Bombay.

Elle a commencé le tournage de Pakeezah en 1964, film réalisé par son ex-époux Kamal Amrohi, mais qui restera inachevé jusqu'à ce que le couple Nargis et Sunil Dutt eut visionné les brides de séquences du long-métrage en question. Ils convaincront par la suite Kamal de reprendre le projet en main. C'est donc en 1969 que Pakeezah se poursuit, pour finalement sortir en 1972, 14 ans après l'annonce du film. Gravement souffrante, Meena Kumari luttera afin d'achever le métrage, et ce alors que son mal ne fait que s’accroître. Son état de santé se détériore avec le temps, certaines scènes de danse deviennent très éprouvantes à tourner pour Meena, mais elle s'accroche et accorde une attention toute particulière au long-métrage, comme si elle avait déjà l'intuition que ce serait le dernier.

Au moment de sa sortie, le film rencontrera un succès mitigé. Mais après le décès de Meena, à peine deux mois plus tard, le film devient très sollicité par l'audience, voulant redécouvrir la 'Tragedy Queen' dans son dernier grand rôle au cinéma.

En prostituée du quartier de Lucknow au coeur d'or, elle est divine. Et Pakeezah deviendra du même coup un classique du cinéma de Bollywood. Elle recevra une nomination dans la catégorie de la Meilleure Actrice lors des Filmfare Awards en 1973, à titre posthume. Trois semaines après la sortie de Pakeezah, elle est dans un état critique et meurt dans d'atroces souffrances en mars 1972, des suites d'une cirrhose. Malgré le succès, ses finances étaient au plus mal, et elle finira ses jours dans une maison de repos, n'ayant pas les moyens de payer des soins hospitaliers.

En 1952, sur le tournage d'un de ses films, elle rencontre le cinéaste Kamal Marohi et en tombe éperdument amoureuse, alors qu'il est de 15 ans son ainé et est déjà marié et père de famille. Ils se marieront en 1953, et produiront la même année Daera, basé sur leur histoire d'amour. Kamal Amrohi ne voudra pas d'enfant de Meena, étant déjà père de Tajdaar, issu de sa précédente union. Tous deux dotés de fortes personnalités, ils développent de nombreux conflits aussi bien professionnels que personnels. Ils se séparent en 1960 pour divorcer en 1964. Cet échec sentimental affectera Meena Kumari au plus haut point, et leur réconciliation n'y fera rien : Meena Kumari est devenue alcoolique.

C'était inévitable, c'est devenu irrémédiable. Grande poétesse, Meena Kumari écrivait afin d'exprimer ses sentiments et ses états d'âme, et a beaucoup écrit pour Kamal. Tout d'abord très éprise, elle devient dépressive et désillusionnée, comme si elle avait perdu foi en la vie et en l'amour. En effet, elle écrivait au sujet de Kamal Amrohi :

Dil saa jab saathi paya
Bechaini bhi woh saath le aaya
Quand j'ai trouvé une personne comme lui dans mon coeur,
Il a aussi apporté le chagrin avec lui.

La tristesse ambiante de ses écrits est d'ailleurs poignante :

Tum kya karoge sunkar mujhse meri kahani
Belutf zindagi ke kisse hain pheeke pheeke
Pourquoi veux-tu écouter mon histoire,
Contes sans couleurs d'une vie sans joie ?


Au moment de leur divorce, elle écrivait :

Talaak to de rahe ho Nazar-e-kahar ke saath
Jawani bhi mere lauta do Mehar ke saath
Tu divorces, la rage aux yeux,
Renvoie-moi aussi ma jeunesse avec ma pension alimentaire.


Entre amour et haine pour le cinéma, elle se détruira pour l'amour d'un homme.

Telle une Devdas au féminin, elle tentera de panser ses douleurs par la boisson. Tragédienne à l'écran comme dans la vie, Meena Kumari est et restera la reine du cinéma dramatique de l'Âge d'Or de Bollywood. Sa carrière, aussi prospère fut-elle, ne l'aura pas sauvegardé de l'enfer qu'elle a vécu après son divorce. Sentimentale entière, elle ne survivra finalement pas à son mari, auquel elle vouera autant de passion que de ressentiment. Il sera surtout sa plus grande source d'inspiration, car c'est en lui qu'elle aura puisé ses plus belles lignes.

Actrice reconnue, danseuse accomplie, beauté de madone et poétesse sensible, Meena Kumari a marqué toute une industrie de la marque indélébile de son talent, la pérennité de ses oeuvres devenues incontournables
en témoigne.
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?