Bajirao Mastani, l'histoire vraie.

lundi 2 juillet 2018
la vraie histoire de bajirao mastani — Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 80.

Ce que vous êtes sur le point de lire risque de changer la vision du film de Sanjay Leela Bhansali. Vous devriez également esquiver cet article si vous n'avez pas encore vu le film car il risque de contenir plusieurs spoilers. Avant de dépister le mythe autour de ce succès commercial, commençons d'abord par en rappeler l'histoire. L'histoire fictive, la vision de son créateur...

Le film :



Lors d'une mission militaire, un messager de Bundelkhand s'introduit de force dans la tente du Peshwa Bajirao (Ranveer Singh) pour lui demander de l'aide dans sa lutte contre leur ennemi Moghol. Ce messager obstiné se trouve être Mastani (Deepika Padukone), princesse Rajput, fille du Raja Chhatrasal et de sa concubine musulmane Ruhaani Bai. Les talents de persuasion de Mastani payent et Bajirao accepte de lui offrir son aide. Pour le remercier, le Raja insiste pour que Bajirao passe la fête de Holi avec eux, pour profiter de l'hospitalité de la communauté Rajput. Durant le court séjour du Peshwa, Mastani réalise qu'elle est folle amoureuse de lui, et décide de le suivre jusqu'à sa capitale, Pune, parce qu'elle estime être mariée à Bajirao. En effet, avant le départ de ce dernier, il lui offre sa dague comme remerciement pour lui avoir sauvé la vie, sans se douter que ce geste est synonyme de mariage chez les Rajputs.

A Pune, Bajirao est accueilli par sa femme Kashi (Priyanka Chopra). Peu de temps plus tard, Mastani fait son entrée dans la capitale où elle est traitée sévèrement par Radha Bai, mère de Bajirao. Pour la dissuader des plans de la belle pour conquérir son fils, Radha Bai la loge avec les courtisanes. En dépit du bon sens, Mastani accepte cette offre qui est pourtant une insulte pour son statut royal et danse devant Bajirao à l'occasion d'une fête. Radha décide de pousser la rudesse de son traitement plus loin en offrant à Mastani le poste de danseuse royale, dans le but de l'éloigner plus encore de son fils Bajirao.

Quand la princesse est invitée à danser devant le roi, elle se présente avant de refuser de danser, tout en expliquant à sa majesté, ainsi qu'à toutes les personnes présentes, la raison de sa venue ici : l'amour qu'elle partage avec Bajirao et son envie d'être unie à lui. Le Peshwa la suit jusqu'au palais en ruine où Mastani réside depuis quelques jours pour lui demander des explications sur son comportement : la tradition des Rajputs étant inconnue pour lui, Mastani n'avait même pas pris la peine de partager cette information avec lui. Finalement, il avoue partager les mêmes sentiments pour elle (non, sans blague !) et lui rappelle que vu son statut d'homme marié ainsi que sa religion, son entourage risque de ne jamais accepter Mastani comme l'une des leurs. Malgré cet avertissement, et parce que leur amour (de deux semaines, grand maximum !) est plus puissant que le reste du monde, Mastani accepte d'être sa femme.

Il est à noter que ce film représente au moins quinze années de travail sur ses détails, et a découlé de recherches intenses de la part de Sanjay et de son équipe.

Après la sortie de Hum Dil De Chuke Sanam en 1999, Bajirao Mastani devait être son prochain métrage. Cependant, prenant en considération la délicatesse du sujet (Bajirao I est une figure importante de l'histoire indienne), le réalisateur a décidé de prendre son temps pour bien cerner la vision qu'il voulait présenter à son public. Une année après l'autre, le projet semblait s'évaporer, avec un casting qui ne cessait de changer à tout bout de champ (de Shahrukh Khan à Salman Khan, en passant par Ajay Devgn et Hrithik Roshan pour le rôle masculin, de même pour les rôles féminins entre Rani Mukherjee, Kareena Kapoor Khan et Aishwarya Rai Bachchan).

Ce n'est finalement qu'en 2014 que le film commence enfin à prendre forme quand le réalisateur officialise son casting et décide de lancer le tournage. Ranveer Singh, Deepika Padukone et Priyanka Chopra étaient donc les chanceux choisis pour présenter au monde entier une histoire aussi épique, aussi importante et aussi précieuse que celle de Baji Rao, Bajirao I, le Peshwa (un équivalent de premier ministre à l'époque) du roi Shahuji Bhosle.

Hélas, l'histoire imaginée de Sanjay Leela Bhansali n'a rien d'épique, rien d'important, et rien de... réel.

En réalité, le film présente beaucoup trop d'incohérences avec la réalité des faits. A tel point qu'à la fin, il ne reste plus grand chose de véridique, en partant des exploits jusqu'au cœur même des personnages. Bajirao Mastani est un film monté de toutes pièces, ou presque, tout droit sorti de l'imagination de ses créateurs, bien qu'ils aient passé plus d'une décennie à se renseigner sur l'ère et ses figures historiques pour en faire une oeuvre avec un souci de respect de la véracité des événements. Quelque part, avec cette surenchère visuelle et cet angle romantique qui n'en est pas réellement un, bien au contraire, Sanjay semble s'être perdu et a finalement décidé de se focaliser sur ce qui a marché pour lui la première fois qu'il a fait un film avec Ranveer Singh et Deepika Padukone : leur attraction physique et leur beauté esthétique. Rien de plus.

La liste des choses qui ne fonctionnent pas dans l'histoire du film est interminable...

Je vais donc essayer de me limiter aux éléments les plus importants qui, à mes yeux, étaient primordiaux pour non seulement respecter un minimum la grandeur de ces figures historiques, mais aussi pour offrir une véritable expérience cinématographique avec une certaine profondeur. N'étant pas historienne, mais plutôt une passionnée qui aime lire sur le sujet, je vais surtout porter mon attention sur les personnes réelles qui se cachent derrière les personnages fictifs, plus que sur les incohérences historiques comme les guerres et leurs dates (je n'ai jamais été douée pour retenir les dates de toute façon...).

Durant la première partie du film, Mastani est présentée comme étant une cinglée ! Désolée, une romantique ! Parce qu'apparemment c'est ainsi qu'on définit le romantisme de nos jours : en quelques jours seulement, elle est séduite par le caractère et la personnalité de Bajirao (et par caractère et personnalité, comprenez : pectoraux...) et décide qu'il sera son grand amour pour toujours et qu'elle est prête à le suivre partout pour la simple raison qu'il lui a offert sa dague, symbole de mariage dans la culture de la princesse. Un détail dont elle omet de faire part à son cher et tendre qui rentre chez lui, auprès de son épouse, sans se douter de rien. Je ne sais pas pour vous mais selon moi, ceci n'a rien à voir avec de l'amour. C'est même ce qu'on pourrait décrire de nos jours comme du harcèlement.

Le film progresse pour montrer que Mastani n'était qu'une simple concubine qui n'a jamais réussi à atteindre le statut d'épouse légale et c'est là que les choses commencent à être tirées dans tous les sens, pour souligner le côté "amour impossible" de la relation entre Mastani et Bajirao.

Cependant, la réalité est loin de tout cela.

Car en fait, Mastani était légalement et aux yeux de tous la seconde épouse de Bajirao dès le départ. Il est vrai que la famille de son mari ne l'a jamais accepté et qu'elle n'a jamais été aussi bien traitée que Kashibai. Mais cela n'empêche qu'ils étaient bel et bien mariés. Cette union fut d'ailleurs proposée par le père de Mastani lui-même pour remercier le Peshwa de l'avoir aidé à vaincre Muhammad Khan Bangash (fun fact : Bajirao ne l'a pas tué, comme cela est mis en scène dans le film. En réalité, Muhammad a vécu jusqu'à 80 ans, et Bajirao est décédé bien avant lui), suite à quoi il a offert à Bajirao une mine de diamants ainsi que plusieurs villages en guise de dot pour sa fille. L'un des plus gros problèmes du film c'est qu'il n'a pas cessé de présenter Mastani comme étant victime d'intolérance religieuse, exclue de la vie de son mari et de ses activités. Il est vrai que selon certaines sources le fait qu'elle soit musulmane lui créa beaucoup de tensions. Ceci dit, la véritable haine qu'elle générait contre elle ne venait pas que de là...

Dans la version de Sanjay, Mastani ne fait rien de sa vie à part parler en poèmes, danser, courir dans tous les sens et attendre que son Bajirao vienne à elle parce qu'on lui a interdit de le voir... Faux !

L'une des principales raisons pour lesquels Mastani était détestée par les proches du Peshwa était son implication importante dans ses affaires ! Elle avait une influence redoutable sur lui, il lui arrivait même de partir avec lui durant ses missions militaires, selon les récits de certains historiens. Toutes ces choses ne faisaient pas d'elle une femme au foyer, forcée à rester isolée entre quatre murs mais une femme distinguée avec un caractère affirmé pour son époque.

Il y a également pas mal de choses que Sanjay Leela Bhansali a raté dans son esthétique ! C'est beau à voir, oui, mais c'est inapproprié pour l'époque qui sert de contexte à son histoire. La chanson "Pinga" et toutes les critiques négatives qu'elle a reçues sont un exemple : ce n'est parce que tu as Deepika Padukone et Priyanka Chopra dans un film que tu dois les faire nécessairement danser. Non seulement la danse choisie (le lavni) était inadaptée car c'était une danse que seules les danseuses avaient le droit d'exécuter. Mais il était également impossible pour des femmes du statut de Kashibai et de Mastani de danser en public. C'était même insultant. D'autant plus que Kashibai était atteinte d'arthrite depuis son plus jeune âge et ne pouvait donc pas danser, même si elle l'avait voulu.

Les choix de costumes ont également été remis en cause car à l'époque, les sarees et tenues portées par les femmes de statut couvraient l'intégralité de leur corps, et ne montraient même pas leurs ventres (au passage, parfaitement plats et dessinés). Cette critique fut également destinée à la chanson "Malhari" avec Ranveer Singh, parce que ce qui s'applique aux femmes s'applique également aux hommes quand il s'agit de danser en public et de se donner en spectacle.

Sa superficialité mise de côté, le coup de grâce ultime fut la fin de Bajirao Mastani. Dans un élan d'émotions et de torture, Bajirao rend son dernier souffle suite à de graves blessures, en même temps que Mastani rend le sien suite à son emprisonnement et à sa torture. Je ne sais pas ce que Sanjay a avec les histoires où l'un de ses personnages principaux meurt, ou les deux en même temps, mais encore une fois : FAUX !

Après le départ de Bajirao à la guerre, Mastani n'a jamais été emprisonnée ou torturée. Au court de sa vie, plusieurs personnes ont essayé de la tuer à cause de l'influence et du pouvoir qu'elle avait sur le Peshwa, en effet. Mais ce trait de caractère faisait justement d'elle une femme redoutable et difficile à abattre. De plus, Bajirao n'est pas mort lors d'une bataille, mais suite à une fièvre soudaine. Mastani est morte plusieurs jours plus tard, dans des circonstances à ce jour indéterminées.

Certains historiens optent pour un suicide, d'autres disent qu'elle est morte de chagrin, refusant de se nourrir jusqu'à en devenir trop faible. Mais tous affirment que la version transmise par Bajirao Mastani au grand public n'est qu'un gros coup de dramatisation qui ne touche en rien la réalité.

L'argument qui ressort souvent quand ce genre d'incohérences est relevé, peu importe le film en question, c'est l'idée suivante : le réalisateur, son scénariste, et tous ceux qui travaillent sur le projet ne font que s'inspirer des faits et prennent une vraie liberté artistique. C'est un point que je comprends, car il ne faut tout de même pas prendre tout ce qui est produit pour divertir les masses comme une vérité absolue. Mais la question qui se pose réellement est la suivante : si le but derrière chaque film historique basé sur des faits réels à Bollywood n'est en fait que de garder les noms de ses protagonistes, à quoi cela sert-il vraiment ? N'aurait-il pas été mieux pour Sanjay Leela Bhansali de créer une histoire quelconque sur un guerrier quelconque et une princesse quelconque, dans une période quelconque, sans avoir à déchirer l'histoire réelle de Bajirao et de Mastani au nom d'un médiocre divertissement ?

Pourquoi a-t-il investi des années et des années de travail, pour effectuer des recherches sur le sujet, affiner les détails, tout cela pour finalement proposer quelque chose qui n'a rien à voir avec l'histoire du grand guerrier et de sa reine guerrière ? Il aurait pu faire tellement plus simple en créant une histoire entièrement fictive car au final, la seule chose qu'il n'a pas inventé pour Bajirao Mastani, ce sont les noms de ses personnages ! Au lieu de cela, il a préféré créer un personnage féminin complètement décevant, alors que son inspiration est un symbole beaucoup plus puissant, ainsi qu'un personnage masculin fébrile qui ne fait que sauter dans le vide pour montrer oh combien Ranveer Singh a un joli physique, alors que Bajirao était plus connu pour son sens de la stratégie, et pas seulement pour ses qualités de guerrier.

En somme, Bajirao Mastani est une arnaque ambitieuse.

Esthétiquement, il est au même niveau que tous les autres films fournis par Sanjay : très soigné avec des décors magnifiques qui donnent même l'impression que tout ceci a été tourné dans un palace indien cinq étoiles. Dans le fond, il est également au même niveau que presque tous les autres films de Sanjay, à quelques exceptions près : vide de toute cohérence et de tout sens. Mais, chut, il ne faut pas le dire : c'est du divertissemet.

Et que Dieu nous garde des bons divertissements, avec de bonnes histoires et des bons éléments qui ne tournent pas autour du désir charnel d'un homme et d'une femme, pas vrai ?
mots par
Fatima Zahra El-Ahmar
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