La critique de : Lootera (★★★★★)

jeudi 6 juillet 2017
critique film lootera bollywood magazine
— Cet article a été publié dans le numéro 7 de Bolly&Co, page 135.

Début 2011, les cérémonies de récompense décernent des trophées à tout va pour les meilleurs artisans du cinéma hindi de l’année précédente. Dans la catégorie des Meilleurs Espoirs, deux noms reviennent incessamment en tant que lauréats : Ranveer Singh et Sonakshi Sinha. Le premier, cousin au second degré de l’actrice Sonam Kapoor, a débuté dans la romcom Band Baaja Baaraat produite par Yash Raj. La seconde, fille de l’acteur Shatrughan Sinha, jouait la chérie de Salman Khan dans le blockbuster Dabangg. Alors que l’industrie les brosse allègrement dans le sens du poil, un autre film est salué malgré un casting sans grosse tête : Udaan, réalisé par Vikramaditya Motwane. Il révélait au grand public l’excellent Rajat Barmecha, hélas évincé par le potentiel commercial du poulain Ranveer.

Pourtant, pendant les deux années qui suivent leurs débuts encensés, Ranveer Singh comme Sonakshi Sinha n’entreront pas dans la légende. Si l’un a été très peu productif avec un seul film (Ladies V/S Ricky Bahl) au succès mitigé, l’autre a enchaîné les œuvres avec des grandes vedettes (Akshay Kumar, Ajay Devgan, Salman Khan...) mais dans des rôles ineffables de cruche écervelée. Jolis minois sans grande consistance, on attendait mieux de ceux que le tout Bollywood s’est empressé de nommer comme les représentants de la nouvelle génération de l’industrie de Mumbaï. Mais dès novembre 2011, ils avaient signé Lootera, un drame réalisé par Vikramaditya Motwane, qui leur faisait confiance pour son second projet. On espère beaucoup de ce film qui s’annonce grandiose en terme d’écriture et de réalisation. Adapté librement de la nouvellede O. Henry The Last Leaf (traduisible par « La Dernière Feuille »), le long-métrage s’étendra sur deux ans de tournage et de montage, processus ralenti par la blessure au dos du téméraire Ranveer et l’emploi du temps surchargé de la ‘bankable’ Sonakshi. Le filmage sera d’ailleurs laborieux, d’importantes intempéries détruisent les décors et coûtent plus de 50 000 roupies à l’équipe de production. Les séquences enneigées seront donc tournées en plein été, grâce à un système de neige artificielle.

Produit par Ekta Kapoor et Anurag Kashyap, Lootera sort finalement en juillet 2013, où il ne trouvera pas son public. Pourquoi ? La bande-annonce avait pourtant de quoi effacer toutes nos inquiétudes : intense, grandiose et intelligente.

Pas assez commercial ? Trop élitiste ? Ou tout bonnement raté ? A force d’attendre, l’audience a finalement déserté ce film. A-t-elle eu raison ?



Dans le Bengale-Occidental de 1953, le zamindar de Manikpur (Barun Chanda) voit ses terres et ses biens s’effriter après l’indépendance. Sa fille, Pakhi Roy Chaudhary (Sonakshi Sinha) aspire à une carrière d’écrivain. Varun Shrivastav (Ranveer Singh) est archéologue et arrive à Manikpur pour effectuer des fouilles avec son collègue et ami Devdas (Vikrant Massey). Varun et Pakhi tombent inévitablement amoureux l’un de l’autre, mais le jeune homme tente comme il peut de refréner ses sentiments...

Inutile de vous en dire plus, ou Lootera perdrait tout son intérêt. Soyons clairs immédiatement : si vous aimez les films au rythme soutenu ponctués d’action et de dynamisme ; passez votre chemin, car Lootera n’est certainement pas pour vous. Il s’agit d’un drame à la cadence plus modérée, une œuvre posée qui ennuiera probablement les fans de masala puissants et blindés de testostérones. Mais pour les autres, prenez le temps de vous arrêter sur ce qui est le film le plus fin des filmographies de Ranveer comme de Sonakshi.

En premier lieu, la photographie de Mahendra J. Shetty est fine et réaliste ; au plus proche des héros.

Elle capte les peurs, les secrets et les violences des protagonistes avec beaucoup d’humanité. Parfois en plan fixe, parfois caméra à l’épaule ; l’image ne se contente pas d’être belle, d’être stimulante visuellement. Elle dégage de véritables émotions. Les ralentis sont exploités judicieusement, avec une dominante de couleurs froides, à la fois caractéristique du style des 1950’s et de la saison hivernale durant laquelle se déroulent les événements.

C’est ainsi que Lootera aurait allègrement pu être un film muet. Ses comédiens investissent leurs personnages avec conviction, aussi bien mentalement que physiquement. Les silences sont employés dans des temps forts du film, avec minutie et savoir-faire. De plus, Lootera s’inscrit dans sa période de contextualisation jusque dans les détails. Par exemple, dans la résidence du zamindar résonne « Tadbeer Se Bigdi Hui Taqbeer Bana Le » du succès de 1951 Baazi ; avec Dev Anand, Geeta Bali et Kalpana Kartik.

Si les tenues du casting sont aussi remarquables de finesse, c’est surtout la transformation des acteurs qui impressionne.

Loin de son image de poupée, Sonakshi affiche un look très naturel, à peine maquillée et vêtue exclusivement de sarees bengali. On oublie ses rôles foireux du passé, car elle est Pakhi dans son entièreté ; de sa mine boudeuse à sa passion dévorante pour Varun. Enfin, elle écope d’un rôle qui met en évidence son potentiel, jusque-là resté inconnu. Cette jeune femme incarne ce côté ‘beauté des années 1950’ en elle ; et fait inévitablement penser à de grandes dames de l’Âge d’Or comme Sadhana ou Mala Sinha. Loin de l’archétype du mannequin anorexique qui fait désormais légion chez les actrices de Bollywood, la star de Lootera prouve ainsi qu’on peut être belle et talentueuse dans un film intelligent sans entrer dans le diktat de l’extrême minceur. Quant à Ranveer, il donne réellement de sa personne dans un rôle complexe, à multiples facettes. Après deux films populaires, deux romcom, deux films avec Anushka Sharma, deux productions Yash Raj ; il sort de sa zone de confort et propose une interprétation irréprochable dans Lootera. De sa propre confession, son style est un amalgame entre Dev Anand et James Dean. Le mélange est étonnant ; mais surtout franchement intéressant.

Le jeune acteur de télévision Vikrant Massey, que les fans de la série Qubool Hai connaissent très bien dans la peau de Ayaan Ahmed Khan, fait ses débuts au cinéma avec ce film. Si le trailer semble annoncer un rôle plutôt anecdotique, Vikrant est en réalité l’un des héros de ce long-métrage vif. Il campe Devdas (non, pas le célèbre ivrogne épris de Paro !), l’ami et confident de Varun. Le comédien est formidable en second couteau efficace, et laisse un souvenir mémorable. Retenons également les prestations honnêtes de Arif Zakaria, Barun Chanda, Divya Dutta et de la danseuse bengalie Shirin Guha, dont c’est aussi le premier rôle sur grand écran. Lire la suite ?

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?