Bolly&co Magazine

La critique de : Monsieur (★★★★☆)

31 décembre 2018
critique film Monsieur bollywood cinéma Pendant que les fans attendaient de pied ferme les sorties hivernales de Simmba (avec Ranveer Singh) et Zero (avec Shahrukh Khan), mon intérêt s'était plutôt porté sur une co-production indo-française : Monsieur. Au casting, un seul visage familier : celui de Tillotama Shome, qui fait indéniablement partie des actrices les plus sous-valorisées de l'industrie hindi (avec Geetanjali Thapa, Kalki Koechlin ou encore Sayani Gupta). D'autant que Monsieur sort en France, distribué par Diaphana. Et à séances multiples dans le Nord, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

Alors la nordiste frustrée que je suis n'attend pas la fin de la première semaine d'exploitation pour aller visionner le film...



Ratna (Tillotama Shome) a quitté son village après la mort de son mari lorsqu'elle avait 19 ans. Son but : se sortir de sa condition et devenir indépendante financièrement. Elle devient femme de chambre pour la mère d'Ashwin (Vivek Gomber), puis pour ce dernier. Quant à lui, il vient de rompre ses fiançailles après avoir appris que sa future femme avait eu une liaison. Sans même s'en rendre compte, Ratna et Ashwin partagent une intimité qui tend à les faire se connaître davantage, et à développer, peu à peu, un lien qui dépasse largement le rapport d'employeur à employée...

Le schéma a été clairement été exploité, en particulier en Inde où on pourrait presque le qualifier de genre cinématographique à lui tout seul ! Je vous vois venir d'ici... "Et gneu gneu gneu... Et que Bollywood fait que des histoires d'amour contrariée ! Et que zéro originalité, gneu gneu gneu..." Je vous arrête. Immédiatement. Je vais déblatérer, de toute façon.

Ce qui est intéressant ici, c'est le traitement que fait Rohena Gera de son intrigue.

Rien dans sa réalisation n'est théâtrale ni mélodramatique. La réalisatrice s'attache aux petits riens, à ces éléments du quotidien qui amènent les personnages principaux à se rapprocher l'un de l'autre pour tisser un lien d'amour unique. Unique parce que terriblement authentique. Empli d'une profonde pudeur et d'un immense respect l'un pour l'autre.

Tillotama Shome est lumineuse.

J'avais beaucoup aimé cette actrice dans Qissa (dans lequel elle incarne avec une incroyable justesse une femme brimée en homme) et plus récemment dans A Death In The Gunj, regrettant au passage que le cinéma hindi ne l'investisse pas davantage. La sensibilité artistique de la comédienne est en tout cas réaffirmée avec ce nouveau métrage. Non, on ne la verra pas chanter des sérénades dans les montagnes suisses pour exprimer ses sentiments. Le cinéma que défend Tillotama s'attache à être réel. Et une fois de plus, ça fonctionne.

Je ne connaissais pas Vivek Gomber, en revanche. Ni son regard amande... Bon, j'avoue que j'ai adoré l'acteur. Mais son personnage était peut-être plus convenu, plus "facile", même s'il parvient indéniablement à nous renvoyer les questionnements qui l'animent. C'est sur la dynamique qu'il partage avec Tillotama que le film se repose. Leurs scènes communes, aussi anecdotiques soient-elles, sont un délice. Le langage non verbal est formidablement exploité, les échanges anodins également. Tout est fait pour que l'on oublie qu'il s'agisse d'une oeuvre fictive. L'écriture de la trame tout comme celle de la psychologie des héros est absolument irréprochable.

Monsieur ne traite pas du sujet des différences de castes, mais celui des différences de classes sociales.

C'est la même chose, me direz-vous ? Pas vraiment parce qu'ici, ce qui empêche les deux protagonistes d'être ensemble, ce n'est pas sa naissance, mais le lien hiérarchique qu'il existe entre eux. Elle est son employée de maison, la maison est à lui. Elle ne l'appelle pas par son prénom, lui si. La frontière est marquée à tous les niveaux. De la chambre lumineuse de Ashwin à celle, beaucoup plus exiguë, de Ratna. En passant par le fait qu'Ashwin mange sur une table tandis que Ratna dîne par terre, et toujours après l'avoir servi.

Mais le sentiment qui prédomine dans cette oeuvre n'est pas l'amour. C'est la honte. Un sentiment qui envahit d'abord Ashwin (lorsqu'il apprend la tromperie de sa fiancée), puis Laxmi (quand l'enfant dont elle s'occupe la traite mal), suivie de Ratna (lorsque la relation qu'elle partage avec son patron prend une autre ampleur) et enfin le père d'Ashwin (qui préfère le savoir à l'étranger plutôt qu'en couple avec sa femme de chambre).

Monsieur est un film vrai et c'est pour ça qu'il est immanquable.

Porté merveilleusement par son casting et sublimé par une mise en scène qui ne triche jamais, il s'agit d'une de mes coups de cœur de l'année 2018. Que le cinéma hindi mainstream en prenne de la graine, au passage...

On peut toutefois faire un constat assez triste sur le marché indien du cinéma, puisque des films comme Monsieur ne trouvent pas de financeurs locaux et doivent ainsi faire appel à des producteurs étrangers (français ou allemands, majoritairement). C'était d'ailleurs le cas de métrages à succès comme The Lunchbox, Masaan ou encore Déesses Indiennes en Colère... Vos imaginez ce à côté de quoi Bollywood a failli passer ? Pour autant, Karan Johar n'hésite pas à investir dans un métrage comme Simmba, dont la vacuité ne fait aucun doute malgré le potentiel commercial de sa tête d'affiche Ranveer Singh...

En tout cas, le public était au rendez-vous pour la séance de Monsieur à laquelle j'ai assisté. De quoi donner de l'espoir sur la pérennisation d'un cinéma indien qui compte par la force de son propos et par son engagement.
LA NOTE: 4/5
★★★★☆
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
"Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même."
lui écrire un petit mot ?