Bolly&co Magazine

Bollywood : la romance toxique.

13 septembre 2019
illustration shahrukh khan darr
— Cet article a été publié dans le numéro 16 de Bolly&Co, page 10.

La romance. L'amour, le vrai. Celui avec un grand A. Les relations enchantées que les mots ne peuvent pas décrire. Pour plusieurs admirateurs du cinéma, surtout du cinéma indien, l’aspect romantique est primordial pour un film. Cette importance est telle que dans la majorité des œuvres, le héros se retrouve impliqué dans une histoire d’amour. Même quand cela n’est pas nécessaire à l’histoire ou au scénario. C’est une mode, qui peut se justifier par une explication très simple : l’amour, ça fait rêver. Et c’est le but ultime du cinéma. Peindre des tableaux somptueux qui font vibrer les cœurs et qui donnent au spectateur une occasion de s’échapper de son quotidien.

Cependant, cette tendance à sur-valoriser les relations affectives à caractère romantique a un effet néfaste qui est peu remarqué : celle de glorifier la romance toxique.



C'est quoi, l'amour ?

L’amour décrit avec de belles chansons, des ballades romantiques et des décors à couper le souffle. L’esthétique soignée et la musique de fond qui rajoutent une couche émotionnelle. Ce sont tous ces éléments qui enjolivent plus qu’il ne le faudrait ces relations que nous devrions pourtant éviter dans la vie. Je sais, je ne suis peut-être pas la mieux placée pour aborder le sujet, étant donné que la romance est probablement le genre cinématographique que j’affectionne le moins. Cependant, il ne faut pas nier le fait que certains films nécessitent d’être revus à bien des niveaux !

Et ici, je sépare bien la romance que je trouve - à titre personnel - ridicule par sa niaiserie, et la romance qui ne devrait même pas être décrite en tant que telle pour commencer. Dans la première catégorie, je place les histoires d’amour dans lesquelles deux meilleurs amis d’enfance se rendent compte plusieurs années plus tard qu’ils sont faits pour être ensemble. Les péripéties sur-dramatisées accentuent le caractère absurde du tout. Ou encore, les amoureux qui se séparent sous un prétexte fallacieux uniquement pour le ressort dramatique, avant de réaliser que rien n’est plus fort que leur amour. C’est joli à croire, c’est poétique. Et parfois, quand c’est finement réalisé, ça nous laisse même une belle leçon de morale sur la pureté du sentiment amoureux.

Aimer, c'est... stalker !

De l’autre côté du spectre, il y a des récits plus toxiques, avec des personnages néfastes que le public a tendance à valoriser. L’ampleur de cette adoration démesurée n’est pas perceptible sur le coup. Ce que le spectateur retient après sa séance, c’est à quel point l’acteur était hilarant, et l’actrice magnifique. L’alchimie qu’ils dégagent tous les deux est palpable, surtout durant la séquence musicale chantée par untel ou untel. Personne ne se pose les bonnes questions, tout le monde en rigole ou en pleure, avant de passer à autre chose.

La réalité, c'est qu'il existe un clivage énorme entre les comportements illustrés dans les métrages et les règles applicables en société. Et parfois, cette différence fait peur. Ces réactions qu’une personne normale juge complètement flippante dans la vraie vie, deviennent une preuve d’amour dans les films. Le héros qui suit de loin la femme qu’il aime, au beau milieu de la nuit, c’est soudainement romantique ?

Imaginez vous faire suivre à 2 heures du matin jusqu'à chez vous par un parfait étranger... Est-ce vraiment romantique ? C’est d’autant plus inquiétant quand ces agissements dépassent les films. Tous les spectateurs ne sont pas capables de dissocier la fiction de la réalité. Le plus souvent, ils sont même influencés par ces exemples romancés et les reproduisent dans leur quotidien !

Saviez-vous qu’un homme résidant en Australie, accusé de traque furtive (ou stalking) à l’égard de plusieurs femmes, a été acquitté de toute charge ? Son avocat a présenté une seule ligne de défense : l’accusé a appris ça des films de Bollywood, voyons ! Il s’appelle Sandesh Baliga, il est âgé d’une trentaine d’années et il est agent de sécurité. Il a accepté l’accusation en expliquant simplement que les films indiens lui ont appris à se comporter ainsi : il ne peut pas avoir la femme qu’il désire, sauf s’il la poursuit partout et sans arrêt. Son avocat a insisté sur le fait que ce soit un comportement habituel pour un homme issu de la communauté indienne, et le juge a adhéré. Il a validé le fait que la culture dans laquelle Baliga a grandi ait largement influencé son comportement. Ceci n’est qu’un exemple médiatisé, parmi tant autres.

D'où vient la toxicité ?

Ce qui est récurrent, c’est le fait que les personnages masculins des films d’amour ne soient pas pour autant cruels, méchants ou l’incarnation du mal. C’est pour cela que leurs agissements font l’objet d’une certaine compassion, qui mène à une véritable normalisation du phénomène. Vu que ces jeunes hommes ne sont pas systématiquement violents, le spectateur trouvera leur harcèlement attendrissant. Vu qu’ils agissent par amour, cela en devient normal. Faux !

Cette banalisation est indéniablement à remettre en cause. Une fois que la jalousie, l’obsession, le stalking ou la possessivité deviennent associés au sentiment de l’amour, cela floute les notions de ce qui est acceptable en société.

sonam kapoor danush ranjhanaa swara bhasker Il est vrai que cette obsession peut provenir d'un sens inverse, c'est-à-dire du personnage féminin. Je prends l’exemple du film Bajirao Mastani de Sanjay Leela Bhansali. Ici, je ne vais pas débattre de la véracité des faits historiques. Je vais plutôt me concentrer sur les grandes lignes de cette saga amoureuse décrite comme « épique » par le plus grand nombre. Oublions d’abord l’esthétique éblouissante et la musique captivante. Ce qui nous laisse avec les faits suivants : Bajirao offre une dague à Mastani, sans connaître la signification de ce geste dans la culture de la demoiselle. Mastani considère, dans son esprit et uniquement dans son esprit, que cet acte symbolise le fait qu’ils soient désormais mariés. Elle fait tout pour suivre cet homme à l’autre bout de la terre. De fait, face à l’audace de la femme, Bajirao réalise qu’il en est fou... amoureux. Bollywood veut vraiment me faire croire que si la jeune femme ne ressemblait pas à Deepika Padukone, il aurait réellement craqué ? Crédibilité zéro.

Revenons maintenant au sujet précité : le harcèlement. C’est problématique dans la mesure où certains films populaires communiquent le fait que la femme n’ait pas le droit de dire non. Et si elle verbalise ouvertement son refus, il faut poursuivre ses efforts jusqu’à ce qu’elle change d’avis. Parce qu’il ne faut jamais trop prendre au sérieux ce que dit une femme, elle est juste indécise. Ainsi, le héros la poursuit où qu’elle aille, lui demande un rendez-vous et cherche à tout prix à obtenir son numéro de téléphone. Quand rien ne fonctionne, il passe au chantage émotionnel. « Accepte, sinon je me jette par la fenêtre. » Peu importe le moyen employé, au bout d’une heure de film, la protagoniste se rend compte qu’elle est amoureuse du mec. N’est-ce pas troublant ? Combien d'entre vous ont trouvé Badrinath à croquer dans Badrinath Ki Dulhania, par exemple ? Alors que personnellement, il me tapais juste sur les nerfs.

Le retour à la réalité.

Parmi les spectateurs, il y a ceux qui seront sceptiques. Selon eux, un film ne peut pas influencer la réalité. Faux ! Et cette influence ne se limite pas aux films indiens. L’université Heriot-Watt d’Edimbourg a étudié l’impact des 40 meilleurs films hollywoodiens sur un panel de personnes et ce sur la période allant de 1995 à 2005. Les participants à l’étude ont rempli un questionnaire, pour qu’ils décrivent ce qu’ils attendent d’une relation amoureuse, et ce qu’ils croient être l’amour. La conclusion était édifiante ! Les métrages ont effectivement réussi à influencer la perspective des spectateurs. Ils ont des notions irréalistes des relations amoureuses, et cela en a empêché plusieurs de trouver l’amour dans la vraie vie. Avec Bollywood, c’est encore pire. arce que les acteurs y sont vénérés comme es formes divines. Ce qu’ils font, même dans un récit fictif, marque les esprits de leurs adorateurs.

Quand nous parlons d’amour toxique, nous pensons presque systématiquement au fait que l’un des partenaires soit méchant. Qu’il (ou elle) ait des intentions impures, et qu’il soit forcément mauvais de manière criante. Grossière erreur. Dans la vraie vie, nous avons tous des défauts et des qualités. Ce n’est pas parce que Kundan de Raanjhanaa (interprété par Dhanush) est adorable, que son comportement est justifiable. Il n’arrête pas de suivre Zoya (Sonam Kapoor) partout où elle va. Il flirte lourdement et s’impose, jusqu’à ce qu’elle craque, avec pour seule explication sa nature... insistante.

Non, une relation toxique n'en est pas une uniquement quand l'un des deux partenaires est explicitement nocif. Tous les hommes qu’une femme devrait éviter dans la vie ne ressemblent pas forcément à Rahul de Darr. La toxicité est souvent plus nuancée. C’est l’idée que l’envie d’une personne, souvent une femme, n’a aucune importance si sa réponse est « Non. Arrête de me suivre ». La toxicité, c’est le fait de vendre cela comme une preuve tangible que la femme ne sait pas ce qu’elle veut, parce qu’au final, après quelques minutes de film, son « non » initial se transforme comme par magie en un « Oui, jaanu. Je t’aime et je ne peux pas vivre sans toi. »

Ils ne sont pas un modèle à suivre...

Asmae et Elodie vous font également part de ce personnage dans un film hindi populaire qui représente pour elle un aspect néfaste de l’amour.

tere naam salman khan

Tere Naam, 2003.



Drame romantique avec Salman Khan et Bhumika Chawla

Asmae pense... Je me souviens avoir été particulièrement perturbée par ce film et par la facilité de son scénariste à normaliser le harcèlement sexuel, en le présentant même comme une cour romantique. Radhe (incarné par Salman Khan) voit ses sentiments (très excessifs et par conséquent toxiques) glorifiés comme le symbole de l’amour entier et jusqu’au-boutiste. Sauf que dans la vraie vie, Radhe aurait juste un casier judiciaire plus long que le bras et plusieurs mesures d’éloignement sur le dos !

shahrukh khan kabhi alvida naa kehna

Kabhi Alvida Naa Kehna, 2006.



Drame romantique avec Shahrukh Khan, Rani Mukerji, Abhishek Bachchan, Preity Zinta, Amitabh Bachchan

Elodie pense... Après un accident qui empêche Dev (Shahrukh Khan) de jouer au foot, celui-ci est tout bonnement exécrable. Colérique, égoïste, père indifférent, son ego de footballeur en prend un coup et face au succès professionnel de sa femme Rhea (Preity Zinta), les choses empirent et par conséquent, ses sentiments aussi. Je me souviens avoir été très peinée par cette relation, car malgré tout, Rhea s’accroche. Les disputes s’enchaînent, mais elle ne lâche pas l’affaire. Et lorsque Dev finit par la tromper, il se retrouve à manipuler ouvertement son épouse, à jouer avec ses sentiments. Cette dépendance sentimentale est aussi valable pour Maya (Rani Mukerji), car Dev est complètement un autre personnage avec elle. C’est une femme mariée et pourtant, il fait tout pour la séduire, la rendre jalouse (en utilisant Rhea, au passage) et pour lui apporter ce que son mari Rishi (Abhishek Bachchan) ne lui donne pas. Il profite de sa vulnérabilité et devient l’amant qu’elle fantasmait secrètement d’avoir.

Pourtant, est-il réellement celui dont elle a besoin ? Non. Car le problème entre Maya et Rishi, c’était clairement la communication et sans doute auraient-ils fini par se séparer d’une autre manière sans l’intervention de Dev. Le sujet de l’adultère était une bonne idée, puisqu’il est réel et toujours d’actualité. Mais le personnage de Dev n’avait pas besoin d’être aussi malsain pour aborder cette thématique. Ainsi, selon moi, on retrouve dans Kabhi Alvida Naa Kehna une romance toxique.
mots par
Fatima Zahra El-Ahmar
"Un thriller avec Vidya Balan et Farhan Akhtar ? Le rêve !"
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