Interview avec Lawrence Valin #FFAST2020

vendredi 7 février 2020
interview Lawrence Valin ffast festival paris Pour la dernière journée du Festival du Film d’Asie du Sud, nous avons pu discuter avec l’acteur et réalisateur franco-tamoul Lawrence Valin, venu présenter son court-métrage Little Jaffna et son moyen-métrage The Loyal Man. Retour sur le parcours de cet artiste passionné et moderne…

Lawrence, tu es présent aujourd’hui afin de présenter tes deux métrages : Little Jaffna et The Loyal Man. En plus de les réaliser, tu en es également l’acteur principal. En quoi cette double casquette est-elle enrichissante ?

Lawrence Valin : En fait, je viens du jeu, à la base. Ça doit faire à peu près 9 ans que je suis comédien. Et malheureusement, en tant qu’acteur, on me donnait des rôles assez cliché. J’ai voulu sortir de ça en écrivant mes propres histoires. Le jeu, c’est mon moteur. Si je ne jouais pas dans mes films, je ne pense pas que je les écrirais. Et je ne pense pas que je réaliserais non plus. J’ai cette soif de jouer. Et le fait de me dire que je vais jouer dans mes films, ça me motive comme jamais. J’essaie donc de m’entourer comme je le peux pour justement assurer cette double-casquette. Pour le coup, le fait d’avoir un chef opérateur, d’avoir un consultant artistique et d’avoir une scripte, ça me cadre en tant que réalisateur. Et ça me permet surtout de me libérer en tant que comédien puisque je sais que je peux avoir confiance en eux.

D’autant que le travail technique est remarquable, il y a une finesse admirable dans l’image…

L.V. : En fait, on travaille en amont. Il y a une préparation énorme. Avec le chef opérateur, on regarde beaucoup de films ensemble. On parle de ce que j’imagine, de ce que j’aimerais en termes de plans, d’image. Mais aussi dans le choix des caméras, des optiques… Cette préparation nous permet de ne pas nous poser toutes ces questions quand on arrive en plateau. L’idée, c’est qu’on arrive sur le tournage avec une même vision, que chaque membre de l’équipe ait en tête le même film que celui que j’ai imaginé.

Le point d’orgue de tes deux métrages, c’est la restitution d’une certaine réalité de la diaspora tamoule en France. Il y a d’autres fils conducteurs comme les références multiples au cinéma de Kollywood et le fait que la rue du Faubourg Saint-Denis soit le théâtre régulier de tes récits. En quoi le fait d’instaurer ces récurrences était une volonté de part ?

L.V. : Dans Little Jaffna, cette rue était un peu mon arène. C’est aussi ce qui me plait dans ce quartier : cette impression de ne pas être à Paris. J’aime restituer dans mes films le fait que ce quartier ait été totalement investi par la communauté tamoule. J’aime le mettre en lumière puisque c’est vraiment LE point de ralliement. Pas un seul tamoul ne vit au Faubourg Saint-Denis mais tout le monde s’y retrouve. Sur mon prochain film qui sera un long-métrage, je vais continuer à développer mon rapport à ce quartier, à en faire mon arène comme je le disais. Il y a encore plein d’espaces que je n’ai pas encore investi mais que je compte exploiter sur ce projet à venir.

Du côté des références à la musique tamoule qu’on retrouve régulièrement dans les deux métrages, comment tu as effectué le choix des morceaux ?

L.V. : Les morceaux choisis dans les films sont vraiment liés à mon histoire. Ce sont des titres qui m’ont accompagné depuis que je suis gamin. Ces titres m’ont tous marqués à des moments différents de ma vie. Du coup, quand j’ai écrit le scénario, je pensais directement à ces musiques-là. J’ai pourtant essayé d’imaginer d’autres sons plus récents, plus populaires aussi. Et ça marchait pas ! Avec le chef monteur, on y a réfléchi et c’est lui qui m’a demandé quelle mélodie j’avais dans la tête en écrivant une certaine séquence. Et il se trouve que cette chanson collait parfaitement à l’image. Après, il y a aussi des chansons plus récentes qui sont utilisées dans le film. Mais de nouveau, ce sont des chansons qui m’ont marqué à un niveau personnel.

Dans The Loyal Man, il y a une scène dans laquelle le personnage principal rentre dans la voiture dans laquelle se trouve l’héroïne. Et dans cette voiture, il y a une chanson qui venait tout juste de sortir. C’était une chanson d’amour et comme le film reste très pudique dans l’approche des sentiments naissants entre les deux protagonistes, je voulais une vraie chanson d’amour dans cette scène. Et dans les paroles, il dit “je suis un voyou qui n’a pas le droit de penser à l’amour”. Je trouvais que ça collait tellement au contexte ! Et ce que j’avais envie d’instaurer, c’était ces petits moments secrets entre les deux personnages. Ces petits regards, ces petits instants… Ça me parlait. Tu sais, pour vendre un yaourt, on montre les corps et j’avais envie d’être à contre-pied de cette méthode. J’avais à coeur de faire quelque chose de différent. De montrer ce sentiment amoureux évident avec finalement beaucoup de retenue.

interview Lawrence Valin ffast festival paris C’est intéressant parce qu’il y a à la fois cette pudeur qu’on retrouve beaucoup dans le cinéma tamoul avec l’usage de la musique pour exprimer l’amour, le désir… Et en même temps, le langage cinématographique que tu emploies se rapproche davantage de ce qui se fait en Occident. Mais justement, est-ce que tu te sens plus proche en termes d’identité artistique de ce qui se fait au cinéma indien ou de ce qui se fait en Occident, que ce soit en France ou aux USA ?

L.V. : En fait, j’ai grandi avec le cinéma tamoul et notamment avec cette pudeur inhérente à notre culture. Je vais pas dire que je serais à l’aise si je dois un jour tourner une scène d’amour, je serais même complètement tétanisé ! Ce que j’aime, c’est qu’il y a tellement de manières d’exprimer l’amour qui ne nécessitent pas forcément de rapport physique clair, tu vois. On le voit très bien à travers les films d’amour tamouls. Et en même temps, on voit très bien cette influence du cinéma américain dans mon travail. Par exemple, mes deux grosses influences étaient Ghost Dog de Jim Jarmusch et Drive de Nicolas Winding Refn. Justement, dans ce dernier, on retrouve deux êtres solitaires qui s’entraident et qui finissent par tomber amoureux l’un de l’autre. Et je trouvais ça très beau, avec ce côté à la fois doux et amer.

Tu as notamment travaillé avec Antonythasan Jesuthasan, que le grand public connaît pour sa performance dans Dheepan. Comment cette collaboration s’est-elle faite ?

L.V. : Sur Little Jaffna, Antonythasan était tout juste sorti de la phase Dheepan, qui venait de remporter la Palme d’Or à Cannes, et pour lequel il avait été nommé aux Césars. Je me suis demandé s’il accepterait même de tourner dans un court-métrage de la Fémis (école des métiers de l’image et du son pour laquelle Lawrence a réalisé Little Jaffna, ndlr). Le directeur de casting avec lequel je travaille le connaissait. J’imaginais que, vu qu’il avait été en quelque sorte formé par Jacques Audiard (réalisateur de Dheepan, ndlr), ce serait facile de travailler avec lui. Cela dit, je me demandais s’il voudrait travailler avec un réalisateur débutant après avoir collaboré avec un monstre du cinéma comme Audiard. Finalement, pendant les répétitions, il s’est montré très disponible. On se jaugeait un peu mutuellement, il a pu montrer un peu de résistance sur des petites choses. Par exemple, sur le premier film, il a refusé de se couper les cheveux alors que sur le second, il a accepté. Avec le premier métrage, je pense que j’ai réussi à gagner sa confiance. C’est quelqu’un de très carré, de très professionnel. C’est une vraie rencontre artistique, aussi bien entre un comédien et un réalisateur qu’entre deux acteurs. Parce que je sens qu’on a ce lien de confiance. Je le taquine souvent en lui disant qu’il est mon Papa de cinéma. D’autant que sur les deux projets, il incarne une figure paternelle pour mon personnage. Et ça marche très bien ! En plus, sur le deuxième film, il s’illustre sur un rôle complètement différent, de véritable salaud.

Peut-être que je me trompe, mais son look m’a fait beaucoup penser à celui de Vijay Sethupathi dans Vikram Vedha.

L.V. : Ah en effet ! Pourtant, je me suis pas du tout inspiré de Vikram Vedha. Je me suis peut-être inspiré de qui… Attends, je réfléchis…

Rajinikanth avait un look semblable dans Kabali, non ?

L.V. : Oui, c’est ça ! C’est Kabali. On peut rien vous cacher ! (rires) Je suis cramé !

C’est intéressant parce qu’il y a ceux qui ne connaissent pas le cinéma tamoul et qui prennent le film tel qu’il est. Et il y a ceux qui aiment ce cinéma et qui vont prendre un plaisir fou à identifier tous les clins d’oeil.

L.V. : C’est un cinéma qui m’inspire. Je vais y puiser plein de codes. Par exemple, les chemises colorées qu’on retrouve beaucoup au cinéma tamoul, notamment dans Maari avec Dhanush.

D’où peut-être le choix de la chanson d’introduction dans Little Jaffna, le dappankuthu “Maari Thaara Local” qui est tiré de ce film ?

L.V. : Complètement, cette chanson dégage une énergie presque animale. Quand on a tourné cette séquence, je ne voyais aucun autre son à la place de celui-là.

Justement, je me demandais si le fait d’avoir choisi plusieurs chansons du compositeur Anirudh Ravichander, c’était un hasard ?

interview Lawrence Valin ffast festival paris L.V. : Non, mais je trouve ce mec incroyable. Je vais essayer de travailler avec lui sur mon long-métrage. Il est jeune et il mélange des sons très classiques avec une profonde modernité. Il arrive à créer un équilibre entre ces deux influences et ça donne un résultat assez explosif.

Il a cette facilité à composer des dappankuthu très vitaminés et en même temps à initier des sont très mélodieux.

L.V. : Il y a un chanteur aussi qui me parle beaucoup, c’est Sid…

…Sriram.

L.V. : Il a une voix de dingue, ce type. J’aime beaucoup l’artiste et sur mon prochain long-métrage, je vais essayer de collaborer avec lui aussi.

Sinon, tu as aussi travaillé avec Thamilchelvan Balasingham, découvert dans le film français Le Grand Bain. Comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ?

L.V. : C’est aussi le directeur de casting qui me l’a recommandé. Et j’ai pas vu Le Grand Bain mais on m’avait dit qu’il y parlait peu. J’avais un peu l’impression qu’il venait jouer la figure de la diversité. Et quand j’ai vu son gabarit, sa dégaine, il m’a fait penser à certains antagonistes du cinéma coréen, où les méchants ont aussi un caractère assez comique. La rencontre s’est faite assez naturellement parce qu’il avait vu Little Jaffna. Et donc, quand je lui ai proposé de The Loyal Man, il a accepté. C’était une chouette collaboration. D’ailleurs, après Little Jaffna, les quelques acteurs français issus de la communauté tamoule ont commencé à porter un regard différent sur moi. Il y a eu un tournant, parce qu’ils se sont rendus compte que je tournais différemment des autres réalisateurs du quartier. En général, les réalisateurs ici tournent avec peu de moyens, peu de matériel et le rendu est souvent assez amateur. Quand je suis arrivé avec une équipe de 30 personnes, tout le monde a été stupéfait. Il y a tellement peu de réalisateurs franco-tamouls qui sont allées à la Fémis, par exemple.Du coup, quand je suis arrivé là-bas, j’ai littéralement appris à faire du cinéma. Parce que même si je suis imprégné de ma culture tamoule, mon équipe technique est française. Et j’aime l’idée d’exploiter ma double culture. Je trouve ça aidant parce que ça me donne un certain cadre. Je vais pas travailler avec des tamouls par communautarisme. Si je travaille avec un acteur, qu’il soit tamoul ou non, c’est parce qu’il a un talent et qu’il va apporter quelque chose à mon film.

Tu étais déjà prodigieux dans Paki’s Flowers de Nas Lazreg, en 2015. Comment as-tu mûri artistiquement depuis ?

L.V. : Quand j’ai joué dans Paki’s Flowers, j’avais rencontré des vendeurs de rose issus de la communauté bangladaise. J’ai passé des soirées avec eux, je voulais vraiment comprendre leur quotidien. Quand le film a commencé sa tournée des salles, les spectateurs pensaient que j’étais vraiment un vendeur de roses ! Du coup, j’ai eu aucune répercussion dans ma carrière d’artiste. Les gens qui me voyaient après la projection étaient étonnés de me voir parler un français impeccable, tu imagines ? (rires) Après cette expérience, je recevais des propositions pour des rôles assez caricaturaux. Et le truc, c’est que quand tu acceptes une fois de jouer l’indien de service, on ne va t’appeler que pour ça. Je me suis donc demandé comment je pouvais sortir de ce cercle devenu vicieux. Il faut savoir que Paki’s Flowers a été sélectionné dans le cadre de CinéBanlieue (festival mettant en valeur des films issus de la banlieue, ndlr) et là-bas, j’ai rencontré la réalisatrice Maïmouna Doucouré dont le métrage Maman(s) avait cartonné à l’époque. Et elle me disait que si j’étais cantonnée à ces rôles-là, il fallait que je fasse mes propres films. Et son producteur surenchérira en me disant d’écrire sur des sujets que je connais et pas nécessairement sur ce qui fonctionne en salles. Du coup, j’écris Little Jaffna petit à petit. J’arrive dans un dispositif qui s’appelle ‘Talent en court’ (tremplin pour les jeunes cinéastes mis en place par le Jamel Comedy Club, ndlr). Quand je pitche mon projet en leur expliquant que je serai à la fois réalisateur et acteur, les producteurs présents prennent peur. Ils me conseillent alors de participer au concours de la Fémis, qui forme des réalisateurs autodidactes à la mise en scène.

interview Lawrence Valin ffast festival paris Je participe au concours, je suis accepté et Little Jaffna constituera mon film de fin d’étude. J’ai donc tout appris sur le tas avec ce métrage. Ma seule envie, c’était que le film soit sélectionné pour le festival CinéBanlieue, puisque c’est là que mon cheminement avait commencé. Et c’est là que l’histoire est belle puisqu’il a non seulement été sélectionné, mais il a également gagné le Grand Prix. Pour moi, c’était la fin du parcours de Little Jaffna. Sauf que, ce que je n’avais pas prévu, c’était le fait qu’il soit aussi sélectionné au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand, que Canal Plus en ait acquis les droits…

Cet engouement a permis à The Loyal Man de se faire très vite. Je m’attendais pas à une telle ampleur. Mais il s’avère que je suis dans une niche puisqu’aujourd’hui, personne ne fait ce cinéma en France. Et si aucun réalisateur n’est prêt à écrire de vraies histoires pour cette génération de français issus de la communauté indienne, eh bien je vais le faire moi-même. D’autant qu’aujourd’hui, dans le cinéma français, même les personnages relativement intéressants issus de la diversité doivent justifier leurs origines. Dans mes deux films, à aucun moment je ne viens justifier le fait que je parle bien français ou que je parle bien le tamoul. Je suis récemment parti passer un casting qui ne nécessitait pas de parler avec un accent. La directrice de casting me suivait quand le réalisateur m’a dit droit dans les yeux : “s’il parlait correctement français, j’aurais pris un blanc”. Et je réalise à ce moment-là que dans la mentalité des cinéastes français, il y a encore du travail. Finalement, ces incidents me donnent une motivation de dingue pour écrire, pour réaliser et pour créer des rôles profonds. En tant que réalisateur, j’ai des portes qui se sont ouvertes que j’aurais peut-être mis 10 ou 15 ans à ouvrir juste en tant que comédien. Et ces échecs m’ont construit. D’ailleurs, j’avais passé les essais pour Dheepan, à l’époque. Je me suis investi pendant trois mois sur ce casting. Et finalement, au terme de ces trois mois, on me propose de la figuration. Sauf que moi, je m’étais imaginé tout un truc. On te dit Jacques Audiard, tu te dis que ta carrière va exploser. On se souvient tous de Tahar Rahim qui rafle deux Césars pour Un Prophète. Je me disais que le projet Dheepan, c’était le destin, c’était pour moi. Tout ça pour finalement ne même pas passer le premier tour.

Aujourd’hui, je sais que c’était pour le mieux. Antonythasan est merveilleux dans le film et c’est devenu une de mes plus belles rencontres artistiques. Et ces échecs m’ont donné la niaque pour écrire ces rôles qu’on ne me proposera peut-être jamais.
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
"Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même."
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