Interview avec Binod Paudel et Swastima Khadka #FFAST2020
5 février 2020
Cette nouvelle édition du #FFAST a de nouveaux été synonyme de belles rencontres artistiques. Parmi elles, le réalisateur Binod Paudel et l’actrice Swastima Khadka, deux figures importantes du cinéma népalais actuel. Ils étaient effectivement à Paris afin de présenter leur film Bulbul, auréolé du Prix du Public. Nous vous invitons donc à découvrir cette entrevue qui a rapidement mué en échange des plus fascinants. Encore merci à eux de nous avoir accordé de leur temps et de nous avoir reçu avec autant d’enthousiasme…
Binod Paudel : J’ai toujours cru qu’une histoire était profondément liée à l’artiste. En tant que réalisateur, je cherche une histoire à laquelle je me connecte, qui fait écho à mes expériences. Ce sont ces histoires-là, celles qui me parlent, que je veux présenter à travers mon art. Et cette histoire était en moi depuis longtemps. J’ai longtemps étudié le cinéma, je l’ai même enseigné (Binod est effectivement professeur dans une école de cinéma à Katmandou, ndlr). J’ai eu besoin de laisser cette histoire grandir en moi. Et quand je me suis senti assez mature pour faire un film, j’avais décidé de raconter une histoire qui me touche à un niveau très intime et personnel. Plus que tout, je voulais que mon approche soit sincère.
Swastima Khadka : Wow ! Merci.
S.K. : Vraiment ?
B.P. : C’est une grande star, en effet.
S.K. : A propos de ce projet en particulier, ce qui m’a donné envie d’y prendre part, c’est la vision de Binod. Quand il m’a donné le scénario via mon mari (Nischal Basnet, réalisateur et acteur népalais reconnu, ndlr), j’ai trouvé l’approche très simple. Rien n’était surfait. Peut-être que j’attendais ce genre de films. D’autant que des projets de la sorte sont assez rares au Népal. J’espérais donc qu’un jour, un tel film vienne à moi. Et lorsque j’ai rencontré Binod, c’était la cerise sur le gâteau. Sa vision était vraiment parfaite. Et puis, dès la première rencontre, mon instinct m’indique assez clairement si ça peut coller avec quelqu’un. Et avec Binod, la connexion a été immédiate.
S.K. : Oui, il est avant tout réalisateur. Plus tard, il est aussi devenu acteur. Et en fait, il a étudié le cinéma au sein de l’école dans laquelle Binod enseignait. Ils s’entendent d’ailleurs très bien. Sauf que moi, je ne le connaissais pas ! Donc effectivement, c’est grâce à lui que cette belle collaboration a vu le jour.
B.P. : Pour être honnête, je cherchais un acteur à l’état brut, qui n’ait pas de réelle expérience.
S.K. : Et moi, j’avais de l’expérience. C’est mon sixième film. Mais je suis curieuse de savoir ce que tu entends par acteur brut.
B.P. : C’est ce que j’imaginais au départ. Quand j’ai vu un des films de Swastima, je vais être honnête, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. (rires)
S.K. : C’était mon deuxième film, qui a fait un gros bide ! Et pourtant, c’était l’une de mes meilleures expériences. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai tellement appris de ce film.
B.P. : D’ailleurs, choisir ce film était peut-être une mauvaise décision au regard de son échec, mais c’est ce film qui m’a poussé à la choisir. J’y ai vu quelque chose en elle. Je me suis alors dit qu’elle pouvait le faire. Swastima a quelque chose d’unique qui collait tout à fait à ce que je voulais projeter à l’écran.
S.K. : Il a vu le film en tant que membre du jury des National Awards au Népal.
B.P. : Oui, et je me souviens avoir pensé qu’elle avait effectivement quelque chose de spécial. Et quand je l’ai rencontré la première fois, elle m’a dit qu’elle pensait ne pas être capable de le faire. C’est difficile, je peux le comprendre. Mais j’avais quand même envie de lui dire : mais t’es sérieuse ? (rires)
S.K. : Quand il m’a donné le script, le personnage principal avait 35 ans. Et sa fille avait 11 ans. Du coup, je lui ai demandé : est-ce que je dois jouer la mère de 35 ans ou sa fille de 11 ans ? (rires) Et en plus, je fais très jeune, les gens n’arrivent pas à croire que j’ai 24 ans. Alors, j’avais peur de ne pas être la personne qu’il fallait pour le rôle.
B.P. : Même son mari m’a demandé : tu es sûr de vouloir de Swastima pour le rôle ? (rires) Il était inquiet pour elle, il ne voulait pas qu’elle se sente dépassée. Mais parfois, il faut écouter son instinct.
S.K. : La première fois que je l’ai rencontré, je lui ai dit qu’il prenait un gros risque en me choisissant.
S.K. : J’avais l’impression de porter la responsabilité du succès ou de l’échec de ce film, vous voyez ?
S.K. : Oui mais après, je pense que je doutais de moi, aussi. Ce genre cinématographique, ce rôle… C’était une première pour moi. J’étais hésitante.
B.P. : C’est tout à fait ça.
B.P. : Oui. Lors de cette fameuse rencontre durant laquelle elle pensait de ne pas être à la hauteur, je lui ai dit que justement, cette notion de risque était la raison principale pour laquelle je l’avais choisie. J’avais le sentiment qu’elle pouvait apporter quelque chose à Ranakala (le personnage qu’elle incarne dans Bulbul, ndlr). Certains de mes amis cinéastes questionnaient même ma décision parce qu’elle était surtout une actrice de films mainstream. Mais je voyais Ranakala en elle. Je n’avais pas peur. J’étais sûr de moi. Et j’ai d’ailleurs toujours dit que ce film serait comme une renaissance pour elle.
S.K. : Il l’a effectivement dit durant la première conférence de presse de notre film. Quand les journalistes l’interrogeaient sur le fait de m’avoir choisie, il n’arrêtait pas de dire que ce serait ma renaissance artistique.
S.K. : Je ne vois pas mon travail de cette manière-là. J’ai pris du plaisir avant tout. Techniquement, le vocabulaire était laborieux à assimiler pour moi. Mais dans l’ensemble, je n’ai pas trouvé ça difficile dans le sens où ça aurait été éprouvant pour moi. J’ai profité de cette expérience, des premières lectures du scénario aux ateliers de travail, jusqu’au tournage. J’ai adoré observer la ville pour m’en imprégner, prendre des leçons de conduite, finir par conduire un tempo (terme employé au Népal pour qualifier des véhicules semblables aux rickshaw en Inde, ndlr)...
B.P. : Se lever, à 4 heures du matin… (rires)
S.K. : Mais je me suis amusée ! Quand j’y repense, je ne vois pas ce projet comme un défi. J’en veux encore ! Je veux d’autres films comme celui-ci.
S.K. : Je ne saurais décrire ce qui a été formateur en particulier mais le tout a été génial pour moi.
S.K. : Oui, exactement.
B.P. : Personnellement, je pense qu’un réalisateur devrait écrire ses propres histoires. Je ne comprends pas pourquoi certains cinéastes engagent des scénaristes. C’est ma perception personnelle, bien entendu. Mais si vous n’êtes pas créateur, comment pouvez-vous être le meilleur conteur qui soit ? Vous devez créer votre propre vision, vous devez ressentir tout le potentiel et toute l’amplitude d’une histoire. Si vous achetez un scénario que vous dirigez ensuite, vous n’êtes pas réalisateur. Vous êtes manager, vous gérez des équipes. C’est en tout cas ce que je crois. Les choses qui vous touchent et que vous vivez, vous devez les raconter. Personne d’autre ne devrait le faire. On a tous une perspective différente sur une histoire. J’aurai mon regard, Swastima aura le sien, vous aurez le vôtre… Ce qui est fascinant en tant que cinéaste, c’est ma vision. En quoi mon regard sur cette histoire est intéressant.
S.K. : Il n’est jamais directif. Il ne va jamais me dicter la manière dont je dois jouer une scène. Il est très ouvert. Durant les ateliers de travail, nous n’avons jamais joué de scène, nous n’avons jamais répété. Il s’agissait davantage de… Comment dire ? Tu peux m’aider ?
B.P. : Je voulais qu’ils vivent un moment.
S.K. : Exactement !
B.P. : Je voulais qu’ils vivent un moment plutôt que de le jouer.
S.K. : Il y a eu presque deux mois d’ateliers, mais nous n’avons jamais joué la comédie à proprement parler. Je ne suis pas vraiment une actrice, je n’ai en tout cas jamais pris de cours de comédie. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. C’était donc nouveau pour moi de faire ces ateliers. Les gens le paient pour apprendre ce métier et moi, j’ai été payée pour apprendre de lui ! (rires) Plus sérieusement, il est très ouvert dans la manière dont on a abordé nos personnages. Il m’a laissé faire, nous avons beaucoup parlé de Ranakala, de son look, de son vocabulaire, de son accent, de sa posture...
B.P. : Nos échanges se basaient essentiellement sur des situations. Comment se sentirait-elle dans cette situation ? Comment réagirait-elle dans cet état émotionnel ? Comment exprimerait-elle ce qu’elle ressent ? C’est de cette façon que nous avons travaillé ensemble sur Ranakala.
S.K. : C’était une très bonne expérience. Il n’a jamais adopté la posture du professeur et moi celle de l’élève. C’était du partage et de l’interaction en permanence. D’ailleurs, je peux dire avec une certaine fierté que j’ai apporté énormément à ce personnage. Le langage corporel par exemple, c’était mon idée, ça ne m’a pas été dicté par Binod. Si j’avais été trop scolaire dans mon approche, le résultat aurait été mécanique.
B.P. : Je crois dans le fait que chaque acteur a une personnalité unique. Et en tant que réalisateur, vous devez explorer cette personnalité et ce rapport singulier aux émotions qu’a tout un chacun.
S.K. : Ce qui est formidable dans notre collaboration, c’est notre faculté à nous comprendre l’un l’autre. Nous n’avons pas besoin de discuter pendant des heures pour que je sache ce qu’il attend de moi, et inversement. Et c’était vraiment génial.
B.P. : La phase Bulbul consiste principalement à flâner dans Paris. (rires) La France est le pays de mes rêves, pas seulement en tant que touriste. La littérature, le cinéma… Et vous savez, j’adore le public français. Il aime tous les genres de films. Les français ont accepté François Truffaut, Federico Fellini et même Gaspar Noé, qui est un réalisateur très extrême. J’en étais presque jaloux, je me demandais pourquoi je n’étais pas plutôt né ici ! (rires) Sinon, il y a trois mois, j’ai travaillé sur un nouveau projet aux Etats-Unis, portant sur la condition des réfugiés. Mais malheureusement, mon producteur et moi n’avons pas réussi à lever les fonds nécessaires. J’ai donc décidé de le mettre en stand-by et suis en train d’écrire un autre métrage au Népal, avec les acteurs de l’école dans laquelle j’enseigne.
S.K. : Il a l’avantage d’avoir sous la main des acteurs à sa disposition. (rires) Et en plus, ils travaillent gracieusement. (rires)
B.P. : J’avoue que j’ai de la chance, je suis entourée de gens très volontaires.
S.K. : Pour être honnête, je veux un autre bon film. C’est presque embarrassant, je reçois tellement d’amour pour Bulbul mais maintenant, je veux continuer ainsi. Que Bulbul ne soit pas l’exception de ma carrière. J’avoue que je suis gourmande.
S.K. : J’ai eu beaucoup de prix pour Bulbul, mais maintenant j’en veux pour d’autres films. Je veux confirmer l’essai !
S.K. : Le premier prix de ma carrière, je l’ai reçu lors d’un festival au Sri-Lanka pour Bulbul. Et le second, c’était le National Award au Népal. Bulbul
S.K. : Je pense qu’il est en train d’y travailler. Je sais qu’il avait des doutes avant que je fasse Bulbul. C’est l’un des meilleurs réalisateurs du Népal, l’un de ses films a d’ailleurs été projeté ici, au FFAST (Loot, présenté lors de la première édition du festival, ndlr). Je suis donc très fière qu’il me voie comme une bonne actrice. Maintenant, il me taquine en me disant qu’il apprendra de moi, vu que je viens de gagner un National Award. (rires)
Binod, si je ne me trompe pas, il s’agit de votre premier film en tant que réalisateur. Pourquoi aviez-vous à coeur de raconter cette histoire plutôt qu’une autre ?
Binod Paudel : J’ai toujours cru qu’une histoire était profondément liée à l’artiste. En tant que réalisateur, je cherche une histoire à laquelle je me connecte, qui fait écho à mes expériences. Ce sont ces histoires-là, celles qui me parlent, que je veux présenter à travers mon art. Et cette histoire était en moi depuis longtemps. J’ai longtemps étudié le cinéma, je l’ai même enseigné (Binod est effectivement professeur dans une école de cinéma à Katmandou, ndlr). J’ai eu besoin de laisser cette histoire grandir en moi. Et quand je me suis senti assez mature pour faire un film, j’avais décidé de raconter une histoire qui me touche à un niveau très intime et personnel. Plus que tout, je voulais que mon approche soit sincère.
Swastima, vous êtes probablement l’une des plus grandes stars du Népal aujourd’hui.
Swastima Khadka : Wow ! Merci.
Vous l’êtes, vous êtes en quelque sorte la Alia Bhatt du Népal !
S.K. : Vraiment ?
B.P. : C’est une grande star, en effet.
Vous voyez, il confirme ! (rires) Vous avez joué dans de nombreux succès populaires comme Love Love Love et Hostel Returns. Pourquoi avez-vous signé Bulbul, qui est totalement différent de vos précédents métrages ?
S.K. : A propos de ce projet en particulier, ce qui m’a donné envie d’y prendre part, c’est la vision de Binod. Quand il m’a donné le scénario via mon mari (Nischal Basnet, réalisateur et acteur népalais reconnu, ndlr), j’ai trouvé l’approche très simple. Rien n’était surfait. Peut-être que j’attendais ce genre de films. D’autant que des projets de la sorte sont assez rares au Népal. J’espérais donc qu’un jour, un tel film vienne à moi. Et lorsque j’ai rencontré Binod, c’était la cerise sur le gâteau. Sa vision était vraiment parfaite. Et puis, dès la première rencontre, mon instinct m’indique assez clairement si ça peut coller avec quelqu’un. Et avec Binod, la connexion a été immédiate.
Vous avez dit avoir fait ce film grâce au lien entre Binod et votre mari, Nischal. Il est également très connu, n’est-ce pas ?
S.K. : Oui, il est avant tout réalisateur. Plus tard, il est aussi devenu acteur. Et en fait, il a étudié le cinéma au sein de l’école dans laquelle Binod enseignait. Ils s’entendent d’ailleurs très bien. Sauf que moi, je ne le connaissais pas ! Donc effectivement, c’est grâce à lui que cette belle collaboration a vu le jour.
Binod, pourquoi avoir proposé ce rôle à Swastima ? Et en quoi
était-elle selon vous parfaite pour le film ?
B.P. : Pour être honnête, je cherchais un acteur à l’état brut, qui n’ait pas de réelle expérience.
S.K. : Et moi, j’avais de l’expérience. C’est mon sixième film. Mais je suis curieuse de savoir ce que tu entends par acteur brut.
B.P. : C’est ce que j’imaginais au départ. Quand j’ai vu un des films de Swastima, je vais être honnête, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. (rires)
S.K. : C’était mon deuxième film, qui a fait un gros bide ! Et pourtant, c’était l’une de mes meilleures expériences. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai tellement appris de ce film.
B.P. : D’ailleurs, choisir ce film était peut-être une mauvaise décision au regard de son échec, mais c’est ce film qui m’a poussé à la choisir. J’y ai vu quelque chose en elle. Je me suis alors dit qu’elle pouvait le faire. Swastima a quelque chose d’unique qui collait tout à fait à ce que je voulais projeter à l’écran.
S.K. : Il a vu le film en tant que membre du jury des National Awards au Népal.
B.P. : Oui, et je me souviens avoir pensé qu’elle avait effectivement quelque chose de spécial. Et quand je l’ai rencontré la première fois, elle m’a dit qu’elle pensait ne pas être capable de le faire. C’est difficile, je peux le comprendre. Mais j’avais quand même envie de lui dire : mais t’es sérieuse ? (rires)
S.K. : Quand il m’a donné le script, le personnage principal avait 35 ans. Et sa fille avait 11 ans. Du coup, je lui ai demandé : est-ce que je dois jouer la mère de 35 ans ou sa fille de 11 ans ? (rires) Et en plus, je fais très jeune, les gens n’arrivent pas à croire que j’ai 24 ans. Alors, j’avais peur de ne pas être la personne qu’il fallait pour le rôle.
B.P. : Même son mari m’a demandé : tu es sûr de vouloir de Swastima pour le rôle ? (rires) Il était inquiet pour elle, il ne voulait pas qu’elle se sente dépassée. Mais parfois, il faut écouter son instinct.
S.K. : La première fois que je l’ai rencontré, je lui ai dit qu’il prenait un gros risque en me choisissant.
Vous doutiez de vous ou bien du fait que le rôle était fait pour
vous ?
S.K. : J’avais l’impression de porter la responsabilité du succès ou de l’échec de ce film, vous voyez ?
Oui, en quelque sorte, l’attention portée à Bulbul allait être plus importante dans la mesure où une grande star comme vous y prenait part, n’est-ce pas ?
S.K. : Oui mais après, je pense que je doutais de moi, aussi. Ce genre cinématographique, ce rôle… C’était une première pour moi. J’étais hésitante.
Ce film vous a forcé à sortir de votre zone de confort.
B.P. : C’est tout à fait ça.
Ce qui ne vous a pas empêché de croire en Swastima, n’est-ce pas, Binod ?
B.P. : Oui. Lors de cette fameuse rencontre durant laquelle elle pensait de ne pas être à la hauteur, je lui ai dit que justement, cette notion de risque était la raison principale pour laquelle je l’avais choisie. J’avais le sentiment qu’elle pouvait apporter quelque chose à Ranakala (le personnage qu’elle incarne dans Bulbul, ndlr). Certains de mes amis cinéastes questionnaient même ma décision parce qu’elle était surtout une actrice de films mainstream. Mais je voyais Ranakala en elle. Je n’avais pas peur. J’étais sûr de moi. Et j’ai d’ailleurs toujours dit que ce film serait comme une renaissance pour elle.
S.K. : Il l’a effectivement dit durant la première conférence de presse de notre film. Quand les journalistes l’interrogeaient sur le fait de m’avoir choisie, il n’arrêtait pas de dire que ce serait ma renaissance artistique.
Swastima, quel était selon vous le plus gros défi auquel vous vous êtes confrontée sur le tournage de Bulbul ?
S.K. : Je ne vois pas mon travail de cette manière-là. J’ai pris du plaisir avant tout. Techniquement, le vocabulaire était laborieux à assimiler pour moi. Mais dans l’ensemble, je n’ai pas trouvé ça difficile dans le sens où ça aurait été éprouvant pour moi. J’ai profité de cette expérience, des premières lectures du scénario aux ateliers de travail, jusqu’au tournage. J’ai adoré observer la ville pour m’en imprégner, prendre des leçons de conduite, finir par conduire un tempo (terme employé au Népal pour qualifier des véhicules semblables aux rickshaw en Inde, ndlr)...
B.P. : Se lever, à 4 heures du matin… (rires)
S.K. : Mais je me suis amusée ! Quand j’y repense, je ne vois pas ce projet comme un défi. J’en veux encore ! Je veux d’autres films comme celui-ci.
C’est sans doute une expérience formatrice en tant qu’artiste, n’est-ce pas ?
S.K. : Je ne saurais décrire ce qui a été formateur en particulier mais le tout a été génial pour moi.
Et ça vous a amené jusqu’ici, alors c’est un succès total !
S.K. : Oui, exactement.
Binod, vous avez également écrit et produit Bulbul. Pourquoi vouliez-vous être impliqué à tant de niveaux différents dans la création de ce film ?
B.P. : Personnellement, je pense qu’un réalisateur devrait écrire ses propres histoires. Je ne comprends pas pourquoi certains cinéastes engagent des scénaristes. C’est ma perception personnelle, bien entendu. Mais si vous n’êtes pas créateur, comment pouvez-vous être le meilleur conteur qui soit ? Vous devez créer votre propre vision, vous devez ressentir tout le potentiel et toute l’amplitude d’une histoire. Si vous achetez un scénario que vous dirigez ensuite, vous n’êtes pas réalisateur. Vous êtes manager, vous gérez des équipes. C’est en tout cas ce que je crois. Les choses qui vous touchent et que vous vivez, vous devez les raconter. Personne d’autre ne devrait le faire. On a tous une perspective différente sur une histoire. J’aurai mon regard, Swastima aura le sien, vous aurez le vôtre… Ce qui est fascinant en tant que cinéaste, c’est ma vision. En quoi mon regard sur cette histoire est intéressant.
Swastima, dans quelle mesure Binod vous a-t-il guidé dans l’approche de votre personnage ?
S.K. : Il n’est jamais directif. Il ne va jamais me dicter la manière dont je dois jouer une scène. Il est très ouvert. Durant les ateliers de travail, nous n’avons jamais joué de scène, nous n’avons jamais répété. Il s’agissait davantage de… Comment dire ? Tu peux m’aider ?
B.P. : Je voulais qu’ils vivent un moment.
S.K. : Exactement !
B.P. : Je voulais qu’ils vivent un moment plutôt que de le jouer.
S.K. : Il y a eu presque deux mois d’ateliers, mais nous n’avons jamais joué la comédie à proprement parler. Je ne suis pas vraiment une actrice, je n’ai en tout cas jamais pris de cours de comédie. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. C’était donc nouveau pour moi de faire ces ateliers. Les gens le paient pour apprendre ce métier et moi, j’ai été payée pour apprendre de lui ! (rires) Plus sérieusement, il est très ouvert dans la manière dont on a abordé nos personnages. Il m’a laissé faire, nous avons beaucoup parlé de Ranakala, de son look, de son vocabulaire, de son accent, de sa posture...
B.P. : Nos échanges se basaient essentiellement sur des situations. Comment se sentirait-elle dans cette situation ? Comment réagirait-elle dans cet état émotionnel ? Comment exprimerait-elle ce qu’elle ressent ? C’est de cette façon que nous avons travaillé ensemble sur Ranakala.
S.K. : C’était une très bonne expérience. Il n’a jamais adopté la posture du professeur et moi celle de l’élève. C’était du partage et de l’interaction en permanence. D’ailleurs, je peux dire avec une certaine fierté que j’ai apporté énormément à ce personnage. Le langage corporel par exemple, c’était mon idée, ça ne m’a pas été dicté par Binod. Si j’avais été trop scolaire dans mon approche, le résultat aurait été mécanique.
B.P. : Je crois dans le fait que chaque acteur a une personnalité unique. Et en tant que réalisateur, vous devez explorer cette personnalité et ce rapport singulier aux émotions qu’a tout un chacun.
S.K. : Ce qui est formidable dans notre collaboration, c’est notre faculté à nous comprendre l’un l’autre. Nous n’avons pas besoin de discuter pendant des heures pour que je sache ce qu’il attend de moi, et inversement. Et c’était vraiment génial.
Enfin, quels sont vos projets à venir ? Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ou bien profitez-vous pleinement de la phase Bulbul ? (rires)
B.P. : La phase Bulbul consiste principalement à flâner dans Paris. (rires) La France est le pays de mes rêves, pas seulement en tant que touriste. La littérature, le cinéma… Et vous savez, j’adore le public français. Il aime tous les genres de films. Les français ont accepté François Truffaut, Federico Fellini et même Gaspar Noé, qui est un réalisateur très extrême. J’en étais presque jaloux, je me demandais pourquoi je n’étais pas plutôt né ici ! (rires) Sinon, il y a trois mois, j’ai travaillé sur un nouveau projet aux Etats-Unis, portant sur la condition des réfugiés. Mais malheureusement, mon producteur et moi n’avons pas réussi à lever les fonds nécessaires. J’ai donc décidé de le mettre en stand-by et suis en train d’écrire un autre métrage au Népal, avec les acteurs de l’école dans laquelle j’enseigne.
S.K. : Il a l’avantage d’avoir sous la main des acteurs à sa disposition. (rires) Et en plus, ils travaillent gracieusement. (rires)
B.P. : J’avoue que j’ai de la chance, je suis entourée de gens très volontaires.
Et vous, Swastima ? Vous avez remporté plusieurs trophées pour Bulbul. Voulez-vous savourer cette période de votre carrière ou êtes-vous déjà sur d’autres métrages ?
S.K. : Pour être honnête, je veux un autre bon film. C’est presque embarrassant, je reçois tellement d’amour pour Bulbul mais maintenant, je veux continuer ainsi. Que Bulbul ne soit pas l’exception de ma carrière. J’avoue que je suis gourmande.
Mais c’est une bonne chose.
S.K. : J’ai eu beaucoup de prix pour Bulbul, mais maintenant j’en veux pour d’autres films. Je veux confirmer l’essai !
Et pourquoi pas avec Binod ? (rires) Je dis ça comme ça ! (rires)
S.K. : Le premier prix de ma carrière, je l’ai reçu lors d’un festival au Sri-Lanka pour Bulbul. Et le second, c’était le National Award au Népal. Bulbul
Et peut-être que maintenant, après avoir prouvé votre énorme potentiel, votre mari serait enclin à vous diriger ?
S.K. : Je pense qu’il est en train d’y travailler. Je sais qu’il avait des doutes avant que je fasse Bulbul. C’est l’un des meilleurs réalisateurs du Népal, l’un de ses films a d’ailleurs été projeté ici, au FFAST (Loot, présenté lors de la première édition du festival, ndlr). Je suis donc très fière qu’il me voie comme une bonne actrice. Maintenant, il me taquine en me disant qu’il apprendra de moi, vu que je viens de gagner un National Award. (rires)