La critique de : Jayeshbhai Jordaar (★★★★☆)

samedi 21 mai 2022
critique ranveer singh Jayeshbhai Jordaar
Jayeshbhai Jordaar est sorti en France grâce au distributeur Desi Paris Entertainment. Avec Maneesh Sharma (Band Baaja Baaraat, Shuddh Desi Romance, Fan) à la production et Ranveer Singh (Bajirao Mastani, Gully Boy, 83) en tête d’affiche, j’avais forcément quelques espérance au sujet de ce projet. D’autant que le métrage est financé et distribué par la bannière Yash Raj Films, qui a longtemps fait les beaux jours de Bollywood et qui m’a personnellement offert parmi certains de mes films favoris, de Dilwale Dulhania Le Jayenge (1995) à Hum Tum (2004).

Pour autant, la boîte de production est en perte de vitesse depuis la dernière décennie, ayant désespérément tenté de se sortir de l’oubli avec des oeuvres inégales qui mettent en vedette Madame Yash Raj, en la personne de Rani Mukerji (grande star de la maison durant sa grande époque et accessoirement épouse du président de la société, Aditya Chopra). Mais hélas, sans succès.

Il faut aussi avoir en tête l’histoire de Jayeshbhai Jordaar en tant que projet cinématographique, qui devait initialement sortir en 2020.

Mais comme vous le savez, la pandémie a considérablement bouleversé le calendrier de sorties de ces deux dernières années et c’est pourquoi l'œuvre ne nous est proposée qu’aujourd’hui. Il faut donc garder à l’esprit le fait que le métrage ait été initié dans un tout autre contexte, antérieur à la crise sanitaire que nous vivons. Un contexte dans lequel le cinéma hindi était particulièrement friand de films à la fois commerciaux et engagés, initiés par des acteurs comme Akshay Kumar, Rajkummar Rao et Ayushmann Khurrana. Yash Raj Films s’est donc probablement dit que, eu égard aux succès de métrages aux messages sociaux comme Toilet - Ek Prem Katha (2017) ou Badhaai Ho (2018), il fallait offrir à l’audience une œuvre qui s’inscrive dans un registre et sur un ton similaires. En l'occurrence un thème social fort, mais un format très grand public avec chansons et scènes comiques au menu.

Depuis, le cinéma hindi a évolué, et le Covid-19 n’y est pas innocent.

Car pendant les deux années où la pandémie a fortement frappé, les salles de cinéma sont restées closes et des petits films se sont faits remarqués sur des plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime Video. Depuis cette année, la réouverture des salles a vu l’avènement du cinéma indien de grand spectacle, avec les succès retentissants des films dravidiens RRR et K.G.F. - Chapter 2. Et au milieu de tout cela, Bollywood semble avoir du mal à retrouver sa place d’industrie leader…

Ainsi, Jayeshbhai Jordaar semble être sorti trop tard, ce qui peut expliquer ses résultats décevants au box office indien. Surtout pour un acteur aussi bankable que Ranveer Singh, qui signe en six mois son second échec populaire après le bide de l’intéressant 83, projeté en salles obscures en fin d’année 2021.

Mais si l’on omet ces éléments extérieurs au film lui-même, que vaut Jayeshbhai Jordaar ?

Jayeshbhai Jordaar est un formidable récit sur l’émancipation et la lutte contre des traditions destructrices. Il n’est pas parfait, c’est une certitude. Le film a effectivement cette fâcheuse tendance à rendre loufoques des situations qui auraient eu davantage de poids avec une caractérisation plus grave, plus dramatique. Aussi, la fin est très édulcorée, très naïve. Elle peut être porteuse d’espoir mais manque toutefois de nuance. Elle arrive presque sans transition, ni trop de logique et peut même contredire une bonne partie des enjeux initiaux du film. Pour autant, j’ai beaucoup aimé Jayeshbhai Jordaar malgré ses évidentes aspérités. Car le métrage a pour lui de nombreux atouts.

D’abord, il y a Ranveer Singh, qui est toujours très bon dans le registre de la comédie. Ici, il incarne un père de famille écrasé par le poids des traditions, prisonnier d’une relation d’emprise avec son père. Le film ne l’illustre jamais comme quelqu’un de faible, mais comme une personne à la sensibilité accrue qui tente de verbaliser ses émotions. Son personnage vient contribuer, doucement, à la déconstruction de l’archétype toxique du “mâle alpha”. La notion de masculinité toxique est presque omniprésente au cinéma indien, et il est rare de voir des héros de cinéma se montrer profondément vulnérables (sauf quand on les prive de leur amoureuse…). C’est ainsi que des films comme Kumbalangi Nights (excellente œuvre en langue malayalam que je vous recommande) ou encore Premam (autre métrage de Mollywood absolument génial) ont fait du bien dans cette intention. Pour en revenir à Ranveer, l’acteur se donne, n’a jamais peur d’avoir l’air bête et nous touche de manière incontestable.

A ses côtés, Boman Irani, Ratna Pathak Shah et Shalini Pandey remplissent leur contrat. Mais une seule personne arrive à exister de manière remarquable face à l’énergique époux de Deepika Padukone : Jia Vaidya, qui incarne Siddhi, la fille aînée de Jayeshbhai. La jeune fille est la véritable vedette de toutes les scènes auxquelles elle prend part et marque durablement le spectateur. Nul doute que l’on risque fortement d’entendre parler d’elle à l’avenir…

Divyang Thakkar, dont c’est la première réalisation en hindi, livre une mise en scène parfois inspirée (avec l’usage intelligent de travelling et de ralentis), parfois très scolaire.

C’est regrettable que le métrage n’ose pas davantage, surtout au regard de sa thématique. Lorsque l’on voit les œuvres sorties cette année, par exemple Looop Laapeta et Gehraiyaan, on note chez elles un souci d’audace dans la manière de diriger leur film, de le mettre en scène, d’en raconter l’histoire à travers l’image de façon différente. En comparaison, Jayeshbhai Jordaar ne peut que sembler daté, presque puéril dans certains de ses partis-pris.

Mais son efficacité prend le dessus sur le reste.

En effet, le rythme de Jayeshbhai Jordaar est tel qu’on ne décroche jamais, qu’on se retrouve embarqué dans cette course folle pour la liberté qu’entament Jayeshbhai et sa famille. Comme si on se trouvait dans un train à grande vitesse, duquel il nous était impossible de sortir…

En conclusion, Jayeshbhai Jordaar n’est probablement pas le meilleur film qui soit sorti cette année (et nous ne sommes qu’en mai). Mais il a pour lui son dynamisme, une distribution investie et de bonnes idées visuelles, parsemées de-ci de-là tout au long de l'œuvre.
LA NOTE: 3/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?