Critique : Chashme Baddoor (★★★☆☆)

dimanche 25 juin 2023
Chashme Baddoor critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 7 de Bolly&Co, page 132.

David Dhawan revient derrière la caméra en 2013 avec Chashme Baddoor, remake du succès de 1981 avec Farooq Sheikh et Deepti Naval. Le film compte à son casting le chanteur pakistanais Ali Zafar, les stars du sud Siddharth et Taapsee Pannu ainsi que le jeune Divyendu Sharma. La distribution peut également compter sur le soutien des incontournables Anupam Kher, Rishi Kapoor et Lilette Dubey.

Les remakes sont à la mode à Bollywood, qu’ils soient régionaux (Ready, Singham, Bodyguard), tirés de classiques (Agneepath, Himmatwala, Zanjeer) ou d’oeuvres internationales (Akele Hum Akele Tum, Mann, Speed). David Dhawan est connu pour nous proposer du très bon comme du minable, et n’a pas dirigé depuis le bide de Rascals, avec Sanjay Dutt et Ajay Devgan. Il est à la franche comédie ce que Kunal Kohli est à la romcom : un bourrin qui sait y faire, sans pour autant être infailliblement inspiré. Avec Chashme Baddoor, il abandonne ses acteurs de prédilection Salman Khan et Govinda pour mettre en tête d’affiche des comédiens frais et dynamiques, mais aussi plus jeunes. On peut dire que le cinéaste a pris un risque considérable en confiant la charge de son œuvre à ce casting à la popularité encore frêle. De plus, il engage la jeune Taapsee Pannu pour tenir le rôle principal féminin, dont c’est le premier film en hindi. Divyendu Sharma signe là son second métrage après sa prestation acclamée dans Pyaar Ka Punchnama, en 2011. Quant à Siddharth, son dernier film bollywoodien en date, Striker, a floppé en 2010. Seul Ali Zafar a su s’imposer avec les cartons critiques et populaires de Tere Bin Laden, Mere Brother Ki Dulhan et London Paris New York.

Mais Chashme Baddoor version 2013 parvient-il à trouver son identité en nous faisant suffisamment oublier l’original ?



Sid (Ali Zafar) est un jeune homme simple et honnête, et ce contrairement à ses deux amis Jai (Siddharth) et Omi (Divyendu Sharma), véritables beaux parleurs lorsqu’il s’agit de servir leurs intérêts. Et le jour où Seema (Taapsee Pannu) arrive dans le voisinage, les choses se corsent entre les trois compères...

La comédie est ici grossière sans en devenir indigeste. En effet, Chashme Buddoor emploie là d’énormes ficelles que l’on connaît au cinéma indien depuis des lustres (Andaz Apna Apna, Housefull, Ajab Prem Ki Ghazab Kahani...). Pourtant, le résultat est plutôt efficace. On rit de bon cœur, on passe un bon moment sans avoir oublié au préalable de débrancher son cerveau. Car il faut bien avoir en tête que Chashme Buddoor n’est en rien intelligible, encore moins subtil. On a affaire à un humour de masse, destiné à un public familial. Tous les archétypes de la comédie sont exploités dans Chashme Buddoor: un mensonge qui crée plusieurs quiproquos, avec les situations loufoques qui en découlent.

Taapsee Pannu ne tient là qu’un rôle anecdotique prétexte aux scènes comiques sans jamais en être l’actrice. Cependant, elle incarne son rôle avec panache et conviction, sans pour autant laisser de réelle empreinte.

Ali Zafar écope d’un rôle relativement lisse, dans lequel il ne manque toutefois pas de charisme. Mais le relief que possèdent les personnages de Jai et Omi, campés par Siddharth et Divyendu Sharma respectivement, lui fait défaut. Pourtant excellent dans le registre comique (il était le véritable atout de Mere Brother Ki Dulhan, mémorable en frère indécis), son personnage le réduit à une certaine fadeur. Ce sont effectivement Siddharth et Divyendu qui font le show, nous gratifiant de leur lourdeur et de leur maladresse tout au long du film. L’un cinéphile, l’autre poète, ils saupoudrent leurs facéties des dialogues pertinents et fantaisistes de Farhad-Sajid. C’est avec délectation qu’on savoure leurs aventures, leurs mensonges et leurs erreurs. Il est d’ailleurs franchement plaisant de retrouver Siddharth avec un personnage aussi indécent, lui qui a surtout une image de héros romantique délicat à Tollywood.

Mais l’autre révélation vient d’un acteur qui n’a désormais plus rien à prouver : le grand Rishi Kapoor.

Avec les années, la plupart des comédiens indiens sont limités aux personnages de pères ou d’antagonistes. Mais le fils de Raj Kapoor a su donner un nouveau souffle à sa carrière dès lors que sa période de "jeune premier" lui a filé entre les doigts. Il a depuis campé un producteur de cinéma dans Luck By Chance, un père et mari fuyant dans Hum Tum, un amoureux nostalgique dans Love Aaj Kal, un proviseur queer dans Student of The Year, un méchant sans vergogne dans Agneepath, un amant dévoué dans Jab Tak Hai Jaan... On sent que le comédien n’a peur de rien, et ce pour notre plus grand bonheur !

Côté production, on a le sentiment que David Dhawan est devenu comme Aditya Chopra, s’auto-référençant sans cesse. Chashme Buddoor donne ainsi l’occasion de voir Siddharth et Taapsee danser sur « What Is Mobile Number » de Haseena Maan Jaayegi, tandis que Rishi Kapoor se trémousse avec Lilette Dubey sur « Tu Tu Tara » de Bol Radha Bol.

En ce qui concerne la bande-originale, elle est dirigée par Sajid-Wajid. Album coloré et énergique, la musique de Chashme Buddoor est d’autant plus réussie qu’elle est totalement originale. Aucun titre du film de 1981 n’a été réutilisé et le duo de compositeurs nous offre une bande-son pleine d’identité. Le morceau qui reste le plus en mémoire est la tordante « Har Ek Friend Kameena Hota Hai », chantée par Sonu Nigam. Le titre « Dhichkyaaon Doom Doom » existe en deux versions, mais celle qui bénéficie des voix de Ali Zafar et Shreya Ghoshal est la plus agréable. Le son « Early Morning » de Sonu Nigam a aussi droit à son remix, toujours avec le grain de Ali. On écoutera sans déplaisir « Ishq Mohallah », avec le timbre du percutant Mika Singh. Enfin, l’album se conclut sur la tonitruante « Andha Ghoda Race Mein Dauda », interprétée par Ali et Wajid. On peut cependant regretter amèrement l’absence de Siddharth sur cet album, qui est effectivement un excellent chanteur ayant contribué à plusieurs chansons de ses précédents films.

En conclusion



Chashme Buddoor n’est pas la comédie la plus fine, ni la plus recherchée, mais elle a le mérite d’être divertissante. Le casting est en totale harmonie, sans qu’un acteur ne surplombe excessivement l’autre. L’absence de grosse tête du cinéma hindi sert le film, qui se base sur l’alchimie de ses trois acteurs vedettes. Ali Zafar, Siddharth et Divyendu Sharma ont su donner vie à leurs personnages avec beaucoup de justesse et sont les artisans du succès du film, qui a réalisé de très bons scores au box-office lors de sa sortie en 2013. Chashme Buddoor est donc une comédie pleine de bonnes intentions, qui vous fera passer deux heures de franche rigolade.



LA NOTE: 3/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?