Shabana Azmi, grande dame au coeur rebelle.

lundi 18 septembre 2023
shabana azmi portrait bollywood
Aujourd'hui, nous célébrons l'anniversaire d'une figure emblématique du cinéma indien : la fantastique Shabana Azmi, née ce jour en 1950. Fille du poète Kaifi Azmi et de l’actrice de théâtre Shaukat Azmi, Shabana était prédestinée à une vie d’artiste. C’est donc sans surprise qu’après des études de psychologie, elle intègre le Film and Television Institute de Pune, duquel sont également sortis Jaya Bachchan, Naseeruddin Shah, Sanjay Leela Bhansali ou encore Sriram Raghavan.

Fine fleur d'un cinéma engagé, peu conventionnel et très contemporain dans son propos, Shabana Azmi s'est vite illustrée dans des rôles originaux, à l'image de sa dite rivale de l'époque, Smita Patil.



Sur sa carrière longue de près de 50 ans, elle a tourné dans plus de 160 films et a contribué à redéfinir la place de la femme sur grand écran. Pour rendre hommage à cette comédienne iconique sans se lancer dans une biographie de 200 pages, nous vous proposons d’appréhender sa carrière à travers quelques-uns de ses rôles marquants de chaque décennie…

La Shabana Azmi des 1970’s : sa ‘girl-next door’ era.



Laxmi dans Ankur (1974)

S’agissant de la première réalisation du génial Shyam Benegal, Ankur est inspiré d’une histoire vraie qui aurait eu lieu dans les années 1950. Elle y incarne une domestique qui entretient une liaison avec un étudiant, en visite dans son village. Le film lance la carrière de la jeune Shabana, alors âgée de seulement 24 ans. Surtout, il lui vaut le National Award de la Meilleure Actrice, le tout pour ses débuts. Une énorme prouesse annonciatrice de la suite de sa prodigieuse carrière…




Saudamini dans Swami (1977)

Saudamini est une intellectuelle, amoureuse de la littérature. Elle évolue dans un environnement où elle est stimulée en permanence. Et même lorsque sa mère la somme de se marier, elle ne se laisse pas intimider. Au cœur d’un triangle amoureux des plus classiques, la comédienne insuffle beaucoup de profondeur à ce personnage qui n’existe pas uniquement à travers ses amours. Ce rôle rafraîchissant vaudra à Shabana son premier Filmfare Award de la Meilleure Actrice. Le premier d’une longue liste…




Lakshmi dans Amar Akbar Anthony (1977)

Dans cette comédie populaire de Manmohan Desai, Shabana incarne une arnaqueuse qui doit faire face à son affreuse belle-mère. Si son rôle est ici plus limité, il prouve à quel point la jeune femme excelle aussi dans un registre populaire, face à la superstar Amitabh Bachchan. Shabana y est lumineuse, drôle et touchante. Un régal !




La Shabana Azmi des 1980’s : sa ‘sensitive’ era.



Pooja dans Arth (1982)

Dans ce film de Mahesh Bhatt, Shabana incarne une sage épouse qui, en découvrant l’adultère de son mari, entame une quête identitaire qui sera finalement libératrice. L’enjeu n’est ici pas de décider qui de Pooja ou de Kavita (incarnée par l’excellente Smita Patil) gagnera le cœur du mari. Mais la tromperie sert de catalyseur pour les deux jeunes femmes afin de réfléchir sur leurs désirs profonds et sur leur existence. Shabana y est d’une sensibilité retenue saisissante, ce qui lui vaudra une double distinction, et pas des moindres ! En effet, elle sera lauréate du National Award et du Filmfare Award de la Meilleure Actrice.




Bhavna Saxena dans Bhavna (1984)

Ici, Shabana campe une jeune fille de milieu très pauvre, tombée amoureuse d’un artiste rejeté par sa riche famille. Bhavna va donc se confronter à la pauvreté extrême, surtout lorsqu’elle est abandonnée, enceinte, par son lâche époux. L’actrice réussit la gageure d’être profondément bouleversante sans sombrer dans le misérabilisme indigeste, ce qui lui permettra de rafler son second Filmfare Award de la Meilleure Actrice.




Jamini dans Khandhar (1984)

Sous la houlette de l’immense Mrinal Sen, Shabana Azmi retrouve l’un de ses partenaires de prédilection, Naseeruddin Shah, au service de ce métrage sombre et réaliste. Une habitation en ruines devient alors le théâtre d’une mascarade orchestrée à l’encontre de la jeune Jamini, qui espère voir son futur époux lui rendre visite. Shabana représente à la fois l’espoir, la vulnérabilité et le désarroi de Jamini face à la fatalité. C’est ainsi qu’elle reçoit son troisième National Award de la Meilleure Actrice, en toute logique.




Le saviez-vous ? C’est la seule comédienne à avoir reçu 4 nominations aux Filmfare Awards dans la catégorie de la Meilleure Actrice la même année ! Oui, elle a bel et bien été pressentie en 1984 pour Avtaar, Mandi, Masoom et Arth, remportant le prix pour ce dernier.

La Shabana Azmi des 1990’s : sa ‘I don’t give a damn’ era.



Imtiaz Begum dans In Custody (1993)

En épouse délaissée d’un poète mourant (campé par un Shashi Kapoor méconnaissable), Shabana Azmi livre l’une des performances les plus viscérales de son impressionnant parcours dans cette réalisation d’Ismail Merchant. Devenu incontournable auprès des amoureux de cinémas du monde, In Custody est inscrit à la Cinémathèque.



Radha dans Fire (1996)

Premier volet de la trilogie des éléments de Deepa Mehta, le métrage est également précurseur en Inde en évoquant aussi frontalement la question de l’homosexualité. Shabana y tient le rôle de Radha, une femme au foyer esseulée qui s’éprend de sa belle-soeur. Si le public puritain s’est à l’époque offensé de l'œuvre, elle demeure l’une des plus incontournables de la carrière de Shabana qui, par son courage, a permis d’ouvrir le débat sur les droits des personnes LGBTQIA+.

Le film est disponible ici.


Rambhi dans Godmother (1999)

Shabana ne cesse jamais de nous surprendre puisqu’elle est cette fois Rambhi, une femme gangster et future puissance politique. Bien avant qu’Alia Bhatt ne s’y frotte avec Gangubai Kathiawadi, Shabana avait déjà porté un personnage féminin d'une telle force, et ce avec un savoir-faire inégalé. Le métrage raflera la mise aux National Awards avec 6 trophées, notamment celui de la Meilleure Actrice pour la comédienne.




Le saviez-vous ? En 1984, elle épouse le parolier, scénariste et poète Javed Akhtar. Par cette union, elle devient la belle-mère des talentueux Farhan Akhtar et Zoya Akhtar. Shabana est également la tante des actrices Farah Naaz et Tabu.

La Shabana Azmi des 2000’s : sa ‘everything everywhere all at once’ era.



Makdee dans Makdee (2003)

Dirigée par le génie Vishal Bhardwaj, Shabana s’essaie à la comédie horrifique dans ce métrage destiné à un jeune public. Et pour le coup, elle enfile littéralement le costume de la méchante sorcière face à la jeune Shweta Basu Prasad. Depuis, les enfants indiens de la gen-z n’ont jamais oublié la vilaine Makdee, devenue un personnage marquant de la pop culture locale. Pour sa prestation, Shabana sera d’ailleurs pressentie pour le Filmfare Award du Meilleur Antagoniste.




Khanum Jaan dans Umrao Jaan (2006)

Dans ce film de J.P. Dutta, Shabana se fait un petit kiff puisqu’elle reprend le rôle initialement campé par sa maman, Shaukat Azmi, dans la version originale de 1981. Et comment dire qu’elle lui rend parfaitement justice ? Avec ce métrage, la comédienne prouve surtout qu’aucun défi ne l’arrête, sûrement pas passer après son illustre mère dans le remake d’une œuvre culte.

Le film est disponible ici.


Naheed dans Honeymoon Travels Pvt. Ltd. (2008)

Au cœur de ce film choral solaire de Reema Kagti, Shabana est l’incarnation des secondes chances à travers sa relation emplie de tendresse avec son époux Oscar (joué par le sympathique Boman Irani). L’actrice prouve ainsi qu’elle n’est pas condamnée aux rôles de mère nourricière et que même à son âge, elle sait aller vers des personnages complexes et parfaitement écrits. Le film est disponible sur Prime Video (hors France).




La Shabana d’aujourd’hui : sa ‘won’t settle’ era.



Rama Bhanot dans Neerja (2016)

Shabana nous prend aux tripes dans ce biopic poignant de l’hôtesse de l’air Neerja Bhanot, réalisé par Ram Madhvani. On croit volontiers en elle, qui joue sa mère, en son inquiétude et en son inéluctable chagrin. Comme pour saluer la longévité de sa carrière et l’immensité de son talent, elle sera sacrée Meilleur Second Rôle Féminin aux Filmfare Awards. Le film est disponible sur Disney+ Hotstar (hors France)




Satya Maasi dans Kaali Kuhi (2020)

Avec ce métrage, Shabana Azmi illustre sa capacité à passer d’un registre à un autre avec une aisance presque indécente ! Effectivement, on la retrouve ici dans un pur film d’horreur, disponible sur Netflix. Et le résultat est glaçant !




Jamini Chatterjee dans Rocky Aur Rani Kii Prem Kahaani (2023)

Quand on nous annonce que la fabuleuse comédienne sera au casting du prochain film de Karan Johar, on a de quoi craindre le pire ! Un rôle décoratif de mamie ? Que nenni ! Puisque dans Rocky Aur Rani Kii Prem Kahaani, Shabana joue la magnifique Jamini, amour de jeunesse de Kanwal (campé par Dharmendra) et amatrice de poésie. Son charme est toujours intact et sa complicité avec son partenaire fonctionne à merveille. Au panthéon des nombreuses leçons que nous donne l’actrice, il y a celle-ci : l’amour n’a pas d’âge !



Le saviez-vous ? Shabana Azmi détient un impressionnant record ! En effet, elle est la lauréate du plus grand nombre de National Awards de la Meilleure Actrice, élevé au nombre de 5. Le tout pour ses prestations dans Ankur (1974), Arth (1982), Khandhar (1984), Paar (1984) et Godmother (1999).

Véritable touche-à-tout, Shabana Azmi est sans aucun doute l’actrice sur laquelle on peut compter pour découvrir des pépites. S’il y a bien une filmographie sur laquelle vous devez vous attarder, c’est incontestablement la sienne !



Par ailleurs, Shabana est aussi l’un des visages récurrents de l’Inde en Occident, en ayant travaillé sur de nombreux projets en langue anglaise. Elle était notamment au casting de Madame Sousatzka (sorti en 1988, avec Shirley MacLaine), La Nuit Bengali (sorti en 1988, avec Hugh Grant), La Cité de la Joie (sorti en 1992, avec Patrick Swayze), Le Fils de la Panthère Rose (sorti en 1993, avec Roberto Benigni) mais aussi récemment de Et l’amour dans tout ça ? (sorti en 2022, avec Lily James).

Actrice dévouée et polyvalente, Shabana Azmi a ouvert la voie à une nouvelles catégories de comédiennes, moins 'bankable' et plus audacieuses, comme Konkona Sen Sharma, Tillotama Shome, Radhika Apte et Shahana Goswami. Shabana demeure à ce jour l’une des actrices les plus importantes des cinémas indiens par son engagement dans des œuvres authentiques et réalistes, portant des messages nécessaires de tolérance et d’émancipation. Loin d’entrer dans le moindre carcan, elle a mis au goût du jour la polyvalence et la prise de risque, inspirant plusieurs générations d’actrices indiennes après elle.
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?