Fearless Nadia, l’intrépide.

lundi 8 janvier 2024
cinéma indien fearless nadia
L’époque du noir et blanc. Une ère qui évoque une certaine nostalgie, même si nous n’y avons pas vécu. Avec ses films qui inspirent à ce jour les cinéastes, entre reprises de grands classiques, ou hommages rendus à des actrices qui ont fait chavirer les cœurs. Des artistes talentueux ont marqué cette période du cinéma indien.

Pour celles et ceux qui croyaient que le cinéma indien centré sur les femmes était un phénomène nouveau, permettez-moi de vous dire : vous avez tort !



Car effectivement, depuis ses prémices, Bollywood a misé sur ses héroïnes, à tel point qu’elles sont devenues des superstars auprès des masses. L’une des premières grandes vedettes féminines du cinéma indien s’appelle Mary Ann Evans. Elle est australienne et verra le jour en 1908. Un an plus tard, son père (*engagé dans l’armée britannique*) sera affecté à Bombay. Elle vient le rejoindre en 1913, sans s’imaginer que ce changement de lieu de vie bouleversera sa destinée.

En 1915, son père décède durant la première guerre mondiale, et la jeune **Mary** déménage avec sa famille à Peshawar (situé dans l’actuel Pakistan). Elle y apprend l’équitation, la chasse, la pêche et le tir, devenant une femme aussi forte que l’homme qui l’a élevé. Elle s’exerce également en danse classique, prouvant ainsi que rien de l’arrête. Cela dit, il lui faut attendre 1928 pour revenir à Bombay avec sa mère et un bébé du nom de **Robert**, dont on ne sait rien des circonstances de la naissance. Elle intègre alors la troupe de ballet de Madam Astrova, qui se produit notamment au sein des bases militaires indiennes. Par son agilité et sa souplesse, **Mary** devient rapidement l’une des vedettes de la troupe. 

A la même époque, elle aurait consulté un voyant arménien, qui lui aurait prédit une grande carrière à la condition qu’elle porte un nom commençant par la lettre N.

C’est ainsi que Mary deviendra Nadia. Après avoir travaillé dans un cirque, elle est introduite au milieu du cinéma par J.B.H. Wadia, propriétaire du studio Wadia Movietone qui se spécialise dans le film d’aventure dès le début des années 1930. Elle prend des cours de hindi et après quelques petits rôles, elle est lancée en grandes pompes en 1935 avec Hunterwali, blockbuster de l’époque dans lequel elle incarne une princesse devenue justicière masquée.

Le public est enchanté face à cette australienne aux yeux clairs qui marque par son bagout. Surtout, Nadia exécute la totalité de ses cascades, ne reculant devant aucune acrobatie. Le phénomène est bien lancé ! Le Bombay des années 1930 est littéralement sous le charme de celle qui verra attaché à son nom l’adjectif « Fearless » (traduisible par « sans peur », « intrépide »). Car rien n’arrête Nadia, qu’il s’agisse de faire face à des vrais fauves en liberté dans Jungle Princess (en 1942), de se battre sur un train en marche dans Miss Frontier Mail (en 1936) ou en collant des bourre-pifs à plusieurs hommes en même temps dans Muqabala (en 1942). Ses talents de cavalière font également des émules, à tel point que son fidèle destrier aura droit à son propre surnom : Punjab Ka Beta (« Le fils du Pendjab » en hindi).

J.B.H Wadia est joint par son frère cadet Homi à la production des films de Nadia. Ce dernier tombe follement amoureux de l’actrice, qui répondra à ses sentiments par l’affirmative.

Si le couple souhaite se marier, la mère de Wadia voit d’un très mauvais œil l’union de son fils avec une étrangère, qui plus est mère d’un enfant né hors mariage. Le couple devra donc prendre son mal en patience... Pourtant, la situation financière du studio se dégrade. J.B.H. Wadia est contraint de ne produire que deux films par an et abandonne le genre du ‘stunt movie’ au profit de projets plus sérieux. Nadia doit de fait arrêter sa carrière... En tout cas momentanément. Car Homi (auquel elle n’est alors pas encore mariée) ne la lâche pas et ouvre sa propre maison de production, Basant Pictures. S’il tente d’offrir à la belle un rôle différent avec Mauj (qui fera un bide), il comprend très vite que le public souhaite retrouver Fearless Nadia dans son registre de prédilection.  Il produit donc Hunterwali Ki Beti en 1943.

Le public répond présent de manière massive. Les tournages s’enchainent de nouveaux et malgré le poids des années, Nadia ne perd rien de sa condition physique.

On la retrouve dans des films très appréciés du grand public tels que 11 0’Clock (1948), Dhoomketu (1949), Jungle Ka Jawahar (1953) et Jungle Queen (1956). La fatigue se fait cela dit sentir, Nadia approchant de la cinquantaine. En 1961, elle finit par épouser Homi après le décès de sa mère, principale opposante à leur union. Suite à ces épousailles, Homi adoptera officiellement Robert, le fils de Nadia. 

Après plus de dix ans d’inactivité au cinéma, Nadia s’offre l’ultime rôle de sa carrière dans Khiladi, réalisé par son époux et dans lequel elle incarne un agent secret à la manière de James Bond.

À presque 60 ans, Nadia et Homi sont alors de véritables précurseurs en matière de cinéma « female centric ». Surnommée l’Indian Pearl White (à mon sens très réducteur tant le style de Nadia était inimitable), elle devient une vedette grâce aux films d’action et de cascade qu’elle porte sur ses uniques épaules. Au même titre que l’actrice américaine Pearl White, en plus vaillante encore, Nadia déconstruit férocement le carcan de la demoiselle en détresse en s’illustrant comme une femme forte et triomphante, qui n’a nullement besoin des hommes pour la secourir.  Elle a largement inspiré Vishal Bhardwaj dans l’écriture de Miss Julia, personnage tenu par Kangana Ranaut dans le drame romantique Rangoon. Car si le récit du métrage sorti en 2017 n’a rien à voir avec le parcours de vie de Nadia, le look de Miss Julia est clairement calqué sur celui de l’iconique comédienne.

Féministe jusqu’à la moelle, Nadia s’éteindra en 1996, à l’âge de 88 ans. Et ce après avoir clairement révolutionné le cinéma indien durant ses 30 années de carrière.

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?