Bolly&co Magazine

Ce qu’on aimerait bien demander au Père Noël concernant le cinéma indien en 2025…

24 décembre 2024
Rajkummar Rao Varun Dhawan et Shraddha Kapoor pour le film indien Stree 2
Chaque année, à l’approche des fêtes, il est l’heure pour moi de formuler quelques demandes au Père Noël vis-à-vis des cinémas indiens. Après 3 ans, j’ai toutefois l’impression de me plaindre et de me répéter en permanence. Mais en fait, plutôt que d’écrire à Papa Noël, je devrais peut-être taper un scandale dans les studios de tournage directement. Cependant, nous allons rester dans la non violence et réclamer avec des yeux d’enfants rêveurs de jolies choses pour l’année 2025.

Voici mes requêtes, Père Noël.



Peut-on retourner dans le monde des bisounours ?

Non, je ne suis pas une âme sensible - la preuve, regarder un épisode de la série Hannibal ne m’a jamais empêché de m’enfiler trois kebabs. Mais dernièrement, en plus d’enchaîner les films d’action testostéronés, voilà qu’il faut aussi que les métrages soient gratuitement violents. La censure se fait un plaisir de réclamer des coupures à l'égard d'une scène de baiser, mais face au découpage d'une tête qui inonde de sang l’écran à coups d’effets spéciaux, aucun problème. C’est apparemment family friendly. Pas du tout. C’est d’autant plus emmerdant que cette violence est régulièrement glamourisée et justifiée de façon (très) douteuse. Toutes les victimes n'attendent évidemment qu’une chose : que quelqu'un aille massacrer le coupable. Régler un souci par la violence, c’est la seule solution ? Vraiment ? Où sont passés les films avec des personnages complexes, avec un sens de la morale et de la justice ? Où sont les vraies plongées émotionnelles qui bousculent les convictions et les principes ? Et allons plus loin : où sont les comédies familiales fun et agréables ? Et surtout musicale ?! Rocky Aur Rani Ki Prem Kahani (sorti fin 2023) n’était peut-être pas parfait à mes yeux, mais bon sang qu’est-ce qu’il m’a fait du bien ! J’aimerais bien retrouver le cinéma qui avait le goût d’un dimanche cocooning après qu’il m’ait fait passer par mille et une émotions différentes.

Qu’est-ce qu’on avait dit sur les suites, Bollywood ?

Quand on regarde le calendrier des sorties, c’est assez parlant : Pathaan 2, War 2, Ghajini 2 (et non, ce n’est pas la version qu’on a écrite dans cet article), De De Pyaar De 2, Pati Patni Aur Woh 2, Border 2, Cocktail 2 ?! Bref, vous avez compris. Et il y a aussi ces franchises qui n’en finissent pas : Baaghi 4, Don 3, Aashiqui 3, Dhoom 4, Housefull 5… Vous voulez que je continue, ou ça vous suffit pour comprendre la lourdeur de ces futures sorties, toutes portées par des grandes stars, mais à l’écriture flemmarde ? Ce que ça prouve, comme pour les ressorties (on va en parler, ne vous inquiétez pas), c’est la crainte des producteurs de ne faire aucun bénéfice en soutenant des projets originaux et nouveaux. On préfère jouer la carte de la sécurité en surfant sur des films qui ont fonctionné auprès de l’audience et dont les suites (parfois purement spirituelles) devraient cartonner également. Non, on n’a pas besoin d’un Dream Girl 3, d’un Jolly LLB 3 ni même d’un Kick 2 ?!

Non, pas besoin de plus de comédies d’horreur…

Oui, Bollywood, je sais ! Ton box-office a été sauvé par ces comédies horrifiques aux effets spéciaux moyens, et aux chansons catchy qui n’ont aucune utilité scénaristique. Ceci dit, ce n’est pas une raison pour répéter ce schéma, encore et encore et encore... Bien sûr, on n'échappera pas aux futurs projets déjà annoncés, qui vont inévitablement surfer sur la hype, et qui vont sans doute se planter (donnez-moi tort, je n’attends que ça). Il faut dire que depuis le succès surprise de Stree en 2018, personne n’innove (pas même Amar Kaushik, qui est trop bien lancé dans sa franchise fantastique pour s’arrêter en si bon chemin). Le schéma est, au final, toujours le même et moi, ça commence à me fatiguer. A chaque nouvelle annonce, je soupire : Bhediya 2 avec Varun Dhawan, Bhooth Bangla avec Akshay Kumar, Thama avec Ayushmann Khurrana, la prochaine réalisation de Milap Zaveri avec Siddhant Chaturvedi et Disha Patani ou encore Chamunda (titre provisoire) avec Alia Bhatt ?! Est-ce que ça donne vraiment envie ? Non.

Des ressorties en veux-tu, en voilà !

Sans surprise, l’industrie des cinémas indiens est en panne d’originalité. Comme ailleurs, en fait. Mais l’Inde est en train de vivre une vague de ressorties assez folle. De plus en plus envahissante, même. Je dois admettre, avoir l’occasion de regarder de vieux classiques dans une salle de cinéma, c’est vraiment chouette. Maintenant, la montée en puissance de ces ressorties prouve aussi que le cinéma actuel peine à proposer des choses inédites qui fonctionnent auprès du public. Certains ressorties sont aussi l’occasion pour les maisons de production de faire enfin des bénéfices car oui, certains flops passés (devenus populaires bien plus tard grâce aux réseaux sociaux et aux plateformes en ligne) peuvent maintenant bénéficier d’une nouvelle chance dans les cinémas. C’est du gagnant-gagnant pour le business qu’est le cinéma, mais il n’y a pas si longtemps que ça, de nombreux projets se sont retrouvés au placard à cause d’une pandémie. Il faut donc que ces ressorties restent exceptionnelles et ne prennent pas la place de métrages qui attendent encore leur tour.

Il faut qu’on parle du cinéma pan-indien.

Dinguerie, quand j’ai cru qu’Amitabh Bachchan se doublait lui-même dans Vettaiyan. Mais non, c’était une IA ! Et au fond, pourquoi pas ? Mais la véritable question est la suivante : pourquoi doit-on en arriver là ? Big B aurait pu être remplacé par un comédien tamoul, cela n’aurait rien changé - enfin, presque. Parce que la promotion du film n’aurait pas pu communiquer sur lui pour amener ses fans au cinéma. En fait, le cinéma pan-indien est désormais une solution marketing. Ce qui désignait avant un film qui pouvait s’exporter et trouver le succès en dehors de son industrie initiale, englobe aujourd’hui un casting multi-régional. Ce n’est même pas une question de représentation, mais de vente. Et c’est décevant. Des films qui se revendiquent comme pan-indiens sont d’une frustration extrême ! La preuve, le rôle de Fahadh Faasil dans Vettaiyan (oui, je reste sur le même exemple, parce que c’est fun). Le gars n’est plus un jeune premier pour se glisser dans ce genre de rôles limité, mais on sait très bien pourquoi il a dit oui : la chance de jouer avec la SUPERSTAR Rajnikanth. Néanmoins, quel intérêt pour sa carrière ? Oui, je me suis accrochée à lui durant tout le film, mais il est secondaire. C’est limite le genre de rôle qu’on donne à un nouveau venu pour booster une carrière naissante. Fahadh n’a clairement pas besoin de ça. C’est un génie (déjà reconnu au cinéma tamoul depuis ses débuts en 2017, d’ailleurs). Et plus le temps passe, plus ces productions continuent de prouver qu’elles ne sont en rien un “bon choix” pour les personnalités qui écopent d’une apparition spéciale prolongée, le tout malgré une promo qui laissait croire à un rôle plus conséquent. Et si on arrêtait de se foutre de nos gueules ? Et si on donnait un vrai sens au cinéma pan-indien ? Qu’on en faisait une vraie opportunité ?

Où sont les femmes ?

J’ai la vague impression de n’avoir vu que des films concentrés de masculinité, dans lesquels la femme était réduite à un intérêt romantique, un objet de désir ou une énième mère sans autorité. Pourtant, j’ai vu des rôles féminins intéressants en 2024 ! Si je me penche sur Bollywood, par exemple : Merry Christmas, Laapataa Ladies, Crew ou même Ulajh (oui, j’assume). Mais globalement, quand je regarde en arrière, je ne vois que des item number en masse. Des rôles féminins très limités en termes d’écriture ou de personnalité et ce, même quand il s’agit de la tête d’affiche (Shraddha Kapoor dans Stree 2 ou encore Alia Bhatt dans Jigra - intéressant, mais un personnage trop peu travaillé). Enfin, j’ai aussi l’impression que tout se passe désormais en ligne, et que les femmes n’ont plus leur place sur grand écran. Bhakshak, CTRL ou même l’imparfait Do Patti sont directement sortis sur Netflix. Si on veut pousser le vice encore plus loin, on peut aussi noter qu’il y a plus de diversité dans le domaine de la websérie (Heeramandi, Killer Soup ou encore Call Me Bae). Je pense aussi sérieusement que le problème ne se limite pas à Bollywood, de nombreux articles ont souligné le manque de représentation féminine dans des projets majeurs à Mollywood, Kollywood et Tollywood. Pourtant, 2024 a été une belle année pour les réalisatrices indiennes. Laapataa Ladies de Kiran Rao était envoyé aux Oscars pour représenter l’Inde, Payal Kapadia a remporté le Grand Prix du Jury à Cannes avec All We Imagines As Light, Sandhya Suri (Santosh) et Shuchi Talati (Girls Will Be Girls) ont toutes deux bénéficié de superbes sorties à l’international pour leurs films respectifs. Mais quand on se penche sur les sorties nationales, on ne retrouve que peu de réalisatrices : Shirsha Guha Thakurta (Do Aur Do Pyaar), Sudha Kongara (Sarfira) ou encore Vandana Kataria (Love, Sitara). Même dans le sud, si je prends Kollywood pour exemple : Aishwarya Rajinikanth (Lal Salaam), Jaya Krishnamoorthy (Aalakaalam) ou bien V. Priya (Pon Ondru Kanden). Avec toutes les sorties, toutes industries confondues, comment se fait-il qu’il soit si difficile de trouver une réalisatrice à l’affiche en 2024 ? Alors qu’à l’international, elles représentent fièrement leur pays ? N’est-ce pas perturbant ?

On se calme sur le budget, les gars ?

La course au box-office est aux chiffres faramineux des 1000 crores de roupies (on va arrondir à 113 millions d’euros) a entraîné une espèce de folie chez certains réalisateurs et producteurs. Cette année, on a bien vu que d'énormes projets attendus (et qui ont coûté la peau des fesses) n’ont pas été à la hauteur des attentes du public. Et là, je me tourne vers le sud de l'Inde et les industries dravidiennes. Entre Kanguva, Devara ou encore Kalki 2898 AD, ces films n’ont pas réussi à atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés. Oui, ça va publier des bannières sur les paliers atteints en termes de collection au box-office et de pré-vente avant même la sortie du film. Mais au fond, ils sont loin d’avoir atteint la popularité escomptée. N’est pas Pushpa 2 qui veut (et encore, je n’ai toujours pas vu la franchise pour juger la qualité des films sortis). Qu’est-ce que ces films ont en commun ? Ils se reposent finalement uniquement sur leur tête d’affiche et une folie des grandeurs démesurée. Ils ont pour objectif de battre des records, pas de faire vivre une expérience et/ou de surprendre le public. Conclusion : et si on se concentrait davantage sur l’histoire qu’on souhaite partager, plutôt que sur les visuels aussi brillants qu’un filtre Instagram ? On dit pas non à des folies quand elles viennent du cœur (coucou SS Rajamouli).

En règle générale : plus de passion, moins de business.

Varun Dhawan qui se lance sur Linkedin, ça vous dit quelque chose ? Car les acteurs deviennent de plus en plus des businessmen qui lancent leur boite de production ou leur propre entreprise. On savait déjà que l’Inde avait une utilisation différente de la nôtre des réseaux sociaux. Il n’y a qu’à regarder ce qu’il se passe sur Facebook ou encore WhatsApp. Néanmoins, cette façon très professionnelle d’aller publier une bande-annonce sur Linkedin a quelque chose qui casse complètement l’aspect créatif et passionné de l’industrie du cinéma en général. Cela ne fait que renforcer cette impression qu’il n’y a plus de place pour des projets à petit budget. Il n’est désormais plus question de mettre en avant des idées et des histoires. Non, maintenant, on surfe sur les tendances parce qu’on sait que le public sera prêt à payer, de la même manière que les films donnent l’impression d’être construits pour les réseaux sociaux : le cadrage, les couleurs, les dialogues. D’un film à un autre, ils sont similaires. Tout doit tenir dans une séquence de 90 secondes pour créer un réel qui fera le buzz sur Instagram ou une musique qui sera reprise des millions de fois sur TikTok. Suis-je la seule à trouver ça inquiétant, cette uniformisation des films ? Vous faites du cinéma ou une vidéo YouTube, les gars ?

Faut-il accepter tout et n’importe quoi juste pour rester à l’affiche ?

C’est toujours la même histoire, et c’est toujours le même problème : quand une personnalité fait face à un énorme succès commercial, on la retrouve partout et surtout à l'affiche de beaucoup de films (souvent médiocres). C’est ce qu’en 2022, j’appelais la “Fame de Bollywood” à laquelle plusieurs personnalités avaient selon moi succombé. Oui, on sait qu’aujourd’hui, il faut tout faire pour que l’audience parle de vous. L’investissement des réseaux sociaux est justement là pour ça. Mais est-ce que cela veut dire qu’il n’y a plus d’importance à accorder au choix des rôles et des films ? Une vraie carrière n’a plus besoin de se baser sur des projets qui en valent la peine ? Mon exemple en 2024, c’est Triptii Dimri. Après son apparition douteuse dans Animal en 2023 (j'ai misé sur un joli chèque), elle était à l’affiche de 3 films en 2024 : Bad Newz, Vicky Vidya Ka Woh Wala Video et Bhool Bhulaiyaa 3. Trois projets qui nous font presque oublier ses excellents débuts dans Laila Majnu, Bulbul et Qala. Trois projets extrêmement moyens, aux interprétations bancales. Cela n’est pas sans rappeler ce qui est arrivé à Vicky Kaushal après le succès de Sardar Udham (Govinda Naam Mera, Zara Hatke Zara Bachke, The Great Indian Family) ou encore Ayushmann Khurrana après Andhadhun et Badhaai Ho (Dream Girl, Bala, Chandigarh Kare Aashiqui). Et je peux également viser des superstars comme Deepika Padukone. C’était quoi, cette année 2024 ? Son personnage n’est jamais correctement exploité, que ce soit dans Fighter ou Kalki 2898 AD, et ne parlons même pas de Singham Again. Des films à gros budget, avec sans doute une (très) bonne paie, mais qui ne marqueront pas sa carrière. Il lui permettront juste d’exploiter la presse toute l’année et de remplir le compte en banque. Mais donc, il n’y avait pas d’autre option ? Est-ce que les acteurs en sont réduits à accepter tout et n'importe quoi ? En parfait contre-exemple de Triptii, il y a le parcours déjà prometteur de Sharvari Wagh qui, à travers Munjya, Maharaj et Vedaa, a prouvé que même dans des films imparfaits, elle était capable de surprendre l’audience. Ou encore Kriti Sanon, qui a décidé de se challenger en 2024 avec Teri Baaton Mein Aisa Uljha Jiya, Crew ou encore Do Patti (et pourtant, après le succès de Mimi, elle avait fait la même erreur que les autres : Heropanti 2, Shehzada, Adipurush, Ganapath… désastre sur désastre qui ont fatigué le public.)

Que les cinémas indiens restent pluriels.

Il y a un shift de plus en plus marquant quand on parle de cinéma indien à l’étranger. Dans l’imaginaire collectif, l’industrie cinématographique indienne a énormément évolué avec le temps. Des films indépendants de Satyajit Ray aux énormes fresques bollywoodiennes, chaque génération a une image précise quand on parle de cinéma indien. Maintenant, les industries télougou et tamoul sont en train de transformer cette image et de bousculer les codes avec d'énormes blockbusters d’action et des magnus épiques ambitieux. Et c’est tant mieux ! Que le monde entier se penche sur Kollywood, Tollywood, Mollywood et même Sandalwood. Il y a encore bien des industries qui méritent de se faire une place dans les salles et en ligne, et je n’attends que ça. Parce que l’Inde ne se résume pas à Bollywood et il semblerait que le monde entier l’ait enfin compris. Les succès de ces films ouvriront sans aucun doute la porte à des univers plus intimes, des réalisateurs (et des réalisatrices !) toujours plus passionnés et ambitieux, et il faut quand même fêter ça.

mots par
Elodie Hamidovic
« A grandi avec le cinéma indien, mais ses parents viennent des pays de l'est. Cherchez l'erreur. »
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