Noir & Blanc : Devika Rani
30 mars 2022
— Cet article a été publié dans le numéro 18 de Bolly&Co, page 24.
L’époque du noir et blanc. Une époque qui évoque une certaine nostalgie, même si nous n’y avons pas vécu. Avec ses films qui inspirent à ce jour les cinéastes, entre reprises de grands classiques ou hommages rendus à des vedettes qui ont fait chavirer les coeurs.
Elle est considérée comme la première dame du cinéma indien. Sa carrière s’étend sur plus de 10 ans d’activité au service d’un cinéma hindi en pleine croissance. Elle fait indubitablement partie des figures emblématiques à avoir construit le Bollywood que l’on connait aujourd’hui.
Issue d’une famille bengalie de la haute société et arrière-petite nièce de l’écrivain renommé Rabindranath Tagore, Devika Rani Chaudhuri est envoyée en pension à l’âge de 9 ans, en Angleterre. Elle a 16 ans lorsqu’elle intègre la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, où elle apprend les fondements du métier d’actrice. Elle s’essaye également à la musique, puis à l’architecture avant de travailler dans un salon de cosmétiques. Devika se cherche, nourrissant sa curiosité juvénile en allant vers tout ce qui l’appelle, sans toutefois se projeter dans une voie qui deviendrait son métier.
Il a 16 ans de plus qu’elle et un enfant issu d’un premier mariage. Et si le coup de foudre entre eux est évident, eh bien il attendra, puisqu’Himanshu a d’abord la volonté de mener à bien sa production : le film muet Prapancha Pash, dirigé par l’allemand Franz Osten. Devika y est donc missionnée comme assistante du directeur artistique, découvrant les technicités et spécificités d’un plateau de tournage.
L’année suivante, le film sort et Devika épouse Himanshu. Il n’est alors pas question de faire carrière au cinéma pour la jeune femme, âgée d’à peine 20 ans. Pourtant, ils tourneront ensemble plusieurs projets, le plus connu étant Karma, l’un des premiers films parlants du cinéma indien sorti en 1933. Tourné en hindi et en anglais, le métrage fait parler de lui pour une scène dans laquelle les héros (campés respectivement par Himanshu et Devika) échangent un langoureux baiser. Heurtant la morale puritaine, Karma fera un bide retentissant. Pourtant, Devika y est divine, captant l’oeil des spectateurs et plus encore de la critique, qui voient en elle un énorme potentiel. © karma, 1933
En 1934, Himanshu s’installe définitivement en Inde pour fonder le fameux studio Bombay Talkies, nourri par ses expériences auprès de cinéastes occidentaux et de formations en Allemagne et en Angleterre. Sa volonté ? Changer la manière de fabriquer des films en Inde.
Elle sera effectivement la vedette de ses multiples productions, à commencer par le film Jawani Ki Hawa en 1935, dans lequel elle donne la réplique à Najmul Hussain. Leur duo fonctionne à merveille, et ils sont donc de nouveau associés pour le métrage Jeevan Naiya, qui sortira en 1936. Sur le tournage, Devika et Najmul auraient pris la fuite. La rumeur parle d’une liaison entre les deux jeunes gens, ce qui n’a jamais été confirmé par les intéressés ou leurs familles. En tout cas, Himanshu et son ingénieur du son Sashadhar Mukherjee, duquel Devika est très proche, auraient convaincu l’actrice de revenir tourner. Quant à Najmul, l’urgence est de lui trouver un remplaçant opérationnel.
Sashadhar propose le nom de son beau- frère, un certain Ashok Kumar. Si de prime abord, Himanshu n’est pas vraiment convaincu, il n’aura pas d’autre choix que d’accepter au regard des délais. Le succès du métrage est plutôt timide, tout comme la collaboration suivante des deux acteurs, Janmabhoomi, où la comédienne incarne une jeune femme éprise d’un docteur qui renonce à l’amour pour se dévouer entièrement aux plus démunis. Mais ils ne leur faudra pas attendre très longtemps puisque nous sommes toujours en 1936 lorsque sort en salles Achhut Kannya, dans lequel elle campe une intouchable qui se sacrifie par amour. La critique est unanimement séduite, le public est au rendez-vous et la complicité entre Devika et Ashok est évidente. Aussi, l’audience découvre la voix de l’actrice qui, en plus de jouer avec la grâce d’une Greta Garbo, chante à merveille pour le film.
L’année suivante, après le projet mythologique Savitri dans lequel l’actrice retrouve son partenaire de prédilection, elle tient le rôle principal de Jeevan Prabhat, un drame social dans lequel elle donne la réplique au débutant d’alors Kishore Sahu, qui fera par la suite les beaux jours du Bollywood des années 1940. Comme plusieurs oeuvres du studio, le métrage dénonce le système de caste et positionne Devika en unique héroïne. Car c’est clairement ce qui fait sa singularité, en particulier pour l’époque : Bombay Talkies base ses oeuvres et sa communication sur Devika. C’est elle, la star. C’est elle que le public vient voir. Elle est l'icône, l'incarnation d'une beauté à la fois raffinée et très atttachée à son identité indienne.
Les costumes, le maquillage et la caméra illustrent ce physique enchanteresse et magnétique qui a rendu Devika si populaire. Après avoir retrouvé Ashok Kumar dans Izzat (en 1937), Nirmala (en 1938) et Anjaan (en 1941), l’actrice doit cependant renoncer. Nous sommes alors en pleine Seconde Guerre Mondiale, et les techniciens allemands qui travaillent sur ses films sont tous arrêtés. Personne en Inde n’est en mesure de les remplacer. Bombay Talkies fait face à son premier coup dur, le second (et sans doute le plus rude) étant le décès soudain d’Himanshu Rai, qui mourra d’une attaque cardiaque en 1940. © Nirmala, 1938
Pour autant, Devika reste à l’affût. Suite à la mort d’Himanshu, elle est nommée par le conseil d’administration de Bombay Talkies au poste de contrôleur de production, où elle a à sa change toute la direction artistique des oeuvres produites par le studio. À l’époque, c’est la première femme à obtenir un poste d’une telle importance dans l’industrie cinématographique indienne. Mais cela ne suffira pas. Les échecs se multiplient et malgré toutes les bonnes intentions de Devika, le studio s'effondre brique par brique. En 1945, Devika tourne définitivement le dos au monde du cinéma en épousant un peintre russe, Svetoslav Roerich.
Bollywood continuera d’idolâtrer cette grande dame, connue face caméra pour ses personnages progressistes et captivants. En dehors, elle est une femme de poigne, accro à la cigarette qui ne manque jamais l’occasion de faire une crise de nerfs !
Lors de ses funérailles, ses biens font débat puisque le couple n’a jamais eu d’enfant et n’a désigné aucun héritier. Finalement, ils reviendront de droit à l’État du Karnataka suite à une décision de la cour suprême en 2011. EN 2019, l'actrice Lilette Dubey dirige une pièce en son honneur, dans laquelle sa fille Ira, incarne avec brio celle dont le public se souviednra toujours comme la première dame du cinma indien.
L’époque du noir et blanc. Une époque qui évoque une certaine nostalgie, même si nous n’y avons pas vécu. Avec ses films qui inspirent à ce jour les cinéastes, entre reprises de grands classiques ou hommages rendus à des vedettes qui ont fait chavirer les coeurs.
Des artistes talentueux ont marqué cette ère du cinéma indien, et Bolly&Co a décidé de vous présenter l'un d'entre eux...
Elle est considérée comme la première dame du cinéma indien. Sa carrière s’étend sur plus de 10 ans d’activité au service d’un cinéma hindi en pleine croissance. Elle fait indubitablement partie des figures emblématiques à avoir construit le Bollywood que l’on connait aujourd’hui.
Issue d’une famille bengalie de la haute société et arrière-petite nièce de l’écrivain renommé Rabindranath Tagore, Devika Rani Chaudhuri est envoyée en pension à l’âge de 9 ans, en Angleterre. Elle a 16 ans lorsqu’elle intègre la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, où elle apprend les fondements du métier d’actrice. Elle s’essaye également à la musique, puis à l’architecture avant de travailler dans un salon de cosmétiques. Devika se cherche, nourrissant sa curiosité juvénile en allant vers tout ce qui l’appelle, sans toutefois se projeter dans une voie qui deviendrait son métier.
En 1928, elle fait la connaissance du producteur de cinéma Himanshu Rai, rencontré par le biais d'un groupe d'amis indiens basés à Londres.
Il a 16 ans de plus qu’elle et un enfant issu d’un premier mariage. Et si le coup de foudre entre eux est évident, eh bien il attendra, puisqu’Himanshu a d’abord la volonté de mener à bien sa production : le film muet Prapancha Pash, dirigé par l’allemand Franz Osten. Devika y est donc missionnée comme assistante du directeur artistique, découvrant les technicités et spécificités d’un plateau de tournage.
L’année suivante, le film sort et Devika épouse Himanshu. Il n’est alors pas question de faire carrière au cinéma pour la jeune femme, âgée d’à peine 20 ans. Pourtant, ils tourneront ensemble plusieurs projets, le plus connu étant Karma, l’un des premiers films parlants du cinéma indien sorti en 1933. Tourné en hindi et en anglais, le métrage fait parler de lui pour une scène dans laquelle les héros (campés respectivement par Himanshu et Devika) échangent un langoureux baiser. Heurtant la morale puritaine, Karma fera un bide retentissant. Pourtant, Devika y est divine, captant l’oeil des spectateurs et plus encore de la critique, qui voient en elle un énorme potentiel. © karma, 1933
En 1934, Himanshu s’installe définitivement en Inde pour fonder le fameux studio Bombay Talkies, nourri par ses expériences auprès de cinéastes occidentaux et de formations en Allemagne et en Angleterre. Sa volonté ? Changer la manière de fabriquer des films en Inde.
Il construit donc ses projets avec des équipes internationales, mais surtout avec LA star du studio : Devika Rani.
Elle sera effectivement la vedette de ses multiples productions, à commencer par le film Jawani Ki Hawa en 1935, dans lequel elle donne la réplique à Najmul Hussain. Leur duo fonctionne à merveille, et ils sont donc de nouveau associés pour le métrage Jeevan Naiya, qui sortira en 1936. Sur le tournage, Devika et Najmul auraient pris la fuite. La rumeur parle d’une liaison entre les deux jeunes gens, ce qui n’a jamais été confirmé par les intéressés ou leurs familles. En tout cas, Himanshu et son ingénieur du son Sashadhar Mukherjee, duquel Devika est très proche, auraient convaincu l’actrice de revenir tourner. Quant à Najmul, l’urgence est de lui trouver un remplaçant opérationnel.
Sashadhar propose le nom de son beau- frère, un certain Ashok Kumar. Si de prime abord, Himanshu n’est pas vraiment convaincu, il n’aura pas d’autre choix que d’accepter au regard des délais. Le succès du métrage est plutôt timide, tout comme la collaboration suivante des deux acteurs, Janmabhoomi, où la comédienne incarne une jeune femme éprise d’un docteur qui renonce à l’amour pour se dévouer entièrement aux plus démunis. Mais ils ne leur faudra pas attendre très longtemps puisque nous sommes toujours en 1936 lorsque sort en salles Achhut Kannya, dans lequel elle campe une intouchable qui se sacrifie par amour. La critique est unanimement séduite, le public est au rendez-vous et la complicité entre Devika et Ashok est évidente. Aussi, l’audience découvre la voix de l’actrice qui, en plus de jouer avec la grâce d’une Greta Garbo, chante à merveille pour le film.
Le phénomène est donc officiellement lancé !
L’année suivante, après le projet mythologique Savitri dans lequel l’actrice retrouve son partenaire de prédilection, elle tient le rôle principal de Jeevan Prabhat, un drame social dans lequel elle donne la réplique au débutant d’alors Kishore Sahu, qui fera par la suite les beaux jours du Bollywood des années 1940. Comme plusieurs oeuvres du studio, le métrage dénonce le système de caste et positionne Devika en unique héroïne. Car c’est clairement ce qui fait sa singularité, en particulier pour l’époque : Bombay Talkies base ses oeuvres et sa communication sur Devika. C’est elle, la star. C’est elle que le public vient voir. Elle est l'icône, l'incarnation d'une beauté à la fois raffinée et très atttachée à son identité indienne.
Les costumes, le maquillage et la caméra illustrent ce physique enchanteresse et magnétique qui a rendu Devika si populaire. Après avoir retrouvé Ashok Kumar dans Izzat (en 1937), Nirmala (en 1938) et Anjaan (en 1941), l’actrice doit cependant renoncer. Nous sommes alors en pleine Seconde Guerre Mondiale, et les techniciens allemands qui travaillent sur ses films sont tous arrêtés. Personne en Inde n’est en mesure de les remplacer. Bombay Talkies fait face à son premier coup dur, le second (et sans doute le plus rude) étant le décès soudain d’Himanshu Rai, qui mourra d’une attaque cardiaque en 1940. © Nirmala, 1938
Avec Hamari Baat, sorti en 1943, Devika tire sa révérence, donnant par ailleurs la réplique à une jeune actrice qui fera grand bruit, tel un passage de flambeau : l'iconique Suraiya.
Pour autant, Devika reste à l’affût. Suite à la mort d’Himanshu, elle est nommée par le conseil d’administration de Bombay Talkies au poste de contrôleur de production, où elle a à sa change toute la direction artistique des oeuvres produites par le studio. À l’époque, c’est la première femme à obtenir un poste d’une telle importance dans l’industrie cinématographique indienne. Mais cela ne suffira pas. Les échecs se multiplient et malgré toutes les bonnes intentions de Devika, le studio s'effondre brique par brique. En 1945, Devika tourne définitivement le dos au monde du cinéma en épousant un peintre russe, Svetoslav Roerich.
Bollywood continuera d’idolâtrer cette grande dame, connue face caméra pour ses personnages progressistes et captivants. En dehors, elle est une femme de poigne, accro à la cigarette qui ne manque jamais l’occasion de faire une crise de nerfs !
En 1994, elle décède à Bangalore des suites d'une bronchite sévère, un an après la mort de Svetoslav.
Lors de ses funérailles, ses biens font débat puisque le couple n’a jamais eu d’enfant et n’a désigné aucun héritier. Finalement, ils reviendront de droit à l’État du Karnataka suite à une décision de la cour suprême en 2011. EN 2019, l'actrice Lilette Dubey dirige une pièce en son honneur, dans laquelle sa fille Ira, incarne avec brio celle dont le public se souviednra toujours comme la première dame du cinma indien.