Barfi, la supercherie ?
22 septembre 2022

Alors, quoi ? Est-ce vrai ? Barfi n'est vraiment qu'un condensé d'idées piquées à droite et à gauche ? Un remake non assumé ? Un énorme plagiat ?
Comment faire la différence entre un plagiat et une inspiration ? Le plagiat est considéré comme un vol. Un artiste copie sciemment un autre et affirme être le détenteur de l’idée. Alors qu’une œuvre inspirée se base sur le travail d’un autre (qui est crédité) et se permet d’en faire une réinterprétation. Où se trouve vraiment la limite ? C’est plus complexe, surtout dans le cadre du cinéma ! On peut se dire que la manière de filmer, l’écriture des dialogues ou encore les personnages peuvent faire l’objet d’un plagiat comme d’une inspiration. Le domaine est assez vaste pour que des failles existent et que les débats persistent… C’est notamment le cas de Barfi.
Depuis sa sortie en 2012, cette réalisation d’Anurag Basu a été le sujet de nombreux articles sur les questions du plagiat et de l’inspiration.
Jusqu’où peut-on considérer que son récit est inspiré, quelles sont les scènes que beaucoup considèrent comme “volées” ? A ce moment-là, malgré le fait que j'aie vu quelques vidéos de scènes du film côte à côte avec des œuvres originales, je trouvais que ce n’était pas important. Que ce n’était que quelques scènes sans grand impact qui, même une fois retirées, ne gâchaient en rien l’essence et l’âme de Barfi. Anurag Basu s’était lui-même justifié à la télévision indienne peu de temps après la sortie de l'œuvre : la seule façon de rendre hommage à des artistes muets comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton, c’était de refaire plan par plan leur travail afin d’en retrouver la magie. Pourquoi pas.

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Charlot s’évade, de Charlie Chaplin (1917) (scène durant laquelle Barfi essaye d'échapper à un policier en jouant avec une porte coulissante)
Chantons sous la pluie, de Gene Kelly et Stanley Donen (1952) (d’abord une scène dans laquelle Barfi joue avec son visage en prétendant le déformer en se cognant à une porte, puis une autre où il essaye de faire rire Jhilmil en jouant avec une poupée)
Frigo déménageur, de Buster Keaton et Edward F. Cline (1922) (scène où Barfi se balance sur une échelle en fuyant la police)
Les lumières de la ville, de Charlie Chaplin (1931) (scène où on retrouve Barfi qui dort sur une statue qui est dévoilée et dont on retire le drap)
Le Marin des mers de Chine de Jackie Chan et Sammo Hung (1988) (scène de course poursuite à vélo)
N'oublie jamais, de Nick Cassavetes (2004) (scène durant laquelle Barfi et Jhilmil meurent ensemble dans les bras l’un de l’autre, ainsi que la scène durant laquelle la mère de Shruti raconte à sa fille son histoire d’amour avortée)
Mr Bean, épisode 11 (Mr. Bean retourne à l’école) (1994) (scène où Barfi n’arrive pas à se débarrasser d’un prospectus qui lui colle aux doigts)
L'Été de Kikujiro, de Takeshi Kitano (1999) (scène où Barfi et Jhilmil posent un clou sur le béton pour arrêter une voiture)
Chat noir, chat blanc, d’Emir Kusturica (1998) (Les plans séquence montrant une souris dans une cage seraient inspirés de ce film)
Mr Nobody de Jaco Van Dormael (2010) (Scène où l’on pense qu’une voiture risque d’écraser Barfi et Shruti, mais on réalise qu’il s’agit en fait de deux motos)
The Goonies, par Richard Donner (1985) (Scène où Barfi se fait interroger et celui-ci commence à raconter sa naissance.)
Beignets de tomates vertes, par Jon Avnet (1992) (Scène durant laquelle Barfi et Shruti distribuent de la nourriture à des pauvres à bord d’un train)
Koshish, de Gulzar (1972) (scène durant laquelle le père hurle à l’aide, mais que Barfi ne l’entend pas)
Mathilukal, d’Adoor Gopalakrishnan (1990) (scène durant laquelle Barfi jette sa chaussure pour capter l’attention de Jhilmil)
Une publicité suédoise pour un journal (scène durant laquelle on pense que Barfi observe le ventre d’un Sâdhu, alors qu’il aperçoit le journal avec l’annonce de recherche pour Jhilmil et lui)
Ça fait beaucoup, n’est-ce pas ?
C’est en tout cas un récapitulatif des scènes que j’ai pu vérifier, qui sont vraiment très similaires voire complètement copiées au plan près. Mais sur 150 minutes, ce n’est peut-être pas si catastrophique ? Sauf qu’il y a plus… La trame principale est pour certains largement inspirée de Benny and Joon, de Jeremiah S. Chechik (sorti en 1993), de Lovers’ Concerto de Han Lee (sorti en 2002) ou encore d’Oasis de Lee Chang-dong (sorti également en 2002). Pour mener convenablement mon enquête jusqu’au bout, je me devais de regarder ces trois films. Vérifier ces hypothèses avant de réellement crier au scandale. Et voilà ce que j’en pense :
Attention, cette partie détaille les films de manière à mettre en avant les ressemblances avec la trame principale de Barfi. Ces paragraphes contiennent donc des spoilers.

Ce que Barfi a gardé : Une grande partie de la rencontre entre Barfi et Shruti ressemble à celle entre Ji-hwan et Soo-in. L’amour au premier regard, la course poursuite à vélo pour déclarer sa flamme aussitôt, le jeu avec l’horloge (il fait reculer le temps pour qu’elle oublie sa déclaration d’amour et qu’ils deviennent amis)…. Une partie de la fuite entre Barfi et Jhilmil reprend certaines scènes du trio lors d’un road trip : quand Barfi décide de se soulager au milieu des champs, sans réaliser qu’il y a des travailleurs, quand Barfi regarde Jhilmil dormir… Une autre scène entre Ji-hwan et Kyung-hee est reprise également entre Barfi et Shruti : ils sont assis au bord d’un lac, jouent avec leurs pieds et finissent par s’embrasser (même si dans le film coréen, il n’y a pas de baiser, les plans sont identiques et la tension est la même). Le côté triangle amoureux (Barfi comme Ji-hwan aiment Shruti et Soo-in sans les connaître, et finissent par réellement en aimer une autre). Le twist à la fin (Barfi et Ji-hwan pensent que la femme qu’ils aiment est morte, mais ce n’est pas le cas)...

Ce que Barfi a gardé : Comment dire que je n’ai pas vu le rapport entre Barfi et Oasis. Certes, les deux films traitent d’une histoire d’amour entre une femme en situation de handicap et un homme présenté comme un peu simplet (même si Barfi est surtout sourd et muet et non déficient). Cependant, j’ai remarqué deux choses : Barfi et Jhilmil jouent avec les reflets des miroirs, ce qui ramène à la rencontre entre Gong-ju et Jong-du. Il est également suggéré que Jhilmil a peur de l’ombre des arbres (élément important dans Oasis). Mais sinon…

Ce que Barfi a gardé : Toute la trame entre Sam et Joon est similaire à celle de Barfi et Jhilmil. Mais en plus, Sam (qui ne sait pas lire et est jugé comme un bon à rien par son cousin) est un passionné de cinéma et notamment de… Buster Keaton ! Le film regorge donc de références, comme la manière dont s’habille Sam, les petits tours qu’il fait... L’ambiance aussi est assez similaire à celle de Barfi. Petite ville, petite musique, douceur et légèreté pour aborder un sujet tout à fait sérieux. Clairement le personnage de Barfi est très proche de celui de Sam. Et, là où Sam et Joon veulent vivre ensemble, Barfi et Jhilmil le font quand ils s'installent à Calcultta...
La dernière chose à faire, maintenant, c’est de revoir Barfi. Si on enlève tout ce qui a été cité, que reste-t-il ?
Eh bien… A première vue, pas grand-chose. Si on retire à Barfi tout ce qui a été cité, on perd quasiment l'entièreté du film. Il ne reste que le travail extraordinaire de tout rassembler dans un métrage de 2h30, et cela avec cohérence et légèreté. Il faut donc des scènes qui lient le tout, et ça demande tout de même un minimum d’imagination. Ce qu’il y a en plus dans Barfi, ce sont ces histoires de kidnapping et d'argent. C’est aussi tout l’arc de Shruti (une femme qui a renoncé à son amour pour se marier avec un ami de la famille, mais qui n’est pas heureuse en ménage). Il est tout à fait possible de retrouver ces arcs ailleurs et de se dire, encore une fois, que ça n’a rien d’original.
Mais lorsque j’ai revu le film après ces 3 films et après avoir observé toutes les scènes originales qui ont été reprises dans le métrage, force est de constater que Barfi reste toujours aussi efficace et agréable à regarder !

La musique est d’ailleurs un élément majeur et même si beaucoup trouvent que la bande-originale est trop similaire à celle du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, le travail de Pritam est quand même super ! Il accompagne nos héros sans forcer. C’est donc un élément plus qu’important dans la narration.
Est-ce que j’ai l’impression qu’on me prend pour une idiote ? Un tout petit peu, en vrai.
Quand on commence à décortiquer l’histoire de Barfi, on réalise que tout ce qui n’est pas original, ne change en rien la trame principale décidée par Anurag Basu. A mes yeux, il s’est inspiré de plein de récits du genre pour concocter Barfi, ce qui n’est pas dérangeant. Personne n’a le monopole sur des idées aussi vastes. Un triangle amoureux pas comme les autres ? Il y en a des milliers ! De même pour des histoires de kidnapping, des mariages ratés, des films sur des personnes porteurs d’un handicap. Margarita with a straw traite du sujet de la femme handicapée qui cherche à être considérée comme une femme et qui éprouve à la fois des sentiments et du désir. Pourquoi personne ne lui est tombé dessus en traitant le film de plagiat vis-à-vis d’Oasis ? Parce que ça n’a pas de sens.
En revanche, Anurag Basu s'est fait du mal tout seul, car il aurait pu se passer de toutes ces scènes venues d’ailleurs. Il a des idées et ça se sent ! Sinon, Barfi ne serait pas si intelligemment mené et aussi sympathique, même 10 ans après sa sortie. Malheureusement, copier plan par plan ces quelques scènes entrent dans la définition du plagiat. Ainsi, cette erreur monumentale du cinéaste m’amène presque à regretter d’avoir passé une bonne soirée. Car essayer de se réapproprier des idées qui ne lui appartiennent pas et cela bêtement, c’est non seulement très problématique sur le plan éthique. Mais ici, c’est surtout gâcher une œuvre qui avait un énorme potentiel pour être vraiment irréprochable.