Irrfan Khan : trop bien pour nous.

vendredi 6 janvier 2023
irrfan khan the launchbox portrait
— Cet article a été publié dans le numéro 19 de Bolly&Co, page 56.

Irrfan Khan est et demeurera une institution. Un génie du cinéma qu’il soit indien, oriental ou international. Un virtuose de l’acting, un prodige du mélange des genres. S’il a fait ses armes pour des œuvres d’art et d’essai, il serait infiniment réducteur de coller la moindre étiquette à cet artiste d’exception. Alors, poser des mots sur sa dantesque carrière est un sacré défi. Impossible pour moi d’en prendre l’ampleur totale sur cet article tant le talent d’Irrfan se révèle dans chaque seconde de toutes ses apparitions à l’écran. Autant vous dire qu’un ouvrage en six tomes ne serait pas suffisant pour lui rendre l’hommage qu’il mérite !

Ensuite, la brutale émotion de sa disparition m’a fait vivre le cruel syndrome de la page blanche. Si j’avais sincèrement envie de faire mes adieux à Irrfan, je ne trouvais pas le moyen, ni l’énergie de le faire.

Peut-être qu’en repoussant sans cesse la rédaction de cet article, je voulais finalement ignorer l’effroyable évidence : Irrfan Khan n’est plus. J’essaie donc tant bien que mal de reprendre mon souffle, de garder les idées claires et de donner une voix à la douleur qui m’anime. J’écris finalement un texte pour Irrfan dès le lendemain de sa mort, qui ne sera pas publié. Probablement parce que j’avais peur de sa redondance avec celui-ci. Et aussi parce que j’avais besoin de prendre du recul. J’étais sous le coup de l’émotion, de la douleur et du choc. Un de mes acteurs favoris s’en était allé, il fallait accepter que ce deuil allait me prendre du temps. Accepter qu’avant de tenir mon stylo de rédactrice, j’allais devoir porter la tristesse de la fan que j’étais. Et que je suis encore aujourd’hui.

Il s’est passé près d’un an depuis. Et je me sens enfin prête à parler de lui, et à partager avec vous quelques-unes des raisons qui ont fait d’Irrfan Khan l’un des plus grands acteurs indiens de tous les temps...



Fils du gérant d’un service de réparation de pneus, Sahabzade Irrfan Ali Khan naît en 1967 à Tonk, dans l’État du Rajasthan. Il ne souhaite pourtant pas reprendre l’affaire familiale et, très jeune, a la volonté de poursuivre une carrière dans le cricket, sport pour lequel il a une immense passion et un véritable potentiel. Hélas, sa famille manque de moyens et le jeune homme devra renoncer à ce rêve. Pour apaiser sa peine, il se rend au cinéma. Dès qu’il le peut. Et en découvrant Naseeruddin Shah dans La Fin de la nuit (1975) puis Mithun Chakraborty dans Mrigayaa (1976), il commence sérieusement à envisager la comédie comme un nouveau plan de carrière.

“C’est là que j’ai réalisé que cet art était saisissant, et que j’avais beau aimer le cricket, ça (le cinéma, ndlr) pouvait être l’esprit qui m’habitait réellement.”

En 1984, il intègre la prestigieuse National School of Drama de Delhi, à la surprise de son entourage. “Personne n’aurait imaginé que je devienne acteur, j’étais si timide. Si maigre. Mais ma volonté était tellement intense que j’avais le sentiment de suffoquer si je n’étais pas rapidement admis.”

En 1988, il tient son premier rôle dans Salaam Bombay, métrage de Mira Nair nommé aux Oscars. Cette opportunité donne énormément d’espoir à Irrfan, qui ose prendre le risque de déménager dans la Maximum City.

“J’ai la petite vingtaine. Je me souviens avoir dit à ma petite-amie de l’époque, devenue mon épouse Sutapa, ‘Allons vivre à Bombay, la vie vient de commencer.’”

` Hélas, une partie conséquente de ses scènes sera coupée au montage final, si bien qu’il en résulte une apparition anecdotique pour l’acteur.

“La vérité, c’est que mon heure de gloire n’était pas encore arrivée.”

Durant les années 1990, le comédien stagne. Il doit se contenter de rôles franchement oubliables pour la télévision, qu’il accepte toutefois pour des raisons alimentaires.

“Je suis arrivé dans cette industrie avec la volonté de raconter des histoires et de faire du cinéma, mais j’étais coincé à la télévision.”

Et en Inde, cela se limite à des feuilletons à la piètre qualité.

“Une fois, ils ne m’ont même pas payé parce qu’ils trouvaient que je jouais mal.”

Mais après des années de vaches maigres et de projets tombés aux oubliettes, un petit film indépendant sorti en 2001 va littéralement changer la donne pour lui. Il s’agit de The Warrior...

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mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?