Et si on comparait les remakes ? Driving Licence VS Selfiee

dimanche 26 février 2023
critique driving licence selfiee 2019 et 2023 malayalam hindi
L’Inde a pour habitude de miser sur les remakes, qu’ils soient régionaux ou internationaux. En effet, réadapter une œuvre aux coutumes nationales voire régionales fait office de véritable tendance dans les industries indiennes, à Bollywood comme dans les capitales dravidiennes.

Le 24 février dernier sort en Inde le métrage hindi Selfiee, avec les stars masculines Akshay Kumar et Emraan Hashmi en têtes d’affiche. Hélas, le métrage a reçu des critiques massacrantes à sa sortie. Et pour cause, Selfiee n’est pas un film original. En effet, il s’agit du remake officiel du métrage malayalam Driving Licence, sorti en 2019 avec Prithviraj et Suraj Venjaramoodu dans les rôles principaux.

Alors, Selfiee constitue-t-il une adaptation ratée ? Quels sont les atouts de cette version ‘made in Bollywood’?



L’histoire

L’inspecteur de l’autorité régionale des transports Kurivilla Joseph/Om Prakash Aggarwal (Suraj Venjaramoodu/Emraan Hashmi) est un ardent fan de la superstar Hareendran/Vijay Kumar (Prithviraj/Akshay Kumar). Lorsque l’acteur doit repasser son permis pour les besoins d’un tournage, le policier se saisit de cette opportunité pour enfin rencontrer son idôle. Mais tout ne va pas se passer comme prévu…

Driving Licence en 3 points
Son sens comique

L’humour de Driving Licence est distillé, fin et savoureux. Le métrage est truffé d’easter eggs, de petites références excessivement malines. Le film, dans tout ce qu’il est, n’est jamais tape-à-l’oeil et marque par sa subtilité. Driving Licence sait être drôle sans chercher à forcer le rire, que ce soit dans son montage ou dans son mixage. Il fait confiance à ses spectateurs pour le comprendre sans jamais les infantiliser.

Le casting impeccable

Prithviraj incarne la superstar Hareendran avec un panache communicatif. Il sait être suffisant, empli d’ego sans pour autant manquer d’humanité. Face à lui, Suraj Venjaramoodu est absolument convaincant en flic brisé par son admiration sans limite pour un acteur. Le duel que se livrent les deux comédiens est prenant, si bien qu’on n’arrive jamais à vraiment les départager. Prithviraj et Suraj apportent à leurs personnages respectifs assez d’authenticité pour qu’on entre en empathie avec eux, tout en leur trouvant des défauts qui ne les rendent que plus humains. A travers leur conflit, Driving Licence met en exergue les dérives de l’homme et son rapport destructeur à l'égo.

Des moyens limités

Malgré la sagacité de la mise en scène de Lal, on sent que le budget de 4 crore de roupies (soit environ 450000 euros) impacte sa pellicule. Le métrage, sorti en 2019, ne peut pas aller au bout de ses ambitions malgré l’indubitable savoir-faire de son cinéaste. D’un autre côté, la réalisation laisse tout l’espace à ses héros, ne cherche jamais à en faire des caisses, à être clinquante au risque de nous faire oublier ses protagonistes. Lal n’a donc pas eu le choix que de ciseler la psychologie de ses personnages pour assurer la réussite de son film. Et on le ressent tant Driving Licence nous cueille malgré ses aspérités esthétiques.

Selfiee en 3 points
Gloire à Akshay Kumar… Selfie est un film qui plus que jamais met en valeur son seul et unique héros, en la personne d’Akshay Kumar. Là où la version originale misait sur un équilibre intéressant entre ses deux vedettes, Selfie n’a qu’une seule vocation : nous rappeler que la star du film est Akshay. Et tout est mis en œuvre pour nous le faire comprendre, quitte à déifier l’acteur au maximum. C’est malaisant, et cela nous empêche surtout de nous attacher au personnage de Vijay.

Emraan Hashmi, l’incompris.

Et pour le coup, je ne l’ai pas comprise moi-même ! Emraan Hashmi est, à mon sens, un acteur réellement sous-exploité à Bollywood. De fait, dès qu’il signe un projet d’envergure ou un rôle atypique, je suis ravie pour lui ! Mais ici, il est difficile de comprendre comment il a pu accepter un rôle de fan-boy pareil ! Pourtant, le comédien se débrouille bien, et possède en lui une présence qui fait cruellement défaut à son partenaire. Mais l’écriture de l'œuvre est tellement tournée vers Akshay qu’elle ne donne que trop peu d’occasions à Emraan de réellement briller.

Un remake inutile

Lorsque l’on a vu Driving Licence, le visionnage de Selfiee est particulièrement éprouvant. Car en plus de se calquer grandement sur son homologue kéralais, le film de Bollywood en extrait tout ce qui était sincère et intelligent. On se retrouve finalement face à un masala prétentieux, faible et dépourvu d’âme.

critique driving licence selfiee 2019 et 2023 malayalam hindi 3 points de convergence
Le squelette narratif

Les deux métrages reviennent sur l’opposition entre un fan et son idôle, le tout sur fond d’obtention du permis de conduire… Rien de nouveau sous le soleil de Bollywood en termes de récit puisque le métrage suit religieusement le fil conducteur initié par Driving Licence.

La place accessoire des personnages féminins

Déplorable constat de part et d’autre : les femmes n’y ont aucune place à tenir. Aussi bien dans le film malayalam que dans son remake, on a affaire à la lutte d’égos masculins, dans laquelle les femmes sont réduites au statut de spectatrices. Mais là où Selfiee fait pire, c’est qu’il a le culot d’exploiter ses femmes pour des scènes de danse inutiles et assez suggestives… Désolant.

Les dangers de l'idolâtrie

Si les films ont des approches différentes de leur sujet, ils traitent chacun à leur façon d’une relation d'idolâtrie entre un Monsieur-tout-le-monde et une vedette de cinéma. Dans les deux métrages, le rapport du fan à sa star est extrême, teinté d’adulation presque spirituelle. D’une certaine façon, Driving Licence et Selfiee montrent les limites de tels rapports lorsque le fantasme se confronte à la réalité.

3 points de divergence
Le traitement des personnages

Tout l’intérêt de Driving Licence réside dans l’importance égale accordée à ses deux protagonistes, pour lesquels on éprouve autant d’empathie que d’agacement. La force du métrage est justement d’humaniser ses personnages et de ne pas les emprisonner dans les archétypes qu’ils représentent. A contrario, Selfiee traite ses personnages avec une superficialité navrante et ne leur donne aucune chance de capter efficacement le spectateur.

Le rôle de la musique

Si les compositions de Neha Nair et Yakzan Gary Pereira accompagnent tout en discrétion les péripéties de Kurivilla et Hareendran dans Driving Licence, la bande-originale de Selfiee est ouvertement commerciale, entre reprises et remix inutiles qui ne servent en rien l’avancée de la narration. Et par-dessus le marché, les mélodies ne sont même pas sympathiques à écouter. Je ne pardonne pas le massacre qui a été fait de “Vibe”, musique urbaine de l’artiste punjabi The PropheC que j’adore, et qui a été ici reprise lamentablement pour le métrage.

La profondeur

Et c’est sûrement la plus grande faiblesse de Selfiee : son histoire ne va jamais loin, aborde sa thématique en surface car il ne faudrait pas prendre le risque qu’elle vole la vedette à Monsieur Akshay Kumar. L’écriture de Driving Licence, qu’il s’agisse de son récit ou de ses dialogues, était l’un des atouts principaux du métrage malayalam. Et force est de constater que, pour Selfiee, cet aspect a été particulièrement négligé pour nous livrer un entertainer plat et rébarbatif.

En conclusion,



Si vous avez envie de découvrir tout le potentiel de la trame précitée, je ne peux que vous recommander Driving Licence dont la pertinence, la sincérité et l’humour auront un effet boeuf sur vous ! Malheureusement pour Selfiee, il y a tout à jeter dans ce remake paresseux et artificiel. Mais si vous avez tout de même envie de lui donner sa chance, le métrage est sorti en salles françaises depuis le 24 février grâce au distributeur Night ED Films.
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?