Critique : Mrs Chatterjee VS Norway (★★☆☆☆)

lundi 20 mars 2023
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Lorsque la bande-annonce de Mrs Chatterjee VS Norway est sortie, j'étais à la fois impatiente de retrouver Rani Mukerji dans le registre du drame (dans lequel elle excelle), et inquiète quant à l'illustration des services sociaux dans le film. Car effectivement, le trope de la cruelle assistante sociale qui vient kidnapper les enfants à leurs chers parents est récurrent en fiction… Et il est généralement peu flatteur !

Le fait est que, dans la vie, je suis assistante sociale. J'ai notamment travaillé en protection de l'enfance. Certes, pas en Norvège, mais je sais tout de même de quoi je parle en matière de mesures de garde et de mise à l'abri de l'enfant ! Pour en savoir davantage sur le fonctionnement de l'Aide Sociale à l'Enfance, je vous renvoie notamment vers le 28ème épisode de notre podcast Namaste, le cinéma, dans lequel j'explique tout cela plus en détail.

La critique de film VS l'assistante sociale.



En allant voir Mrs Chatterjee VS Norway, je n'étais cela dit pas à la recherche d'une pertinence absolue. J'étais même prête à accepter des grossièretés si cela était mis au service du message de l’œuvre. Je ne suis pas une toquée du cadre légal lorsque je regarde un film. J'ai au contraire bien conscience qu'il s'agit d'une fiction, et que le format même du long-métrage doit répondre à certains codes pour demeurer efficace. Assommer le spectateur avec des termes techniques ou des procédures trop alambiquées peut potentiellement tuer l’œuvre dans son élan comme dans son intention. Alors, les raccourcis et les facilités d'écriture, je les accepte sans trop me plaindre. Je ne cherchais donc pas dans Mrs Chatterjee VS Norway un respect total des faits.

J'avais juste envie de connaître un bout de l'histoire vraie de cette femme qui s'est battue pour retrouver ses enfants.

Et non, par essence, je n'allais pas être du côté des services sociaux ! Si vous voulez tout savoir, j'ai effectué des mesures de placement. Des tas de mesures. J'ai été de celles et ceux qui vont chez le parent pour lui retirer son enfant sous ordre du juge… Et croyez-moi, je n'en ai jamais tiré la moindre satisfaction ! Il y a des situations dans lesquelles une telle mesure était nécessaire pour la sécurité du mineur, mais quand même. J'ai en tête des scènes de parents qui hurlent, qui fondent en larmes et qui implorent qu'on leur laisse leur enfant. Des scènes qui me hantent encore aujourd'hui…

Le lien parent-enfant VS la sécurité du mineur.



La protection de l'enfance, c'est un véritable cas de conscience. Car on a bien compris que retirer l'enfant à ses parents lui causera des dommages irréversibles. On sait qu'avec cette décision, sa trajectoire de vie sera bouleversée à jamais. Et en même temps, le placement est acté lorsqu'il n'y a rien d'autre à faire, lorsque le parent ne veut pas, ne sait pas ou ne peut pas être protecteur pour son enfant. Les cas de figures sont multiples : violence physique et abus sexuels, mais aussi dans les situations de négligence ou d'instabilité psychique. Et dans ce cas précis, on ne parle pas d'un parent qui serait juste impulsif ou soupe au lait ! Il s'agira davantage de cas cliniques, dans lesquels la pathologie est si prégnante qu'elle peut mettre en danger la vie de l'enfant.

Il faut avoir à l'esprit que notre société sacralise le lien parent-enfant, au point d'oublier que parfois, certaines personnes ne sont pas faites ou pas en capacité de tenir ce rôle.

Tous les parents ne veulent pas du bien à leurs enfants, c'est un fait. Tous les parents ne placent pas l'intérêt de leur enfant au-dessus du leur, bien au contraire. Et tous les parents n'aiment pas leurs enfants. Croire le contraire, c'est être infiniment naïf. Quand j'ai commencé ce métier, j'étais naïve. Convaincue qu'il existait du bon en chacun de nous. Qu'un parent, même s'il était maltraitant ou inadapté, éprouvait forcément de l'amour et de l'affection pour son enfant. La réalité de terrain de mon métier est venue me prouver le contraire. J'ai vu des parents rejeter leurs enfants de la pire des manières, des parents instrumentaliser leurs enfants pour des prestations familiales, des parents tirer du plaisir à faire souffrir leurs enfants... J'ai aussi vu des parents malades, qui avaient besoin de soins cliniques et qui, de par le caractère imprévisible de leur comportement, représentaient un danger pour leurs enfants.

La parentalité est complexe. Et surtout, elle n'a rien d'inné. Être parent, ça s'apprend. Et tout le monde n'est pas en mesure d'acquérir les compétences nécessaires pour s'occuper d'un enfant. Tout le monde n'a pas l'abnégation, la patience et l'amour en lui pour se consacrer à un enfant. Et encore une fois, croire le contraire, c'est vivre à Disneyland.

Il est selon moi important de comprendre cette réalité lorsqu'on parle du travail des services sociaux.

Savoir que l'on peut se heurter au pire de l'être humain dans notre quotidien. Et donc que non, un parent dont l'appartement n'est pas rangé ou qui donne beaucoup de sucreries à son enfant, ça ne justifie pas une ordonnance de placement. En tant que travailleur social, on se questionne en permanence, et on ne peut pas se permettre de se baser uniquement sur un instinct. Il faut des faits, des illustrations concrètes du manquement d'un parent pour justifier une telle demande. Et non, les pratiques culturelles, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger la sécurité de l'enfant, ne font pas partie des clignotants qui poussent au placement.

C'est pourtant tout l'angle du film Mrs Chatterjee VS Norway. Dès le visionnage de la bande-annonce, j'ai donc partiellement eu envie de bondir ! Mais il fallait que je me renseigne, que je me documente pour comprendre le fonctionnement des services sociaux norvégiens. Et je n'étais pas au bout de mes surprises…

Les services sociaux norvégiens VS l'éthique.

Je découvre alors que le Barnevernet, nom des services de protection de l'enfance norvégiens, a fait l'objet de multiples controverses. En effet, des questionnements ont émergés face à l'absence de transparence dans le processus légal de placement, qui donne lieu à une toute-puissance du service et parfois à des décisions jugées arbitraires. Il est également mis en avant que les services sociaux ne collaborent pas avec leurs homologues étrangers. Par exemple, transférer un dossier du Barnevernet vers les services sociaux suédois n'est absolument pas garanti et est pleinement dépendant de la bonne volonté du service norvégien.

Surtout, de multiples affaires de placements abusifs ont été relayées dans les médias, et toutes ont un dénominateur commun : les origines étrangères des familles concernées.

L'appréhension de l'interculturalité est d'ailleurs présentée comme la faille majeure des services sociaux locaux, ce qui explique que les familles étrangères soient surreprésentées parmi celles qui sont visées par de telles décisions de justice. 11 affaires du genre ont d'ailleurs été traitées par la Cour Européenne ces deux dernières années. Sagarika Chakraborty en fait partie. En 2011, les services du Barnevernet lui retirent ses deux enfants. Les raisons ? Elle les nourrissait avec la main, pratiquait le co-dodo et ne disposait manifestement pas d'assez de jouets. Après plus de deux ans de bataille juridique qui a failli virer à l'incident diplomatique entre l'Inde et la Norvège, Sagarika récupérera la garde exclusive de ses enfants en 2013.

Ce qui consterne notamment dans la gestion de cette affaire, c'est le caractère coercitif et définitif de la décision de placement.

Sagarika déclare n'avoir jamais été informée des inquiétudes du service. De plus, le placement des enfants a été acté jusqu'à leur majorité. Et en Norvège, il n'y a pas de distinguo entre enfant confié à l'Aide Sociale à l'Enfance et Pupille de l’État. Lorsqu'un enfant est retiré à ses parents, il est proposé à l'adoption. Sauf qu'en France, ça ne passe absolument pas de cette manière ! L'autorité parentale est maintenue même en cas de placement, sauf cas exceptionnels. Les placements n'excèdent pas les deux ans, sauf situations très rares. Il sont cela dit renouvelables en fonction de l'évolution des parents. Enfin, les enfants deviennent Pupille de l’État uniquement lorsque leur parent effectue une déclaration d'abandon et renonce à ses droits parentaux.

L'ambassadeur norvégien de l'Inde Hans Jacob Frydenlund a posté une lettre ouverte sur Twitter afin d'exprimer son désaccord avec le propos du métrage. Il déclare notamment que le film « illustre de façon incorrecte les croyances de la Norvège dans la vie familiale et (leur) respect des différentes cultures. » A ces déclarations, Sagarika Chakraborty a apporté sa réponse : « Je condamne les fausses déclarations de l'ambassadeur norvégien dans la presse. Il a parlé de mon affaire sans même avoir eu la décence de me le demander. Il aurait dû se saisir de cette opportunité pour sensibiliser les travailleurs sociaux norvégiens sur les préjugés culturels. »

Reprendre l'histoire de Sagarika à l'écran était donc aussi ardu que prometteur. Il y avait là le potentiel de nous bouleverser avec ce récit sur le placement arbitraire d'enfants issus de l'immigration, sur le racisme banalisé que cache la décision des services sociaux et sur le syndrome du sauveur blanc que cela induit incontestablement. Pourtant, vous allez vite comprendre que Mrs Chatterjee VS Norway a été un visionnage assez pénible pour moi...

Rani Mukerji VS mes nerfs !



Réalisé par Ashima Chibber, le métrage est notamment produit par Nikkhil Advani, auquel on doit entre autres Kal Ho Naa Ho (2003), Salaam-E-Ishq (2007) ou encore D-Day (2013). La cinéaste avait quant à elle précédemment dirigé la comédie Mere Dad Ki Maruti (2013) avec Saqib Saleem et Rhea Chakraborty dans les rôles principaux. Pour prêter ses traits à Sagarika, ils ont alors fait appel à nulle autre que Rani Mukerji, grande tragédienne de l'ère moderne qui aurait pu être la petite-fille de Meena Kumari !

Après ce long laïus sur la protection de l'enfance qui me semblait nécessaire afin de comprendre mon regard sur ce métrage, je vais vous le dire clairement : Mrs Chatterjee VS Norway ne fonctionne pas.

Dans l'exercice du film inspiré de faits réels, il est effectivement très loin de la finesse d'un Talvar (sorti en 2015, avec Irrfan Khan et Konkona Sen Sharma), d'un Neerja (sorti en 2016, avec Sonam Kapoor et Jim Sarbh) ou plus récemment de la série Trial by Fire (sortie cette année sur Netflix, avec Abhay Deol et Rajshri Deshpande). Et le problème principal s'appelle Rani Mukerji. Je vais me faire des ennemis, mais il faut que je sois honnête : elle est insupportable ! L'actrice en fait des caisses, tapant des crises tous les quarts d'heure, si bien qu'il est difficile d'éprouver une réelle empathie pour Debika Chatterjee, qu'elle incarne ici. On voit alors une femme hystérique plus qu'une mère en détresse ! Par-dessus le marché, le personnage prend de mauvaises décisions, comme celle de s'introduire sur le lieu de placement de ses enfants afin de les enlever pour les emmener illégalement en Suède…

Et pour moi, c'est là que ça coince. Parce qu'on ne vient jamais positionner les enfants au centre des enjeux du film.

Jamais on ne leur donne la parole. Ils ne tiennent aucune place dans la narration, si bien qu'on se demande : est-ce qu'on se préoccupe réellement de leurs intérêts ? Ils ne sont qu'un moyen pour Debika d'être glorifiée en mère sacrificielle, sorte de Mother India 2.0, en plus bruyante ! Tout tourne autour de Rani Mukerji, c'est son combat qu'on met en avant. Elle est la victime de tous. Au final, ce n'est plus seulement Mrs Chaterjee contre la Norvège, mais aussi Mrs Chatterjee contre son mari, Mrs Chatterjee contre les méchantes mamans d'école, Mrs Chatterjee contre le vilain avocat de la défense, Mrs Chatterjee contre sa belle famille… Bref, le métrage met tant d'énergie à victimiser son héroïne qu'il nous la rend tout bonnement imbuvable.

Ces derniers jours, j'ai lu de nombreuses critiques qui estimait qu'il s'agissait de la meilleure performance de la carrière de la star… Et je ne suis absolument pas d'accord avec ça ! Rani Mukerji a fait tellement mieux par le passé, même dans des films plutôt moyens comme Laaga Chunari Mein Daag (2007) ou Tara Rum Pum (2007). Ici, elle est une caricature d'elle-même et ne parvient jamais à créer de véritables moments d'émotion. Tout est trop poussif et excessif pour vraiment nous toucher. Face à la comédienne, Jim Sarbh est intéressant bien que trop versatile pour réellement marquer les esprits. Cela dit, on peut saluer le fait qu'il ait appris le norvégien pour le rôle. Dans la peau de l'affreux mari de Debika, on retrouve l'acteur de théâtre Anirban Bhattacharya, qui sait se rendre détestable bien comme il faut. Enfin, Neena Gupta nous gratifie d'une courte apparition en Ministre des Affaires Étrangères, avec quelques lignes de dialogue sans grand intérêt.

D'autant que le film survole de véritables problématiques sans jamais les développer.

En effet, on parle notamment des violences conjugales dont Debika est victime, sans jamais que le mari ne soit mis face à ses responsabilités, ni même que cet aspect ne soit étayé dans le cadre du placement des enfants. On met ainsi les violences au même niveau que le manque de diversification alimentaire, c'est dire ! De même, lorsqu'il est souligné que le fils aîné de Debika serait dans le spectre autistique, on n'y revient plus, et la principale concernée ne semble pas plus préoccupée que cela par la question…

Mais ce qui m'a achevée, c'est le propos nationaliste à peine voilé de la dernière demi-heure. Clairement, c'était pour m'achever ! L'hymne national indien casé en fond musical de la décision du juge… Sérieusement ? Le film devait forcément entrer dans les cases d'un certain gouvernement pour être acceptable, c'est ça ? Je souffle fort.

En conclusion



Je n'ai vraiment pas adhéré à Mrs Chatterjee VS Norway. Ni la prestation criarde de Rani Mukerji, ni la narration étirée ne sont venus me rendre ce visionnage supportable. Le métrage passe clairement à côté de son sujet et transforme le combat de cette mère en récit manichéen et dépourvu de véritable sens. J'ai quitté la séance avec des tonnes de questions et d'incompréhensions, qui resteront hélas sans réponse.

Sorti le 17 mars 2023, distribué par Night ED Films

LA NOTE: 1,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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