Critique : Agra (★★☆☆☆)

jeudi 25 mai 2023
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Agra est l’un des deux longs-métrages indiens à être présentés en sélection cannoise cette année. Il était alors évident pour notre équipe d’aller le découvrir lors de sa première. Quelques jours plus tôt, à l'occasion d’une conférence, le réalisateur Kanu Behl présentait son film comme une œuvre authentique sur la sexualité et ses enjeux dans un espace restreint, au sein duquel s’établit une hiérarchie entre ses habitants.

Lorsque le métrage démarre, on fait face à une famille dysfonctionnelle et aux désirs profonds de chacun.

Je me dis alors que l’approche de l’intimité dans un espace partagé peut être très intéressante, surtout lorsqu’on connaît les enjeux de la société puritaine indienne. Parler du refoulement, de l’absence de discussion et d’éducation autour de la sexualité pouvait justement venir soulever le fait que l’Inde est l’un des pays où il y a le plus de crimes sexuels au monde. J’étais sincèrement enthousiaste, d’autant que j’avais vraiment passé un bon moment devant le précédent film du cinéaste, Titli, qui était également sélectionné à Cannes en 2014.

Pourtant, Agra n’est rien de ce qui nous a été promis. C’est un film brouillon, inutilement bavard, prétentieux et en même temps d’une banalité affligeante.

Oui, je suis fâchée ! Fâchée de m’être flinguée les pieds dans de douloureux talons pour me retrouver face à un métrage aussi consternant. Car je ne suis pas seulement déçue face à Agra, je suis dépitée. Le métrage avait en son sein le potentiel de nous raconter l’histoire authentique de cette famille dévorée par sa frustration. La palette de personnages qui nous y est proposée possédait effectivement un potentiel intéressant, du fils abîmé au père polygame.

Parler de sexualité pour dénoncer, pour éduquer, pour expliquer ou pour exprimer, c’est nécessaire. Dans ces cas-là, les scènes de sexe les plus crues prennent sens puisqu’elles servent le propos du métrage et s’inscrivent judicieusement dans la narration. Malheureusement, Agra est truffé de séquences de sexe inutilement trash et qui n’apportent fondamentalement rien sur le plan narratif. On voit une paire de fesses par-ci, un sein par-là, et ce de façon totalement gratuite. C’est graveleux et malaisant, et ça m’a personnellement sortie du film à de nombreuses reprises.

Mais Agra a vraiment deux défauts essentiels à mes yeux.

Le premier, c’est l’histoire confuse qu’il tente de nous présenter. Parce qu’après plus de deux heures de film, on se rend vite compte que le métrage ne nous raconte rien. Les scènes s'enchaînent, ouvrent des possibilités prometteuses pour les abandonner en cours de route. Le film raconte d’abord ce fils qui a une petite-amie imaginaire, puis ce père qui enchaine les épouses, puis ce fils qui couche avec une femme handicapée, puis cette famille qui veut agrandir une maison... Les évènements s'enchaînent, régulièrement sans réelle cohérence, si bien qu’à la fin, on finit par s’en foutre.

Le second point faible du métrage, c’est la psychologie de ses personnages. En effet, Agra nous montre des protagonistes névrosés, emplis de complexité et de perversion. Bref, d’excellentes bases pour développer une caractérisation saisissante… Que dalle ! Aucune rédemption, aucun questionnement des méfaits des personnages ne nous est proposé. On voit les héros se comporter de manière inadaptée voire toxique sans aucune forme de procès, ni sans le faire évoluer d’une quelconque manière. Les incohérences sont d’ailleurs multiples car on laisse d’abord entendre que l’un des personnages a des troubles psychiatriques, pour ensuite l’occulter pour le reste de la pellicule.

Le jeune Mohit Agarwal, qui fait ses débuts dans le film, est venu à Cannes pour soutenir l'œuvre à l’occasion de sa projection exclusive pour la Quinzaine des Cinéastes. Et il faut reconnaître que le comédien est méconnaissable, métamorphosé par ce personnage imparfait qu’on lui demande d’incarner. L’acteur se donne et mérite d’être salué pour sa performance, malgré le caractère brouillon de ce qu’on lui demande d’incarner. A ses côtés, Priyanka Bose est d’une justesse admirable dans un rôle particulièrement mal écrit.

En conclusion



Agra est un portrait bancal et pompeux d’une famille qui ne se remet jamais en cause et qui semble même prendre du plaisir à faire n’importe quoi. Un conseil, pour apprécier le travail de Kanu Behl, voyez plutôt Titli.
LA NOTE: 1,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?