Festival de Cannes 2023 : Chaleureuses retrouvailles avec Pan Nalin.

vendredi 19 mai 2023
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Pour ceux qui nous lisent depuis quelques années déjà, nous avions l’immense honneur de nous entretenir avec le réalisateur Pan Nalin en 2017 à l’occasion du Paris Images Tradeshow, en amont de la projection de son chef-d’œuvre Déesses Indiennes en Colère. Cette rencontre, qui devait constituer une interview d’une vingtaine de minutes, s’est transformée en une discussion animée sur le cinéma de près de deux heures. Depuis, Déesses Indiennes en Colère est devenu l’un de mes films culte.

Lorsque nous avons appris que le cinéaste était de passage à Cannes, il était impossible pour nous de le manquer ! Après un petit échange sur Instagram, nous retrouvons Pan Nalin avec grand bonheur pour une seconde interview, quelques mois après l’immense succès en Inde de son dernier métrage, Last Film Show.

Bolly&Co : Bonjour Pan Nalin, comment allez-vous ?

Pan Nalin : Je vais merveilleusement bien, c’est génial de vous revoir !

Bolly&Co : Je suis ravie de vous retrouver, et je suis contente que vous vous souveniez de moi !

Pan Nalin : Évidemment !

Bolly&Co : C’est un plaisir de vous revoir ici à Cannes depuis notre première rencontre en 2017 lors du Paris Images Tradeshow. C’était juste avant la projection de Déesses Indiennes en Colère qui m’a tellement bouleversée ! Vous savez que depuis, c’est devenu l’un de mes films préférés ?

Pan Nalin : Les filles qui ont participé à ce film vont être ravies de le savoir !

Bolly&Co : Elles étaient fantastiques et vous avez fait un travail remarquable à la réalisation.

Pan Nalin : C’est très étrange car Déesses Indiennes en Colère n’a de cesse de revenir dans ma vie, dans de nombreux pays alors qu’il est sorti il y a 8 ans. A chaque fois que je me dis que le public est passé à autre chose, un nouveau pays le découvre. C’est assez incroyable !

Bolly&Co : Il faut dire que c’est un film à la portée universelle. Il parle peut-être de femmes indiennes en colère, mais au final, il parle de toutes les femmes. Toutes les femmes du monde se sont projetées dans votre film et dans cette histoire émouvante que vous nous racontiez. C’est pourquoi tout le public était si bouleversé après la projection au Paris Images Tradeshow. Encore une fois, merci pour ce chef-d’œuvre !

Pan Nalin : Merci beaucoup !

Bolly&Co : Dites-moi, s’agit-il de votre première venue à Cannes ?

Pan Nalin : Je suis venu régulièrement car Cannes est aussi un marché du film très important. C’est l’occasion de projeter les films durant le marché afin d’obtenir des financements. On a projeté Déesses Indiennes en Colère ici. Mais c’est avant tout un endroit idéal pour la coproduction, pour intégrer divers pays dans un processus créatif commun. C’est l’occasion de rencontrer des distributeurs du monde entier et c’est pourquoi j’essaie d’ être chaque année pour quelques jours.

Bolly&Co : Plusieurs de vos films étaient des coproductions avec l’Europe, Déesses Indiennes en Colère mais aussi La Vallée des Fleurs… Vous partagez une relation particulière avec les européen, non ?

Pan Nalin : Je crois que les histoires que j’ai racontées jusque-là ne tombent pas dans ce cliché du film de Bollywood mainstream. Et beaucoup de ces histoires ont quelque chose d’universel, comme vous le disiez. C’est donc assez naturel que d’autres pays s’investissent dans le financement de ce films ou dans leur distribution. J’ai eu la chance d’être soutenu par l’Italie, l’Allemagne, la France… J’ai également coproduit avec la Nouvelle-Zélande et le Japon. Et à la longue, ces mêmes producteurs deviennent vos amis et ils ont ce désir qu’on collaborent de nouveau ensemble. C’est donc un plaisir de s’entourer de personnes sympathiques et créatives. Et avec le temps, une audience de niche a commencé à se développer pour le cinéma que je défends. Si bien que pour mon dernier film, Last Film Show, nous avons des contrats de distribution presque partout dans le monde. Ca vient de sortir en Italie et en Espagne. Tout cela pour dire que la coproduction, c’est une façon pour nous en tant qu’artistes d’effacer les frontières et de permettre à nos cultures de s’unir pour créer de belles histoires qui toucheront un plus large public.

Bolly&Co : Pour tout vous dire, la transition est parfaite puisque ma prochaine question concerne le film Chhellow Show, aussi connu sous le titre Last Film Show. Ce métrage a été sélectionné pour représenter l’Inde aux Oscars cette année. Ceci étant dit, chacun de vos films a sa propre identité, aucun d’eux ne se ressemble. Comment s’est déroulé le processus créatif autour de Chhellow Show ?

Pan Nalin : Avant toute chose, vous prononcez si bien le titre original !

Bolly&Co : Ah bon ? Merci ! J’ai essayé de travailler mon gujarati, mais je ne suis pas sûre du résultat…

Pan Nalin : Je suis très impressionné ! Ce film est quelque peu inspiré de ma propre enfance. J’ai grandi au Gujarat, dans un milieu rural. Mon père avait une échoppe de thé et je faisais l’école buissonnière pour voir des films. Et je me suis fait prendre donc je n’avais plus d’argent. Du coup, j’ai commencé à donner mon déjeuner au projectionniste pour qu’il me laisse regarder des films.

Bolly&Co : Waouh, mais c’est vraiment votre vie !

Pan Nalin : Effectivement, c’est l’inspiration de ce film, et on a tourné au Gujarat. Et comme vous le disiez, avec chaque nouvelle histoire, j’aime me réinventer, sinon je m’ennuie. Le genre ne me fait pas peur. Last Film Show est un film simple sur le parcours initiatique d’un petit garçon. D’ailleurs, 2022 marquait le dixième anniversaire de la disparition de la celluloïde. Et l’Inde a subi un bouleversement massif à cause de cela. Des milliers de projectionnistes ont perdu leur travail avec l’arrivée du numérique. Des millions de kilomètres de pellicules ont été remplacés par des clés USB. Et ce qui est drôle, c’est que ces pellicules ont été recyclées pour fabriquer des bracelets en Inde ! Alors je me suis mis à regarder les poignets de toutes femmes avec leurs bracelets, en me demandant si l’une d’elle ne portait pas un film de Martin Scorsese sans même le savoir ! C’est comme ça que tout a commencé pour mon film. J’ai voulu célébrer le cinéma tel que je l’avais connu. Et je me suis clairement inspiré de Cinema Paradiso dans mon histoire. Depuis, c’est sorti un peu partout dans le monde, et les retours sont formidables… On a reçu, je crois, environ 30 prix à travers le monde. Et le film continue son chemin. Au Japon par exemple, il en est à sa 16ème semaine d’exploitation.

Bolly&Co : C’est tellement mérité !

Pan Nalin : D’autant que pendant la crise sanitaire, beaucoup de gens ont investi les plateformes de streaming. Et je tenais vraiment à ce que la première diffusion de Last Film Show se fasse sur grand écran. Et le bouche-à-oreille était excellent. Et bien sûr, le comité indien de sélection pour les Oscars a donné sacrécoup de pouce au film.

Bolly&Co : Ce film est une lettre d’amour au cinéma, et raconte votre rapport au cinéma pour vous amener à devenir l’artiste brillant qu’on connaît aujourd’hui. Comment réagissez-vous au fait qu’une oeuvre si personnelle devienne un tel phénomène dans votre pays mais aussi partout dans le monde ?

Pan Nalin : C’est génial parce qu’on a tous un souvenir de notre première séance au cinéma. Ou d’une séance marquante dans notre parcours de vie. Je pense que c’est là que la connexion avec le public se fait. Je pense qu’après la pandémie, l’audience était en quête d’histoires touchantes et positives. Et je pense que Last Film Show tombait à pic. Ce film parle de film, d’amitié, de famille, de nourriture et du futur. Que des choses simples ! Ça a été rafraîchissant pour le public de ne pas se retrouver face à un film lourd. Et après avoir vu le film, ils n’ont qu’une seule envie : aller dans un bon restaurant indien.

Bolly&Co : C’est la plus belle preuve du pouvoir d’un film, vous savez !

Pan Nalin : Quand vous le verrez, vous vous rendrez compte que ce film est une célébration de la nourriture et du cinéma.

Bolly&Co : Mes deux passions donc je vais forcément adorer ! Je me souviens que nous avions parlé lors de notre première interaction des défis auxquels vous vous êtes heurtés pour proposer vos films au public indien, que ce soit pour trouver des financements mais aussi avec le bureau de la censure. Comment avez-vous vécu le soutien de l’Inde en vous sélectionnant pour les Oscars, et ce après tant d’épreuves ?

Pan Nalin : Pour la première fois, l’industrie de Bollywood est venue dans les salles découvrir mon film. Deepika Padukone et Salman Khan ont parlé du film. Salman a invité l’équipe du film dans son émission. Et c’est bien de voir que même sans une immense star à son casting, un film avec une bonne histoire peut aussi toucher le grand public. J’espère que cela permettra d’ouvrir de nouvelles portes pour des réalisateurs comme moi. Certaines vedettes m’ont proposé de travailler avec moi, et pour faire quelque chose de différent ! Je veux un jour faire une comédie romantique ou une comédie musicale, mais je veux y amener quelque chose de frais et d’inédit. Certains acteurs ont découvert tout récemment Déesses Indiennes en Colère, d’autres ont regardé tardivement Samsara. A Hollywood, Priyanka Chopra m’a dit qu’elle avait adoré Déesses Indiennes en Colère et qu’elle aurait aimé y jouer. Elle a ensuite vu Last Film Show et elle a organisé une projection spéciale du film aux Etats-Unis. C’était impensable pour moi il y a 5 ans. Il y a aussi le fait que lorsque ces grandes vedettes viennent à l’étranger et parlent avec des cinéphiles comme vous. Et qu’elles demandent quels fils indiens ils ont aimé, ils vont citer The Lunchbox, La Vallée des Fleurs et pas forcément le blockbuster indien traditionnel. Lorsque Deepika Padukone est allée en Australie, elle s’étonnait du fait que personne ne connaisse Gehraiyaan, qui était son gros projet en 2022. Tous les australiens lui parlaient de Samsara et de la Vallée des Fleurs !

Bolly&Co : Vous avez dirigé des films en hindi, en gujarati, en tibétain, en anglais… Comment surmontez-vous la barrière linguistique ?

Pan Nalin : J’ai une appétence pour les langues. Je trouve ça si beau… Quand je dois diriger un film dans une langue que je ne parle pas, je me charge de m’entourer d’un assistant réalisateur qui maîtrise la langue. C’est la première chose à faire pour m’assurer que la prononciation mais aussi l’intention dans la scène seront bonnes et adaptées. Je travaille également beaucoup avec les acteurs. Je fais appel à un coach qui parle la langue et je lui explique l’émotion que j’attend de tel ou tel dialogue. Ce coach me propose des variations, comme une mélodie. Et j’écoute ça jusqu’à trouver le ton qui me semble le plus adapté à ce que je recherche. Je l’écoute en boucle, je l’apprends par cœur comme une chanson. L’objectif est de respecter l’histoire avant tout. C’est pourquoi je n’ai pas fait Last Film Show en hindi. Parce que je ne voulais pas m’adapter à la demande des producteurs, je voulais servir l’histoire. Et c’est pour ça que les sous-titres existent !

Bolly&Co : Enfin, j’ai une question qui me brûle les lèvres depuis des mois, j’ignore si vous serez en mesure d’y répondre, mais je tente ma chance… Quand aurons-nous le plaisir de découvrir Last Film Show dans les salles françaises ?

Pan Nalin : Je n’ai pas de date à l’heure actuelle mais ça se prépare. Et l’une des raisons pour lesquelles la France doit encore attendre, c’est parce qu’énormément de films étrangers attendent leur tour. Et avec la crise sanitaire, certains films de 2019 ne sont toujours pas sortis ! L’objectif, c’est aussi de garantir la sortie la plus large possible, il faut donc négocier avec les salles pour que le film soit accessible au plus grand nombre. Ce film est intemporel, donc même s’il sort en décalé, il ne perdra pas de son impact. On espère une sortie pour cet été et au plus tard pour la rentrée. Mais ce sera en 2023 !

Bolly&Co : On attend cela avec impatience ! Merci Pan Nalin pour ce formidable moment ! C’est toujours un plaisir de vous retrouver !

Pan Nalin : Plaisir partagé ! J’attends vos retours quand vous aurez vu le film !

Bolly&Co : On n’y manquera pas !



mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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