Critique : Cocktail (★★★★☆)

mardi 20 juin 2023
Cocktail critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 7 de Bolly&Co, page 118.

Depuis qu’ils ont tourné ensemble dans Love Aaj Kal en 2009, Deepika Padukone et Saif Ali Khan forment un couple très populaire à l’écran. C’est pourquoi ils tourneront dans Aarakshan en 2011 puis Race 2 en 2013. Mais surtout, ils se donnent la réplique dans la comédie romantique Cocktail, sortie en 2012. Réalisée par Homi Adajania (qui a dirigé Saif dans Being Cyrus, en 2006), cette romcom introduit également le mannequin Diana Penty dans son premier rôle au cinéma. Devenu l’un des gros succès de l’été 2012, Cocktail possède en son sein tous les ingrédients de la comédie sentimentale indienne : un ‘’jeune’’ homme célibataire, une belle jeune fille traditionnelle et une vamp séductrice pour compliquer l’histoire.

Mais les héros de Cocktail sont plus complexes que cela…



Gautam Kapoor (Saif Ali Khan) est un séducteur insatiable ! C’est ainsi qu’il n’hésite pas à courtiser la piquante Veronica Malaney (Deepika Padukone), qui héberge chez elle Meera Sahni (Diana Penty), une jeune indienne venue chercher son mari à Londres. Gautam finit ainsi par habiter avec les deux jeunes femmes, bien que la cohabitation avec Meera soit plus compliquée. Dans ce ménage à trois, les sentiments vont vite s’emmêler, s’entrechoquer, se dénouer pour mieux se resserrer…

Lorsque l’on voit la bande-annonce de Cocktail, on se dit qu’on a droit à un remake de Love Aaj Kal. Que Saif et Deepika camperont deux fêtards allergiques aux relations sérieuses, mais qu’ils finiront ensemble, plus amoureux que jamais. On se dit que la pauvre Diana Penty servira de faire-valoir, histoire de corser l’imbroglio romantique entre Saifu et Deepy. C’est l’idée que l’on se fait en visionnant le trailer, une idée assez frustrante car déjà vue. De plus, le film est écrit par Imtiaz Ali et produit par Saif, déjà associés pour Love Aaj Kal. Mais il serait réducteur de limiter Cocktail à cette impression. Avant de narrer un triangle amoureux, Cocktail est une grande histoire d’amitié. L’amitié entre deux femmes que tout oppose : Veronica, l’enfant de la nuit et Meera, l’indienne traditionnelle. Une amitié tissée entre les murs de toilettes publiques, une amitié par défaut devenue essentielle à l’une comme à l’autre. Une amitié qui donne à Meera un soutien, un toit et une confidente. Une amitié qui donne à Veronica une stabilité, un foyer et une sœur. Et c’est cette relation sororale qui sert de base à Cocktail. La romance qui s’y greffe n’est foncièrement que secondaire. La façon dont le lien entre Meera et Veronica se construit, se renforce puis se déstructure donne tout son sens au film.

C’est de leur amitié que tout part, que tout s’amorce. C’est le commencement de leur relation qui constitue la genèse de l’intrigue. Le personnage de Gautam n’est ici qu’un faire-valoir, un moyen de mettre à l’épreuve l’affection que Veronica porte à Meera, et vice versa.

En effet, le rôle de Gautam campé par Saif Ali Khan ne bénéficie que d’une écriture superficielle. Il rentre dans le rang des héros hermétiques à la romance pour y plonger la tête la première à la vue de l’héroïne pure et innocente. On a déjà donné dans le genre avec Raj (Dilwale Dulhania Le Jayenge), Akash (Dil Chahta Hai), Karan (Hum Tum), Jai (I Hate Luv Storys) et j’en passe... Pourtant, on pourrait encore marcher, surtout avec Saif Ali Khan en tête d’affiche. C’est effectivement la romance qui lui va le mieux. Il l’a prouvé à de nombreuses reprises avec ses rôles dans Dil Chahta Hai, Hum Tum, Parineeta ou encore Salaam Namaste. Hélas, on sent avec Cocktail que l’acteur s’essouffle dans ce registre, qu’il caricature ses anciens rôles, avec une redite bas de gamme de ce qu’il avait délivré dans Hum Tum et Love Aaj Kal. Sauf qu’à l’époque du tournage, Saif a déjà 42 ans alors que ses partenaires en ont respectivement 27 (Diana) et 26 (Deepika). S’il est toujours très bel homme, il semble trop âgé pour camper Gautam. Imran Khan, le premier choix pour le rôle, aurait sans doute été plus à même de correspondre au personnage, et de lui rendre justice. Dans Cocktail, Saif Ali Khan en rajoute, cabotine à outrance. Mais qu’importe, car Gautam n’est pas le protagoniste le plus intéressant du film.

Diana Penty fait ses débuts d’actrice en incarnant Meera, l’indienne pieuse et réservée du trio. Force est de constater que l’actrice est magnifique. Force est de constater également qu’elle ressemble à s’y méprendre à Deepika Padukone, sa co-star dans le métrage. Malgré sa nette allure de top model, elle colle tout à fait au personnage timide et modeste qu’elle campe. Sensible, discrète et fidèle en amitié, elle est l’héroïne bollywoodienne dans toute sa splendeur, magnifique et sacrificielle. Elle met en pratique les valeurs qui habitent l’archétype de son personnage, en totale contradiction avec celui de Veronica. Si elle s’inscrit dans un certain conservatisme, elle n’en est pas moins ouverte d’esprit et accepte son amie dans son entièreté, avec ses différences et ses particularités. Diana Penty est impeccable dans un rôle manquant cependant de relief, un peu dépassé par la volubilité de Veronica.

Autant le dire de suite, la star de Cocktail n’est autre que Deepika Padukone.

La comédienne révélée en 2007 dans Om Shanti Om est tout bonnement exceptionnelle dans la peau de cette jeune femme sans repère, habituée à être livrée à son instinct décadent. Elle délivre sa performance la plus complexe, la plus nuancée aussi, titubant entre la sincérité de l’amitié que voue son personnage à Meera et son propre désir d’être heureuse. Elle qui n’a jamais cru en l’amour voit en Gautam la perspective d’un avenir nouveau, d’une vie de projets et d’équilibre. Veronica incarne également la conviction que l’on peut évoluer, apprendre de ses erreurs pour devenir meilleur, que l’on n’est pas viscéralement mauvais, encore moins irrécupérable ou incorrigible.

Veronica est d’ailleurs le personnage le plus vrai de Cocktail. L’être humain n’est pas toujours grand d’âme, il peut être égoïste et lâche, vulnérable face aux grandes décisions, effrayé par le changement. Il est par essence imparfait, alors pourquoi vouloir nous faire croire qu’à l’écran, c’est différent ? Pourquoi une héroïne doit nécessairement être irréprochable ? Ne peut-elle simplement pas être proche de nous, à l’image de Veronica, avec ses forces et ses faiblesses, ses bonheurs et ses blessures ? Veronica ne s’apitoie pourtant pas sur son sort, mais elle dit haut et fort ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent. Elle balance à la figure de sa meilleure amie son mal-être, sans prendre de gants et sans se cacher derrière de beaux discours, mais sans pour autant manquer d’humour. Veronica est brute, authentique et honnête. Et c’est ce qui fait son charme. Pour la petite histoire, Deepika Padukone s’est vue proposer les deux rôles de Cocktail, mais a préféré camper celui de Veronica car il lui permettait d’explorer de nouvelles facettes de son jeu. Pari réussi pour la bombe indienne, qui sera nommée pour le Filmfare Award de la Meilleure Actrice grâce à sa prestation de haut vol.

De son côté, Boman Irani incarne Randhir, l’oncle de Gautam. Dans un rôle sympathique mais anecdotique, on pourra apprécier cet acteur de grand talent qui, à l’image d’un Irrfan Khan ou d’une Divya Dutta, voit son potentiel régulièrement sous-employé.

La grande Dimple Kapadia est hilarante dans les chaussures de Kavita, la mère de Gautam. Randeep Hooda fait quant à lui une apparition spéciale pour laquelle il joue Kunal, l’époux de Meera que cette dernière est venue retrouver en Angleterre. Efficace dans un rôle court, Randeep enchaîne les personnages secondaires dans des projets prestigieux depuis quelques années, de Once Upon A Time In Mumbaai à Jannat 2, en passant par Heroine et Bombay Talkies. On le retrouvera en acteur vedette dans le prochain film d’Imtiaz Ali : Highway, avec Alia Bhatt. La photographie d’Anil Mehta et le travail de montage de Sreekar Prasad sont impressionnants, la caméra pouvant filmer des plans classiques comme des séquences d’une grande qualité scénique. L’une des scènes cruciales de Cocktail est d’ailleurs brillamment mise en image, mettant d’autant plus en exergue l’incarnation évanescente de Deepika Padukone.

Pritam compose l’une de ses meilleures bandes-son avec Cocktail : scintillante, percutante, puissante et rythmée.

L’aérienne « Tum Hi Ho Bandhu » prend cette dimension surannée grâce à la voix presque solennelle de Kavita Seth, qui sublime cet hymne à l’amitié en duo avec l’électrique Neeraj Sridhar. « Daaru Desi » est un titre de potes, à écouter en buvant un verre en se remémorant de bons souvenirs. Il bénéficie des timbres lisses de Benny Dayal et Shalmali Kholgade. « Jugni » est un son intense et empli de tristesse, chanté par le tout aussi intense Arif Lohar. La douce « Yaariyan » est interprétée par Mohan Kanan et Shilpa Rao. Les titres électro’ « Angreji Beat », « Main Sharabi » et « Tera Naam Japdi Phiran » sont dansants et entêtants, mais sont vite évincés par le tube de l’album : « Second Hand Jawani » de Neha Kakkar, Miss Pooja et Nakkash Aziz. Enfin, la chanson « Lutna » est belle et enivrante grâce à ses artistes Masuma Anwar, Sahir Ali Bagga et Anupam Amod.

Cocktail est ainsi l’histoire de deux amies tourmentées par le dilemme cornélien entre l’amour et l’amitié. Deepika Padukone est celle qui marque le spectateur au fer rouge, elle est rebelle mais droite. S’il faut trouver une raison unique qui justifie la qualité du film, c’est elle qui l’incarne. Cocktail n’est donc finalement pas l'œuvre escomptée, le remake bon marché de Love Aaj Kal qui, au demeurant, manquait de consistance. C’est une déclaration d’amitié, une ode à ce lien unique trop souvent écarté des scénarii hindi.

En conclusion



Cocktail est donc le mélange de ces émotions, de ces attaches entre ce trinôme aux personnalités et aspirations divergentes, tantôt édulcorées et tendres, tantôt vives voire explosives. Le cocktail de fruit devient rapidement un cocktail Molotov, mais au final, on est loin de l’attentat artistique. Cocktail est une œuvre soignée et précise, qui ravira les amateurs de films de potes comme Zindagi Na Milegi Dobara ou Kai Po Che, en version féminine. Inutile donc d’être fan du casting pour apprécier Cocktail, il suffit de se laisser porter par le travail net et solide de Homi Adajania et de son équipe. A ne pas rater !

LA NOTE: 4/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?