Critique : Dangerous Ishhq (★★☆☆☆)

jeudi 22 juin 2023
Dangerous Ishhq critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 7 de Bolly&Co, page 124.

Karisma Kapoor, grande vedette du cinéma hindi des années 1990, met un frein à sa carrière après son mariage express avec l’industriel Sanjay Kapur, en 2003. Cependant, plusieurs de ses films sortiront en retard, comme Mere Jeevan Saathi (avec Akshay Kumar et Ameesha Patel) et Zamaanat (avec Amitabh Bachchan et Arshad Warsi). Lolo passe par la télévision en jouant dans Karishma – The Miracles of Destiny, avec les acteurs Sanjay Kapoor (frère de Anil et Boney Kapoor), Arshad Warsi et Arbaaz Khan (frangin du fameux Salman). Après la naissance de son deuxième enfant, Kiaan Raj Kapur, elle signe Dangerous Ishhq, thriller surnaturel dirigé par Vikram Bhatt. Afin de laisser toute la place à l’aura de Karisma Kapoor, le cinéaste la caste face à Rajneesh Duggal, un comédien de 33 ans qui a encore tout à prouver. Dans Dangerous Ishhq, c’est Karisma qui mène la danse. Vikram Bhatt offre en effet à la sœur aînée de Bebo un rôle taillé pour elle ; intense et extrême.

Toujours aussi belle, Karisma Kapoor excelle dans ce rôle troublant...



Sanjana (Karisma Kapoor) est mannequin tandis que Rohan (Rajneesh Duggal) gère l’industrie familiale. Ils sont fous amoureux l’un de l’autre. Alors que Sanjana doit partir pour un an à Paris dans le cadre de son travail, elle décide finalement de rester auprès de Rohan. Mais il se fait enlever sous ses yeux, et la jeune femme perd connaissance pendant l’incident. Lors de son réveil lui apparaissent des images de sa vie antérieure...

On a ici droit à une histoire de réincarnation, comme on a pu en visionner préalablement dans Hameshaa (avec Saif Ali Khan et Kajol) ou encore Om Shanti Om (avec Shahrukh Khan et Deepika Padukone).

Le ton est impliqué, à l’image de Karisma Kapoor, qui donne tout dans le rôle de son come-back. Un grand retour annoncé qui se soldera hélas par un bide commercial et critique... Pourtant, on ne peut blâmer Lolo, qui est impeccable dans la peau de Sanjana. A 38 ans, elle n’a pas pris une ride et colle tout à fait au personnage. La scène de son introduction dans Dangerous Ishhq en témoigne : vêtue d’une mini-robe cintrée de Manish Malhotra, elle est tout simplement sublime.

Karisma Kapoor, c’est un peu comme Kajol. On la connaît et on l’apprécie pour son jeu incisif, pour sa tendance au cabotinage également. Ceux qui n’ont pas suivi sa carrière diront qu’elle en fait trop, mais c’est cette entièreté qui fait sa singularité. Dans tous ses films, elle habite les protagonistes qu’elle incarne. On a le sentiment qu’elle est comme une éponge, absorbant tout ce qui constitue son personnage pour mieux l’interpréter. Pas une seconde on ne voit Karisma Kapoor, mais on visionne avec passion l’histoire de Sanjana. Et elle était déjà comme ça dans Raja Hindustani (qui lui vaudra en 1997 le Filmfare Award de la Meilleure Actrice), Dil To Pagal Hai (pour lequel elle remportera le National Award du Meilleur Second Rôle Féminin), Fiza (grâce auquel elle raflera un autre Filmfare Award de la Meilleure Actrice), Zubeidaa et tant d’autres...

On croit dur comme fer en Sanjana, en l’amour démesuré qu’elle porte à Rohan.

Dangerous Ishhq donne à voir une histoire d’amour immodérée, entièrement portée par la prestation de Karisma. Car si son couple avec Rajneesh Duggal fonctionne à merveille, le comédien n’a pas l’espace nécessaire pour démontrer quoi que ce soit. Il est le faire-valoir de sa partenaire et sait s’effacer avec classe pour laisser à la star toute la place pour nous illuminer par son interprétation sans fausse note.

Dans Dangerous Ishhq, Karisma et Rajneesh ne jouent pas un personnage chacun, mais 4 ! Effectivement, Lolo y est Sanjana, mais elle campe en plus les héroïnes de ses vies antérieures Paaro, Salma et Gita. A chaque fois, elle est transcendante et porte en elle l’intensité indispensable pour jouer de tels personnages. Contextualisés au XVIème, XVIIème (sous le règne du Shah Jahan) et XXème siècles (pendant la Partition des Indes), ils mettent en image les destins brisés de ce couple dont la relation a traversé les époques pour peut-être triompher en 2012, par le biais des personnes de Rohan et Sanjana. Rajneesh Duggal incarne également Rajdutt, l’amour de Paaro mais aussi Ali, le bien-aimé de Salma et enfin Iqbal, l’amant de Gita. Il est grand et fort, très bel homme mais manque de consistance dans son jeu. Le sens de sa présence réside principalement dans son alchimie avec sa co-star, nettement palpable.

Jimmy Shergill campe un inspecteur de police énigmatique avec justesse, Divya Dutta est parfaite en amie doctoresse, mais demeure sous-employée. Ruslaan Mumtaz est le frère de Rohan mais semble trop lisse pour jouer ce rôle plein de complexité. On a surtout l’occasion de voir Gracy Singh, Arya Babbar et Ravi Kishan dans des rôles courts mais efficaces.

Mais comment expliquer le flop de Dangerous Ishhq si son casting est majoritairement à la hauteur ?

Le problème réside dans sa narration. Si la première partie du film passe comme une lettre à la poste, la seconde est remplie d’incohérences et d’erreurs de jugement. La première heure et demie est rythmée et bien écrite, expliquant les différentes vies de Sanjana et Rohan de façon succincte mais pertinente. Mais la seconde semble vouloir nous surprendre. Elle y parvient au départ, mais part dans une surenchère de retournements de situation. Du coup, à la fin, on voit le coup venir. Le spectateur n’est plus dupe et se doute que la trame lui réservera un nouveau ‘twist’. On peut aussi regretter que les décors et les effets spéciaux n’aient pas été plus soignés. Dangerous Ishhq a été promu comme un thriller en 3D. Or, on se demande bien ce qui justifie ce parti pris. Les effets sont bâclés, dignes d’anciennes œuvres dépassées. Les locaux manquent quant à eux de précision, de finition. On ne peut pas dissocier les lieux de la romance de 1947 à ceux des histoires datant de 1658 et 1535.

Au regard du thème, il aurait été d’ailleurs intéressant de pousser l’intrigue plus loin.

Avec Dangerous Ishhq, on a le sentiment amer que Vikram Bhatt n’a pas su tirer profit de son script au maximum, qu’il s’est arrêté au plus facile, au plus commun. Il aurait pu faire de son œuvre un thriller psychologique plus original, plus perturbant, à l’image du dernier succès de Vidya Balan, Kahaani. Il semble en effet peu probable qu’un officier de police ou qu’un médecin prennent au sérieux les allégations de Sanjana concernant la réincarnation. On a l’impression que le tout manque de vraisemblance. Dommage car rendre son récit plus vérace aurait servi le cinéaste comme la comédienne, qui aurait pu aller plus loin encore en illustrant une Sanjana détruite de l’intérieur, torturée par des souvenirs qu’elle ne comprend pas. Et il est certain que cette interprète de grand calibre aurait rendu justice à un tel rôle.

Niveau bande-son, Himesh Reshammiya se colle à sa composition. Il propose une musique dans le ton du film, transgénérationnelle et envoûtante. Même la voix nasillarde du directeur musical passe bien sur les titres qu’il interprète. Mais la pépite de l’album est « Tu Hi Rab Tu Hi Dua », chantée par l’exceptionnel Rahat Fateh Ali Khan et Tulsi Kumar. Mais les morceaux « Ishq Mein Ruswa » de Anweshaa, « Naina Re » de Himesh Reshammiya, Rahat Fateh Ali Khan et Shreya Ghoshal et « Lagan Lagi » de Shreya Ghoshal et Shahab Sabri sont tout aussi réussis. Seul « Umeed » de Amrita Kak et Shahab Sabri s’oublie rapidement sans laisser de souvenir.

En conclusion



Dangerous Ishhq donne l’occasion à l’audience de revoir Karisma Kapoor dans une prestation d’envergure qui ne lui a malheureusement pas porté bonheur, puisqu’elle n’a signé aucun autre film depuis la sortie du métrage, en mai 2012. La sœur de Kareena Kapoor est fantastique dans un film qui la met certes en valeur, mais pas suffisamment pour lui permettre de revenir sur le devant de la scène. Voilà pourtant une actrice qui n’a rien perdu de son piquant, capable de camper quatre personnages pour un même film, et à chaque fois avec la même justesse. Si c’est désormais sa petite soeur qui règne sur le cinéma hindi, Karisma Kapoor demeure l’une des actrices les plus douées de sa génération. Et cette unique raison justifie que l’on prenne le temps de voir Dangerous Ishhq, auquel elle a donné toute son énergie.



LA NOTE: 2/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?