Critique : Humpty Sharma Ki Dulhania (★★★★☆)

vendredi 7 juillet 2023
Humpty Sharma Ki Dulhania critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 104.

Les dernières productions de Karan Johar sont à double-tranchant : parfois brillantes comme The Lunchbox et Yeh Jawaani Hai Deewani, parfois douteuses telles que Gori Tere Pyaar Mein et Student of the Year. Car lorsqu’il s’agit de financer des métrages, KJo a le don de partir dans tous les sens ! En effet, Agneepath n’a rien à voir avec Hasee Toh Phasee, qui est lui-même totalement différent de 2 States. Pourtant, il existe bien une patte Dharma, qui a fait les beaux jours de I Hate Luv Storys et les mauvais de Ek Main Aur Ekk Tu. Les films de la bannière ont le souci de plaire à la jeunesse urbaine, mettant en scène des héros stylés et sexuellement libérés, loin du conservatisme des œuvres d’antan.

Chez Dharma, tout est ‘larger than life’ : le héros issu d’une famille modeste portera tout de même des chaussures Gucci et une tenue Armani, les mariées de village seront vêtues par le designer de luxe Manish Malhotra... Beaucoup de ces œuvres résident dans le paraître et dans un esthétisme séduisant, bien qu’irréaliste. Mais depuis quelques années, Karan Johar nous gratifie également de métrages plus proches de ses spectateurs, où les décors grandiloquents cèdent la place aux demeures plus authentiques, où les tenues hors de prix de créateurs sont remplacées par des vêtements locaux et accessibles. Avec Humpty Sharma Ki Dulhania, le cinéaste Shashank Khaitan trouve son équilibre entre ces deux univers en nous proposant une romcom pétillante, commerciale mais avec du cœur.

Analyse du dernier film de Varun Dhawan et Alia Bhatt…

Humpty Sharma (Varun Dhawan) est un glandeur de première ! Mais lorsqu’il rencontre la belle Kavya (Alia Bhatt), il tombe immédiatement sous le charme. Pourtant, il la sait promise à Angad (Siddharth Shukla) un docteur américain bien sous tous rapports. Kavya souhaite donc nouer des liens uniquement amicaux avec Humpty, mais quand l’amour s’en mêle, il chamboule tous les plans raisonnés de la jeune femme...

Vous l’aurez compris à son titre, Humpty Sharma Ki Dulhania a l’audace de vouloir rendre hommage à l’une des romances les plus populaires du septième art indien : Dilwale Dulhania Le Jayenge. C’est un pari suicidaire quand on connaît le consensus que réunit ce film, devenu incontournable. C’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on visionne la première chanson du film qui a servi d’appât promotionnel : la futuriste (et complètement ridicule) « Saturday Saturday ». Je vais être honnête : lorsque j’ai vu la bande-annonce de Humpty Sharma Ki Dulhania, j’ai crié au scandale. Comment Karan Johar osait-il pomper le pitch de mon film préféré pour en faire une espèce de bouillie pseudo-romantique à coups de morceaux de boîte de nuit et de scènes de sexe impromptues ? Si KJo voulait financer de la daube, c’était son problème. Mais de quel droit touchait-il à un des meilleurs films indiens de tous les temps ? En plus, tout ça pour mettre en valeur ses deux pistonnés de protégés, à savoir Varun Dhawan (fils du réalisateur David Dhawan) et Alia Bhatt (fille du réalisateur Mahesh Bhatt) !

En effet, ce n’est pas la rédactrice en chef qui parle. C’est juste le cri du cœur d’une fan de cinéma indien qui voit peu à peu l’industrie qu’elle chérit tant se noyer dans les vagues de la luxure occidentale.

La globalisation a changé le cinéma indien, et en soi, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais Bollywood semble perdre son identité en faisant des films exportables, qui répondent de plus en plus aux standards internationaux. Face à Humpty Sharma Ki Dulhania, j’avais clairement peur qu’on nous offre une version occidentalisée de DDLJ, une relecture plus cheap avec ses dialogues en anglais et ses abdos à gogo. Car oui, Varun peut avoir un corps de rêve, mais est-il en capacité d’égaler Shahrukh Khan dans l’exercice de l’indian lover déterminé ? Malgré ses débuts prometteurs, j’ai vite déchanté. Puisque Varun commence à s’enfermer dans des rôles de brute épaisse en suivant le sillage d’un certain Salman Khan. Sauf qu’avant de devenir le ‘mass hero’ par excellence, Salman s’est essayé à tous les styles : de la romance traditionaliste avec Hum Aapke Hain Koun au drame familial avec Khamoshi - The Musical, en passant par la comédie avec Andaz Apna Apna et le film d’action avec Karan Arjun. Varun a quant à lui beaucoup à prouver, mais semble se diriger vers un style bien défini... Bref, Varun en Raj Malhotra version 2014, ça craint du boudin !

Et comme pour remuer le couteau dans la plaie déjà vivace de la fan qui crie au massacre de son œuvre de référence, on remplace l’incroyable Kajol par la fade Alia Bhatt... Mais que se passe-t-il ?! Elle était inutile dans Student of the Year, tentant vainement de singer Kareena Kapoor qui, il faut le dire, est bien plus convaincante qu’elle en peste écervelée. Qui se souvient de l’abrutissante mais attachante Poo de La Famille Indienne ? Vous êtes nombreux, n’est-ce pas ? Et qui se souvient de la bombe de St Teresa Shanaya dans Student of the Year ? Pas grand monde ? Voilà, voilà...

Vraiment, j’ai eu peur de l’attentat artistique. J’ai ignoré toutes les vidéos promotionnelles, toutes les interviews des acteurs principaux dans le but de ne pas souffrir davantage.

Je ne voulais pas voir ce classique s’effondrer en lambeaux sous mes yeux, tout ça parce qu’un producteur cupide a voulu se faire du fric sur son dos ! Le métrage commence, précédé de trois prières afin que je survive à ce film et puisse témoigner du drame cinématographique que je suis sur le point de vivre. Mes attentes sont alors au plus bas ! Mais si le choc aura bien lieu, il sera finalement plutôt positif. En fait, je me rends compte que le meilleur moyen d’apprécier un film à sa juste valeur, c’est de croire qu’on va devoir supporter un navet ! Car Humpty Sharma Ki Dulhania se regarde vraiment bien, il est plein de tendresse et d’humour. Et à ma grande surprise, le casting fait son travail avec conviction. Ainsi, j’ai compris une chose concernant ce film : il n’a nullement l’intention de rivaliser avec DDLJ, merci mon Dieu ! L’oeuvre d’Aditya Chopra est grandement référencée, mais lorsqu’on en reste au stade du clin d'œil, ce qui est plutôt appréciable. Si la trame de Humpty Sharma Ki Dulhania présente certains points communs avec DDLJ, elle prend assez de détours scénaristiques pour ne pas relever du remake.

J’ai donc regardé Humpty Sharma Ki Dulhania comme une simple comédie sentimentale, au même titre que n’importe quel autre film du genre. J’ai essayé d’enlever un peu de DDLJ de mon cerveau et y ai ajouté un peu plus de tolérance. Car oui, à la surprise générale, j’annonce solennellement que j’ai aimé Humpty Sharma Ki Dulhania ! Je suis partie de loin, mais j’ai réussi à passer un moment très sympathique face à cette romance.

Mais au juste, qu’est-ce qui fonctionne dans cette œuvre ?

En introduction, je disais que Karan Johar était capable de produire deux types d'œuvres : les productions grandiloquentes et commerciales et les films plus humbles et surtout plus précis. Avec Humpty Sharma Ki Dulhania, on est plutôt dans la première catégorie, le côté opulent en moins. En effet, le film de Shashank Khaitan possède une vraie simplicité dans sa mise en scène. Les décors sont naturels, même la chanson de boîte de nuit est filmée avec sobriété (si on oublie le passage où Varun danse sur un mur d’escalade, mais on lui pardonne ce léger excès). Humpty Sharma Ki Dulhania n’est clairement pas une œuvre prétentieuse et « m’as-tu-vu ». C’est au contraire un petit film qui, par sa modestie, est bourré de charme et de bons sentiments. Le montage de Manan Sagar est efficace, soutenu et engageant. La photographie de Neha Parti Matiyani est quant à elle parfaitement dosée, visuellement accrocheuse sans être orgueilleuse.

Du côté de la distribution, Varun Dhawan est une vraie surprise. Loin d’incarner un « Monsieur Muscles », il campe Humpty Sharma avec charme et sensibilité. Le corps d’athlète laisse place à l’acteur, et Varun n’hésite pas à baisser sa garde pour illustrer un héros plus vulnérable qu’à l’accoutumée. Durant l’une des dernières scènes du film, il vous tirera probablement les larmes des yeux en amant désemparé. Humpty a un point commun avec le Raj de DDLJ : son sens des valeurs. Il aurait pu fuir avec sa dulcinée, en cachette. Mais il est fier de l’amour qu’il lui porte et souhaite l’assumer. Alors effectivement, ça n’a rien de bien original : un valeureux garçon qui tombe amoureux d’une jolie fille et qui doit faire face au refus paternel. Mais on ne boude pas son plaisir devant la verve de ce charmant Humpty qui, avec tout son cœur, tente de convaincre le père de celle qu’il aime.

Varun montre ici un véritable potentiel dramatique.

Il incarnait déjà un fils rebelle avec justesse dans Student of the Year mais avait déçu depuis avec sa prestation faiblarde dans Main Tera Hero. Alors que je craignais clairement que le jeune homme manque d’engagement dans sa performance, il m’a agréablement surprise dans la peau de Humpty, drôle et vif mais aussi sensible et délicat. Surtout, il partage une très belle complicité avec sa partenaire à l’écran, Alia Bhatt. En ce qui la concerne, j’étais encore plus pessimiste. En effet, contrairement à son collègue, elle m’avait laissé un souvenir exécrable dans Student of the Year. Ce n’est qu’après avoir vu Humpty Sharma Ki Dulhania que j’ai pu visionner Highway, dans lequel la jeune femme est absolument exceptionnelle. Avec Humpty Sharma Ki Dulhania, elle signe dans un registre plus classique mais qui lui va tout de même très bien. Si l’on essaye de lui coller des rôles de bombe atomique, je trouve que ce sont les personnages de ‘girl next door’ qui lui vont le mieux. Pour le coup, elle m’a vraiment fait penser à Kajol dans DDLJ, mi-droite mi-impertinente.

Cette actrice a vraiment de la substance dans son jeu, et l’a prouvé avec les succès de ses films de 2014. Elle possède ce côté à la fois sincère et désintéressé qui rappelle la Queen de Bollywood : en somme, on a là une comédienne qui joue avec conviction sans trop se prendre au sérieux. J’ai clairement revu à la hausse l’opinion que j’avais d’elle en 2012, découvrant une jeune fille pleine de bonne volonté, qui n’hésitait pas à se moquer de son image de fille simple d’esprit et qui, en toute humilité, admettait être terrifiée par l’immense talent de ses concurrentes directes (à savoir Parineeti Chopra). Donc concrètement, si vous trouviez Alia transparente, scolaire et injustement pistonnée, je dirais que Humpty Sharma Ki Dulhania vous fera certainement changer d’avis.

Entre Varun et elle, le courant passe à merveille. J’ai d’ailleurs regretté que cette osmose ne soit finalement pas exploitée dans leur premier film commun.

Mais il faut dire que leurs personnages sont ici bien plus authentiques et attachants que dans l’aseptisé Student of the Year. Ils forment un duo dynamique et sont au sommet de leur art lorsqu’ils sont réunis. L’acteur de télévision Siddharth Shukla fait ici ses débuts au cinéma. Il campe Angad, le fiancé idéal de Kavya et le cauchemar d’Humpty. Et là, c’est un véritable virage à 180° qui est fait par rapport à DDLJ : là où Kuljeet Singh apparaissait nettement comme un homme rustre, volage et dénué de valeurs, Angad est absolument irréprochable. C’est un brillant médecin, il est athlétique, tolérant et délicat. Dans ce rôle de gendre parfait, Siddharth est fidèle à son rôle dans Anandi et ne prend pas vraiment de risque. Le problème, c’est qu’il est tellement dénué de défauts qu’il provoque l’agacement plutôt que l’attachement chez le spectateur. On se projette bien plus facilement en Humpty qui, malgré son caractère impulsif et son manque de réflexion, est bien plus attendrissant.

Ashutosh Rana est quant à lui une belle surprise dans le rôle de l’intransigeant père de Kavya. Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne peut nullement le comparer à l’illustre Amrish Puri tant leurs personnages sont différents. Là où c’est l’honneur et le sens du devoir qui justifiaient le refus du père de Simran, celui de Kavya avance des intentions tout à fait autres. Il veut éviter à sa cadette de vivre la situation de sa sœur Swati qui, après un mariage d’amour, a vécu un divorce douloureux. On ressent une profonde sympathie pour ce père, alors que le papa de Simran nous inspirait plus de peur qu’autre chose. C’est une autre distinction qu’il est important de soulever.

Voici d’ailleurs la force de Humpty Sharma Ki Dulhania : on a droit à des personnages humains et originaux, et c’est bien pour cela que le rôle d’Angad fait tâche dans le paysage.

Mahnaz Damania incarne Swati, la sœur divorcée de Kavya. Si elle est plutôt discrète à l’écran, son personnage a un énorme impact dans l’intrigue. L’actrice dégage une fragilité poignante dans ce rôle difficile, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. A l’image de Swati, elle reste digne et nuancée dans sa prestation. Gaurav Pandey et Sahil Vaid campent respectivement Shonty et Poplu, les meilleurs amis d’Humpty. Ils constituent un soutien sans faille dans sa quête pour épouser sa belle, et tiennent également une place importante dans la trame. Les deux acteurs s’en sortent à merveille, particulièrement Sahil Vaid qui donne de sa personne en tentant notamment de séduire Angad dans une séquence hilarante, qui fait allègrement référence à un autre cru Dharma : Dostana, sorti en 2008.

La vraie morale de ce film, c’est de nous faire comprendre qu’on ne doit pas courir après une personne parfaite en tous points. Il s’agit a contrario de trouver un être avec ses qualités et ses défauts, mais avec laquelle la relation sera idéale. Et là est clairement la nature de l’amour qui lie Humpty à Kavya. Il ne gagne pas beaucoup d’argent, il n’est pas le mec le plus fin du monde et manque cruellement de nuance dans sa façon d’agir. Mais il aime cette jeune fille et investira cette relation de telle sorte qu’elle s’y épanouira. Avec Angad, elle aura effectivement un toit plutôt confortable sur la tête, le prestige de vivre aux USA et d’être l’épouse d’un médecin. Mais elle n’aura pas l’amour d’un mari éperdument épris d’elle, qui entreprendra tout ce qu’il pourra pour la rendre heureuse.

L’autre point fort de ce film, c’est sa musique.

En effet, deux duos de compositeurs officient sur cet album : Sachin-Jigar et Sharib-Toshi. Commençons par la soupe de la BO, clairement créée pour attirer les spectateurs des multiplexes : « Saturday Saturday », chantée par Badshah et Akriti Kakkar. Ce morceau électro sonne d’autant plus faux lorsqu’il s’accompagne de sa mise en scène cheap. Fort heureusement, cette séquence musicale n’est pas intégrée à la narration et sert seulement de générique final. Le reste de la musique est plutôt réussi. « Samjhawan » est une reprise d’un titre de Jawad Ahmed, ré-instrumentalisée avec la voix d’Arijit Singh. Mais c’est la version plus intimiste d’Alia Bhatt qui fait son effet, grâce au timbre doux et mesuré de la comédienne. Varun Dhawan s’essaye quant à lui au rap, non sans humour, sur l’entêtante « Lucky Tu Lucky Me », avec également les voix des talentueux Benny Dayal et Anushka Manchanda. On a également droit à un morceau familial avec « Daingad Daingad », durant lequel chacun raconte son histoire d’amour avec gaieté et bonne humeur. Avec « D Se Dance », on reste dans la continuité de cet album hybride, mêlant à la fois sons modernes et instruments traditionnels. Les voix si atypiques de Vishal Dadlani et Shalmali Kholgade ajoutent du cachet à ce morceau dansant. Enfin, la sympathique « Emotional Fool » sert surtout à introduire nos chers héros.

En conclusion



Humpty Sharma Ki Dulhania fait incontestablement partie des belles surprises de l’année 2014. Ce n’est certes pas un film qui sort des sentiers battus. Au contraire, il respecte les codes de la romance indienne tout en en modernisant certains éléments. On a ainsi l’impression agréable d’être à la fois en terrain connu, sans avoir pour autant une sensation de réchauffé. Le film a su réinventer sa trame pour nous faire oublier le comparatif initial avec Dilwale Dulhania Le Jayenge.

J’ai effectivement passé un moment de cinéma revigorant devant ce Humpty Sharma Ki Dulhania, et j’ai surtout redécouvert Varun et Alia, qui n’ont jamais été aussi convaincants qu’ensemble. Ainsi, je lance un appel à tous les cinéastes et producteurs indiens qui auraient l’idée brillante de les réunir : foncez, les mecs ! Et surtout à vous, amateurs de romances fraîches et attachantes, je vous invite vivement à découvrir cette jolie production de Karan Johar qui, une fois n’est pas coutume, fait plutôt dans la sobriété. C’est la preuve que le cinéma indien n’est pas que visuel, mais qu’il est aussi émotionnel. Et j’ai été touchée par cette histoire d’amour plutôt simple mais emplie d’âme.

LA NOTE: 4/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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