Critique : Highway (★★★★☆)
5 juillet 2023
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 82.
Avant 2014, Alia Bhatt était pour moi l’incarnation de la platitude au cinéma. Inexpressive, creuse et de surcroît pistonnée, je n’attendais rien de cette jeune fille qui n’avait selon moi aucun atout pour faire carrière. J’avais trouvé d’autant plus affligeant qu’elle cherche à s’imposer comme une figure glamour alors qu’elle tient plutôt physiquement de la ‘girl next door’. Lorsqu’Imtiaz Ali annonce que la jeune femme jouera dans son prochain film, je me dis donc que Bollywood va mal !
Cependant, je tempère mon avis négatif, me souvenant que j’avais ressenti la même aberration quand il avait intégré Deepika Padukone au casting de Love Aaj Kal... Mais il n’empêche, je ne crois absolument pas en ce projet, intitulé Highway. En effet, ce métrage est en fait tiré d’un téléfilm tourné par Imtiaz lui-même pour la chaîne Zee TV en 1999. J’ai eu l’occasion de voir un autre téléfilm inspiré de cette histoire pour le programme d’anthologie Yeh Hai Aashiqui, avec Neha Sargam et Mayank Gandhi. Si j’avais été séduite par la complicité du couple principal, je me demandais comment on pouvait décemment développer une histoire d’amour entre une jeune fille et son ravisseur. Pourtant, Highway est une vraie surprise, dont la véritable force n’est autre qu’Alia Bhatt. Oui, la cruche transparente dont je vous parlais quelques lignes plus haut !
Veera Tripathi (Alia Bhatt) vient d’une famille influente. A l’aube de son mariage, elle cherche à respirer, à s’évader de l’atmosphère étouffante de son imposant foyer. Elle veut de l’air pur, juste quelques minutes d’air pur et un semblant d’indépendance... Mais sa volonté lui coûtera cher. Sur l’autoroute de la liberté, elle est kidnappée par Mahabir Bhati (Randeep Hooda), qui ignore sa prestigieuse ascendance. Et alors qu’elle devrait vivre sa captivité comme un traumatisme, Veera l’investit comme une délivrance...
Imtiaz Ali revient à l’authenticité avec ce film, loin des budgets énormes et des prises de vue clinquantes de ses Love Aaj Kal et Rockstar. J’ai aimé l’intelligence visuelle de Highway, qui utilise sa caméra pour mettre en valeur ses personnages. Ce qui me dérange avec certains films de notre ère, c’est cette tendance à vouloir vendre un acteur, une franchise plutôt qu’une histoire. Lorsqu’on va voir un film, on ne cherche plus à découvrir une trame avec des protagonistes et des rebondissements. On vient voir une vedette, un couple ou le produit d’une bannière. Mais l’enjeu d’un film n’est pas de promouvoir les acteurs qui y figurent. Il est de missionner des comédiens qui sauront faire oublier leur image publique pour s’imprégner d’un rôle pleinement. Et ce qui m’a plu dans Highway, c’est que je n’ai pas vu Alia une seule fois... Je n’ai suivi que le passionnant voyage de Veera.
Les acteurs incarnent leurs rôles avec assez d’humilité pour ne pas desservir le récit. Je n’ai pas eu le sentiment de voir un film avec une grosse distribution, bien au contraire. Pourtant, la réputation du brillant Randeep Hooda n’est plus à faire, et Alia Bhatt a une notoriété impressionnante pour son jeune âge. Mais ici, ils se mettent au service de Mahabir et Veera pour mieux les incarner. En lisant le pitch de Highway, j’avais pourtant peur des similitudes avec Jab We Met, l'œuvre culte du même réalisateur. Effectivement, on peut émettre des liens entre ces deux road-movies, qui racontent à leur façon le cheminement identitaire de ces couples que tout oppose et qui, au contact l’un de l’autre, vont se révéler pour finalement se trouver. Mais Jab We Met est, par essence, une comédie romantique, ce qui n’est pas le cas de Highway. C’est en cela que le métrage se distingue du reste de la filmographie du cinéaste.
En voyant Highway, j’ai eu le sentiment de découvrir une relecture de la Belle et la Bête, aussi étrange que fascinante. L’ouvrage de Madame de Villeneuve, lui-même tiré du folklore italien, semble avoir servi de base à l’écriture de Highway. La Belle, riche mais au cœur pur, se voit sacrifiée à la Bête. Au quotidien, elle le découvre doux et vulnérable, et en manque cruel d’amour. C’est exactement de cette manière que l’on peut définir le lien qui unit Veera à Mahabir.
Pourtant, elle s’attache à cette « bête » et voit en lui le prince qu’elle n’a jamais trouvé dans son environnement de luxe et d’apparat. Veera a toujours vécu dans cette ambiance artificielle. Là d’où elle vient, la jeune fille était esclave des apparences et du « qu’en dira-t-on ». Elle suffoquait au sein d’une famille où le regard des autres primait sur le bonheur. Elle a appris à taire ses désirs, ses souhaits et ses tourments pour assurer l’image de sa famille. Dans sa tour d’ivoire, on ne lui permettait pas d’être, mais juste de paraître... Et avec le sourire, s’il vous plaît !
Au contact de Mahabir, elle se laisse aller à sa spontanéité. Elle s’exprime, pense tout haut et tient tête à la brute qu’est en apparence son ravisseur. Dans le conte traditionnel, la Bête attend l’amour sincère d’une princesse pour être libéré de son sortilège. Dans Highway, la tendresse de Veera est émancipatrice pour Mahabir. En la kidnappant, il s’est ouvert à elle, ce petit bout de femme que rien n’arrête. Veera voit en lui un sauveur, celui qui lui a fait découvrir le vrai sens de la vie. Et elle devient pour ce dernier le déclencheur de sa remise en question. S’il ne comprend pas les sentiments qui l’habitent, si ceux-ci lui font peur, il ne peut se résoudre à s’en défaire. Il rejette d’abord Veera, souhaitant ne voir en elle qu’un instrument de son plan de malfrat. Mais il finit par s’attacher à elle, par être bouleversé par la confiance qu’elle lui confère. Cet être solitaire découvre avec Veera ce que ça fait que de compter pour quelqu’un. Cependant, on ne peut pas parler d’histoire d’amour. C’est d’ailleurs un écueil scénaristique qui aurait pu coûter au film toute sa crédibilité. C’est une profonde amitié, un attachement viscéral et une sincérité sans faille qui lient Veera et Mahabir. Ils s’aiment, c’est certain. Mais ici, on ne nous vend pas de romantisme. Si le film avait duré deux heures de plus, la relation entre les deux héros aurait pu prendre cette tournure. Mais Highway prend son temps. Le lien entre Veera et Mahabir évolue au rythme de leur périple. Tantôt à grande vitesse, tantôt au point mort... Et c’est tant mieux car c’est comme ça dans la vraie vie !
Car c’est le trajet de Veera et Mahabir qui est au centre de l’intrigue. C’est dans ce voyage qu’ils se trouvent, s’affirment et s’attachent l’un à l’autre. Leur course-poursuite pour échapper aux forces de police se transforme en expédition initiatique, durant laquelle l’une apprend de la vie, l’autre des relations humaines. Pendant tout le film, Veera et Mahabir se cherchent, s’apprivoisent et se tournent autour. Ils s’accomplissent dans leur complicité, aussi évidente qu’improbable, et souhaitent la prolonger. On ne parle ni de sentiment amoureux, ni de mariage ! Veera et Mahabir opèrent un effet salvateur l’un sur l’autre, ils se comprennent et pansent ensemble leurs blessures. Leur relation fonctionne comme une cure qui soigne les plaies de leurs enfances troublées. Car Highway ne se contente pas d’être un conte sur la valeur de l’existence. Il met en exergue la difficulté de se construire lorsque l’on a vécu un traumatisme dans l’enfance. Veera et Mahabir ont été témoins ou ont subi des événements terribles lorsqu’ils étaient petits, source de leur fragilité à l’âge adulte. C’est dans la douleur qu’ils se sont unis pour mieux se délivrer de leur mal-être.
Alia Bhatt est exceptionnelle dans le rôle de Veera ! Je peine à réaliser que c’est uniquement son second film. Elle est loin, la fille pourrie-gâtée et superficielle de Student of the Year ! Alia nous livre une prestation mesurée, mais également pleine de vie. Elle s’approprie Veera sans faillir, et lui donne toute sa jeunesse et tout son dynamisme. Imtiaz Ali avouait qu’il souhaitait à l’origine engager une actrice plus âgée pour incarner Veera. Je pense que ça aurait été une erreur de sa part. La jeunesse et l’innocence de Veera font partie intégrante du personnage. Ce sont d’ailleurs ces traits de son caractère qui ont un effet salutaire sur Mahabir. Veera est comme une enfant qui a refusé de grandir, et qui découvre le monde avec son regard gamin aux côtés de Mahabir. La jeune actrice impressionne par son naturel et son aplomb. Elle est lumineuse dans un rôle aux parts sombres, sans jamais tomber dans le mélodrame excessif. Highway a eu pour Alia le même effet que Lootera pour Sonakshi Sinha : il nous a permis de découvrir une interprète en nous faisant oublier le produit médiatique de producteurs influents.
Le comédien de 38 ans livre une prestation mature et toute en retenue. Il campe un Mahabir secret et belliqueux, à l’opposé de la solaire Veera. Avec ce film, il prouve définitivement que l’industrie hindi fait un horrible gâchis de son talent sans limite. Toujours en 2014, il était notamment réduit à un rôle mineur dans le blockbuster Kick. En espérant que sa prestation poignante dans Highway lui permette de signer d’autres premiers rôles, car il le mérite. La vraie surprise réside dans l’alchimie qui lie les deux acteurs. Malgré leurs 17 années de différence, une tendre complicité se tisse entre eux, la maturité de Randeep mettant merveilleusement en lumière la candide énergie d’Alia.
La bande-originale d’A.R. Rahman accompagne savamment les puissantes images d’Imtiaz Ali, photographiées par Anil Mehta et montées par Aarti Bajaj. Elle prend d’ailleurs tout son sens lorsqu’elle est associée à la caméra du cinéaste. « Patakha Guddi » existe en deux versions, mais celle interprétée par les sœurs Sultana et Jyoti Nooran sort du lot et met formidablement en musique le circuit de Veera et Mahabir. On doit l’émouvante « Kahaan Hoon Main » à Jonita Gandhi, qui sert une très belle séquence de Highway. Mais en termes d’émotions, c’est « Heera » qui bat tous les records, en illustrant un instant fort qui vous fera couler les larmes des yeux en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. La voix surannée de Shweta Pandit donne encore plus de dimension à ce titre poignant. Sunidhi Chauhan pose son timbre sur « Tu Kuja », morceau sublimé par la scène magnifique qu’elle accompagne. La douce « Sooha Saaha » est interprétée par Zeb Bangash et Alia Bhatt elle-même, qui excelle également derrière un micro. L’une porte la voix de la mère sacrificielle quand l’autre incarne celle de l’amie vivante. « Maahi Ve », chantée par le compositeur lui-même, est également une réussite dans le contexte de l'œuvre.
Highway va au-delà des syndromes de Stockholm et de Lima. Car l’attachement entre les deux héros transcende l’amitié ou la romance : Highway est une ode à l’humanité dans son immense splendeur, portée par son duo d’acteurs grandioses. J’ai été happée par ce film aussi sombre qu’éclatant. L'œuvre d’Imtiaz Ali nous fait voyager entre le Cachemire et l’Himachal Pradesh, en passant par le Punjab et le Rajasthan. Dans Highway, il n’y a pas de gentils ou de méchants, l’antagonisme entre Veera et Mahabir justifie a contrario la force de leur relation.
On ne se sent bien qu’auprès des gens qui nous permettent d’être nous-mêmes, vrais et sans calcul. Alors Highway n’est pas à inscrire dans la lignée des autres films d’Imtiaz Ali, parce qu’il n’entre pas dans le registre de la romance. Mais cela n’enlève rien à sa qualité, bien au contraire. C’est un film remuant qui vous touchera autant qu’il vous questionnera. Enfin, ce film m’a permis de (re)découvrir Alia Bhatt pour mieux l’apprécier à sa juste valeur. Ce métrage l’a consacré comme l’un des grands espoirs de l’industrie hindi, en donnant le ton du reste de son année 2014, suivie des succès populaires et critiques de 2 States et Humpty Sharma Ki Dulhania. Concrètement, s’il vous faut une seule raison pour vous convaincre de visionner Highway, c’est le travail impeccable d’Alia Bhatt...
Avant 2014, Alia Bhatt était pour moi l’incarnation de la platitude au cinéma. Inexpressive, creuse et de surcroît pistonnée, je n’attendais rien de cette jeune fille qui n’avait selon moi aucun atout pour faire carrière. J’avais trouvé d’autant plus affligeant qu’elle cherche à s’imposer comme une figure glamour alors qu’elle tient plutôt physiquement de la ‘girl next door’. Lorsqu’Imtiaz Ali annonce que la jeune femme jouera dans son prochain film, je me dis donc que Bollywood va mal !
Cependant, je tempère mon avis négatif, me souvenant que j’avais ressenti la même aberration quand il avait intégré Deepika Padukone au casting de Love Aaj Kal... Mais il n’empêche, je ne crois absolument pas en ce projet, intitulé Highway. En effet, ce métrage est en fait tiré d’un téléfilm tourné par Imtiaz lui-même pour la chaîne Zee TV en 1999. J’ai eu l’occasion de voir un autre téléfilm inspiré de cette histoire pour le programme d’anthologie Yeh Hai Aashiqui, avec Neha Sargam et Mayank Gandhi. Si j’avais été séduite par la complicité du couple principal, je me demandais comment on pouvait décemment développer une histoire d’amour entre une jeune fille et son ravisseur. Pourtant, Highway est une vraie surprise, dont la véritable force n’est autre qu’Alia Bhatt. Oui, la cruche transparente dont je vous parlais quelques lignes plus haut !
Mais en quoi ce film représente-t-il un tournant dans sa carrière ? Et surtout, qu’est-ce qui fait de Highway un film si spécial ?
Veera Tripathi (Alia Bhatt) vient d’une famille influente. A l’aube de son mariage, elle cherche à respirer, à s’évader de l’atmosphère étouffante de son imposant foyer. Elle veut de l’air pur, juste quelques minutes d’air pur et un semblant d’indépendance... Mais sa volonté lui coûtera cher. Sur l’autoroute de la liberté, elle est kidnappée par Mahabir Bhati (Randeep Hooda), qui ignore sa prestigieuse ascendance. Et alors qu’elle devrait vivre sa captivité comme un traumatisme, Veera l’investit comme une délivrance...
Imtiaz Ali revient à l’authenticité avec ce film, loin des budgets énormes et des prises de vue clinquantes de ses Love Aaj Kal et Rockstar. J’ai aimé l’intelligence visuelle de Highway, qui utilise sa caméra pour mettre en valeur ses personnages. Ce qui me dérange avec certains films de notre ère, c’est cette tendance à vouloir vendre un acteur, une franchise plutôt qu’une histoire. Lorsqu’on va voir un film, on ne cherche plus à découvrir une trame avec des protagonistes et des rebondissements. On vient voir une vedette, un couple ou le produit d’une bannière. Mais l’enjeu d’un film n’est pas de promouvoir les acteurs qui y figurent. Il est de missionner des comédiens qui sauront faire oublier leur image publique pour s’imprégner d’un rôle pleinement. Et ce qui m’a plu dans Highway, c’est que je n’ai pas vu Alia une seule fois... Je n’ai suivi que le passionnant voyage de Veera.
La star du film, c’est son intrigue.
Les acteurs incarnent leurs rôles avec assez d’humilité pour ne pas desservir le récit. Je n’ai pas eu le sentiment de voir un film avec une grosse distribution, bien au contraire. Pourtant, la réputation du brillant Randeep Hooda n’est plus à faire, et Alia Bhatt a une notoriété impressionnante pour son jeune âge. Mais ici, ils se mettent au service de Mahabir et Veera pour mieux les incarner. En lisant le pitch de Highway, j’avais pourtant peur des similitudes avec Jab We Met, l'œuvre culte du même réalisateur. Effectivement, on peut émettre des liens entre ces deux road-movies, qui racontent à leur façon le cheminement identitaire de ces couples que tout oppose et qui, au contact l’un de l’autre, vont se révéler pour finalement se trouver. Mais Jab We Met est, par essence, une comédie romantique, ce qui n’est pas le cas de Highway. C’est en cela que le métrage se distingue du reste de la filmographie du cinéaste.
En voyant Highway, j’ai eu le sentiment de découvrir une relecture de la Belle et la Bête, aussi étrange que fascinante. L’ouvrage de Madame de Villeneuve, lui-même tiré du folklore italien, semble avoir servi de base à l’écriture de Highway. La Belle, riche mais au cœur pur, se voit sacrifiée à la Bête. Au quotidien, elle le découvre doux et vulnérable, et en manque cruel d’amour. C’est exactement de cette manière que l’on peut définir le lien qui unit Veera à Mahabir.
La jeune femme est pleine de vie, naïve et loquace, quand son ravisseur est rustre et taciturne.
Pourtant, elle s’attache à cette « bête » et voit en lui le prince qu’elle n’a jamais trouvé dans son environnement de luxe et d’apparat. Veera a toujours vécu dans cette ambiance artificielle. Là d’où elle vient, la jeune fille était esclave des apparences et du « qu’en dira-t-on ». Elle suffoquait au sein d’une famille où le regard des autres primait sur le bonheur. Elle a appris à taire ses désirs, ses souhaits et ses tourments pour assurer l’image de sa famille. Dans sa tour d’ivoire, on ne lui permettait pas d’être, mais juste de paraître... Et avec le sourire, s’il vous plaît !
Au contact de Mahabir, elle se laisse aller à sa spontanéité. Elle s’exprime, pense tout haut et tient tête à la brute qu’est en apparence son ravisseur. Dans le conte traditionnel, la Bête attend l’amour sincère d’une princesse pour être libéré de son sortilège. Dans Highway, la tendresse de Veera est émancipatrice pour Mahabir. En la kidnappant, il s’est ouvert à elle, ce petit bout de femme que rien n’arrête. Veera voit en lui un sauveur, celui qui lui a fait découvrir le vrai sens de la vie. Et elle devient pour ce dernier le déclencheur de sa remise en question. S’il ne comprend pas les sentiments qui l’habitent, si ceux-ci lui font peur, il ne peut se résoudre à s’en défaire. Il rejette d’abord Veera, souhaitant ne voir en elle qu’un instrument de son plan de malfrat. Mais il finit par s’attacher à elle, par être bouleversé par la confiance qu’elle lui confère. Cet être solitaire découvre avec Veera ce que ça fait que de compter pour quelqu’un. Cependant, on ne peut pas parler d’histoire d’amour. C’est d’ailleurs un écueil scénaristique qui aurait pu coûter au film toute sa crédibilité. C’est une profonde amitié, un attachement viscéral et une sincérité sans faille qui lient Veera et Mahabir. Ils s’aiment, c’est certain. Mais ici, on ne nous vend pas de romantisme. Si le film avait duré deux heures de plus, la relation entre les deux héros aurait pu prendre cette tournure. Mais Highway prend son temps. Le lien entre Veera et Mahabir évolue au rythme de leur périple. Tantôt à grande vitesse, tantôt au point mort... Et c’est tant mieux car c’est comme ça dans la vraie vie !
Le film porte le nom du personnage principal de l'œuvre : la route.
Car c’est le trajet de Veera et Mahabir qui est au centre de l’intrigue. C’est dans ce voyage qu’ils se trouvent, s’affirment et s’attachent l’un à l’autre. Leur course-poursuite pour échapper aux forces de police se transforme en expédition initiatique, durant laquelle l’une apprend de la vie, l’autre des relations humaines. Pendant tout le film, Veera et Mahabir se cherchent, s’apprivoisent et se tournent autour. Ils s’accomplissent dans leur complicité, aussi évidente qu’improbable, et souhaitent la prolonger. On ne parle ni de sentiment amoureux, ni de mariage ! Veera et Mahabir opèrent un effet salvateur l’un sur l’autre, ils se comprennent et pansent ensemble leurs blessures. Leur relation fonctionne comme une cure qui soigne les plaies de leurs enfances troublées. Car Highway ne se contente pas d’être un conte sur la valeur de l’existence. Il met en exergue la difficulté de se construire lorsque l’on a vécu un traumatisme dans l’enfance. Veera et Mahabir ont été témoins ou ont subi des événements terribles lorsqu’ils étaient petits, source de leur fragilité à l’âge adulte. C’est dans la douleur qu’ils se sont unis pour mieux se délivrer de leur mal-être.
Alia Bhatt est exceptionnelle dans le rôle de Veera ! Je peine à réaliser que c’est uniquement son second film. Elle est loin, la fille pourrie-gâtée et superficielle de Student of the Year ! Alia nous livre une prestation mesurée, mais également pleine de vie. Elle s’approprie Veera sans faillir, et lui donne toute sa jeunesse et tout son dynamisme. Imtiaz Ali avouait qu’il souhaitait à l’origine engager une actrice plus âgée pour incarner Veera. Je pense que ça aurait été une erreur de sa part. La jeunesse et l’innocence de Veera font partie intégrante du personnage. Ce sont d’ailleurs ces traits de son caractère qui ont un effet salutaire sur Mahabir. Veera est comme une enfant qui a refusé de grandir, et qui découvre le monde avec son regard gamin aux côtés de Mahabir. La jeune actrice impressionne par son naturel et son aplomb. Elle est lumineuse dans un rôle aux parts sombres, sans jamais tomber dans le mélodrame excessif. Highway a eu pour Alia le même effet que Lootera pour Sonakshi Sinha : il nous a permis de découvrir une interprète en nous faisant oublier le produit médiatique de producteurs influents.
Pour lui donner la réplique, Imtiaz Ali a fait appel à un acteur de Bollywood des plus sous-employés : Randeep Hooda.
Le comédien de 38 ans livre une prestation mature et toute en retenue. Il campe un Mahabir secret et belliqueux, à l’opposé de la solaire Veera. Avec ce film, il prouve définitivement que l’industrie hindi fait un horrible gâchis de son talent sans limite. Toujours en 2014, il était notamment réduit à un rôle mineur dans le blockbuster Kick. En espérant que sa prestation poignante dans Highway lui permette de signer d’autres premiers rôles, car il le mérite. La vraie surprise réside dans l’alchimie qui lie les deux acteurs. Malgré leurs 17 années de différence, une tendre complicité se tisse entre eux, la maturité de Randeep mettant merveilleusement en lumière la candide énergie d’Alia.
La bande-originale d’A.R. Rahman accompagne savamment les puissantes images d’Imtiaz Ali, photographiées par Anil Mehta et montées par Aarti Bajaj. Elle prend d’ailleurs tout son sens lorsqu’elle est associée à la caméra du cinéaste. « Patakha Guddi » existe en deux versions, mais celle interprétée par les sœurs Sultana et Jyoti Nooran sort du lot et met formidablement en musique le circuit de Veera et Mahabir. On doit l’émouvante « Kahaan Hoon Main » à Jonita Gandhi, qui sert une très belle séquence de Highway. Mais en termes d’émotions, c’est « Heera » qui bat tous les records, en illustrant un instant fort qui vous fera couler les larmes des yeux en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. La voix surannée de Shweta Pandit donne encore plus de dimension à ce titre poignant. Sunidhi Chauhan pose son timbre sur « Tu Kuja », morceau sublimé par la scène magnifique qu’elle accompagne. La douce « Sooha Saaha » est interprétée par Zeb Bangash et Alia Bhatt elle-même, qui excelle également derrière un micro. L’une porte la voix de la mère sacrificielle quand l’autre incarne celle de l’amie vivante. « Maahi Ve », chantée par le compositeur lui-même, est également une réussite dans le contexte de l'œuvre.
En conclusion
Highway va au-delà des syndromes de Stockholm et de Lima. Car l’attachement entre les deux héros transcende l’amitié ou la romance : Highway est une ode à l’humanité dans son immense splendeur, portée par son duo d’acteurs grandioses. J’ai été happée par ce film aussi sombre qu’éclatant. L'œuvre d’Imtiaz Ali nous fait voyager entre le Cachemire et l’Himachal Pradesh, en passant par le Punjab et le Rajasthan. Dans Highway, il n’y a pas de gentils ou de méchants, l’antagonisme entre Veera et Mahabir justifie a contrario la force de leur relation.
On ne se sent bien qu’auprès des gens qui nous permettent d’être nous-mêmes, vrais et sans calcul. Alors Highway n’est pas à inscrire dans la lignée des autres films d’Imtiaz Ali, parce qu’il n’entre pas dans le registre de la romance. Mais cela n’enlève rien à sa qualité, bien au contraire. C’est un film remuant qui vous touchera autant qu’il vous questionnera. Enfin, ce film m’a permis de (re)découvrir Alia Bhatt pour mieux l’apprécier à sa juste valeur. Ce métrage l’a consacré comme l’un des grands espoirs de l’industrie hindi, en donnant le ton du reste de son année 2014, suivie des succès populaires et critiques de 2 States et Humpty Sharma Ki Dulhania. Concrètement, s’il vous faut une seule raison pour vous convaincre de visionner Highway, c’est le travail impeccable d’Alia Bhatt...
LA NOTE: 4/5