Bolly&co Magazine

Critique : Ek Villain (★★★★☆)

8 juillet 2023
Humpty Sharma Ki Dulhania critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 104.

Lorsque le premier teaser de Ek Villain est lancé en avril 2014, le film crée le buzz. En effet, depuis le carton plein de son drame musical Aashiqui 2, les travaux du cinéaste Mohit Suri sont particulièrement anticipés, d’où les attentes autour de Ek Villain. L’album du film sort quant à lui en mai 2014. De son histoire à sa musique en passant par son casting, tout ce qui a fait le succès d’Aashiqui 2 est passé à la moulinette pour évaluer si Ek Villain sera à la hauteur de son prédécesseur. Les fans comme les critiques attendaient donc ce thriller romantique au tournant. Pourtant, il n’y a pas de quoi en faire des caisses !

Effectivement, Mohit Suri s’est déjà essayé au thriller par le passé, même s’il était plus érotique que romantique. Il a dirigé Emraan Hashmi, le spécialiste du genre, dans Awarapan, Raaz et Murder 2. Il ne vend rien de grandement avant-garde, si ce n’est des suspenses de bonne facture au sein d’une industrie hindi où ce sont les romcom et les masala qui font fureur. Mohit Suri est à l’image de la boîte de production Vishesh Films : le vilain petit canard de Bollywood. Leurs films ne sont que très rarement nommés lors de cérémonies de récompense et reçoivent un accueil froid de la part des critiques, qui considèrent ces œuvres comme des productions de seconde zone. Mais le public répond régulièrement présent dans les salles, faisant au passage des protégés de la bannière (Emraan Hashmi, Bipasha Basu et Kangana Ranaut) de véritables stars. Mais le succès inattendu de Aashiqui 2 a remis les pendules à l’heure, révélant les talents jusque-là ignorés d’Aditya Roy Kapur et de Shraddha Kapoor, et permettant à Mohit Suri de faire partie des réalisateurs les plus convoités de Bollywood.

Avec Ek Villain, il doit confirmer l’impression laissée par son précédent blockbuster. L’enjeu est énorme pour sa carrière, mais pas seulement. Le cinéaste a en effet décidé de miser sur un casting plutôt inattendu pour le genre : le lisse Sidharth Malhotra et le sympathique Riteish Deshmukh joueront les « méchants » de cette love story. Sidharth a effectivement campé des personnages très proprets pour ses films Student Of The Year et Hasee Toh Phasee. Quant à Riteish, c’est surtout dans la comédie qu’il s’est illustré. Ainsi, au lieu d’être impatients, il y a là toutes les raisons d’être anxieux à la perspective de ce film, qui se base sur les frêles épaules de ses acteurs inexpérimentés.

Alors, Ek Villain est-il vraiment le film espéré ? Le suspense annoncé dans les différentes bandes-annonces est-il au rendez-vous ? Sidharth et Riteish parviennent-ils à habiter ces personnages si éloignés de leurs registres respectifs ?



Tenter de vous résumer l’intrigue de ce film aurait toutes les chances de vous ruiner le semblant de mystère qui y réside. En visionnant les vidéos promotionnelles du film, la comparaison avec un autre thriller peut allègrement se faire : le brillant Ghajini, avec Aamir Khan et Asin Thottumkal. C’est tout à fait ce qui se dégage de la bande-annonce de Ek Villain, un Guru (Sidharth Malhotra) enragé par le décès de sa bien-aimée Aisha (Shraddha Kapoor), dont on peut soupçonner Rakesh (Riteish Deshmukh) d’en être l’assassin. Mais les apparences sont parfois trompeuses, et Guru semble aussi mauvais que celui qui a tué sa belle…

Alors, qui est le véritable méchant de cette histoire ?

Je vous rassure (ou pas !), le suspense ne dure pas bien longtemps et on est au contraire rapidement fixé sur la nature de chacun des protagonistes de Ek Villain. On a bien un méchant, mais il y a également un héros qui est en réalité un méchant révolu. Nous avons bien sûr droit à une belle héroïne pour couronner le tout. Le schéma est finalement moins innovant que prévu. Malgré ce qu’on nous promet, il n’y a pas là deux âmes mauvaises qui s’affrontent, mais deux incarnations respectives du Bien et du Mal racontées de la façon la plus classique qui soit. La narration se fait sous le même format que pour Ghajini, par le biais de flashbacks en exploitant la liste de vœux d’Aisha comme fil conducteur, là où c’était le journal de Sanjay qui permettait de situer l’histoire dans le succès de A.R. Murugadoss. Le rôle d’Aisha est cependant plus mélodramatique que celui de Kalpana. C’est dommage car Shraddha Kapoor insuffle une véritable fraîcheur à ce personnage hélas vu et revu. Contrairement à Aashiqui 2 où elle incarnait un rôle de femme-enfant vulnérable devenue battante sur le tard, elle capte ici l’attention du spectateur dès ses premières secondes d’apparition.

Elle est lumineuse et charismatique malgré un rôle plutôt cliché, au final. Elle possède cette exubérance et ce jeu énergique, presque cabotin, caractéristique de grandes actrices des années 1990 telles que Kajol, Juhi Chawla et Karisma Kapoor. Si elle joue avec justesse son rôle, Aisha n’est qu’un personnage secondaire du film. En effet, l’enjeu tourne autour de la confrontation entre Guru et Rakesh, et c’est en cela que Ek Villain tire tout son intérêt.

Dans la plupart des films, le méchant n’est jamais réduit qu’à sa fonction négative.

Il est là pour semer la terreur, kidnapper l’héroïne, se battre pendant les 20 dernières minutes du film avec le héros avant de mourir ou d’être saisi par les autorités. Mais dans Ek Villain, il a une vraie place à tenir. Rakesh est aussi mis en valeur que Guru. On découvre ses vices, mais également son quotidien et ses profondes pensées. Il n’est pas mauvais par essence mais par circonstances. Il devient l’incarnation du Mal face au Bien que devient Guru. Rakesh est certes l’antagoniste de l’intrigue, mais il est assez développé pour ne pas se limiter au costume réducteur du méchant au cinéma. Ek Villain explique de façon assez fascinante la capacité de chaque être humain à changer et à muer soit en une meilleure version de lui-même, soit à en devenir l’avatar le plus négatif.

Guru a toujours laissé sa rage prendre le dessus. Lorsqu’il rencontre Aisha, il se découvre submergé par un autre sentiment dont il ne soupçonnait pas le pouvoir jusqu’alors : l’amour. Chez Rakesh, c’est l’amour à sens unique qu’il porte à son épouse qui le dévore, le frustre pour finalement qu’il éclate au visage de ses victimes de la façon la plus violente qui soit. On a donc deux perceptions de l’amour : l’amour réparateur et l’amour destructeur. Guru et Rakesh incarnent respectivement ces deux visions.

Sidharth Malhotra prend un véritable risque avec ce film, loin de ses rôles d’indian lover sans relief.

On peut saluer sa prise d’initiative et admettre qu’il est absolument irrésistible avec ce look de mauvais garçon. Pourtant, au sortir du visionnage, on garde un goût assez amer de sa prestation. En effet, il lui manque quelque chose pour tout à fait convaincre dans ce rôle de composition… Plus d’implication ? Plus de démonstration ? On a parfois le sentiment que Sidharth a une palette d’expressions assez limitée. Si le personnage de Guru est, par essence, très inexpressif; il est assez étonnant de constater que, même dans les séquences de bagarre ou d’émotions intenses, l’acteur ne semble pas se donner à 100%. Il se contente de crier de façon assez machinale, le tout manquant cruellement de spontanéité. S’il a du potentiel, peut-être que ce rôle est venu trop tôt dans la carrière du comédien. De surcroît, son alchimie avec Shraddha est plutôt fragile. On a le sentiment que la jeune femme est la seule à s’impliquer, alors que son partenaire marche à reculons. Durant tout le film, on se demande ce qu’aurait donné cette œuvre avec Aditya Roy Kapur dans la peau de Guru. La complicité qu’il partageait avec Shraddha était indéniable, et le comédien est connu pour sa grande générosité à l’écran. En outre, les rôles d’écorchés vifs lui vont à merveille. Nul doute qu’il aurait fait des étincelles dans Ek Villain !

Mais la véritable révélation du film et sa vraie star, c’est Riteish Deshmukh. Le tendre époux de Genelia D’Souza fait un virage à 180° avec ce rôle de tueur sans pitié. Force est de constater qu’il est littéralement flippant en Rakesh ! Il prouve ainsi qu’il mérite beaucoup plus que les personnages comiques dont il écope depuis des années. Il interprète Rakesh avec une ferveur inégalée. Il crève l’écran à tel point qu’on s’attache même à son personnage. Si vous voulez une seule bonne raison de voir Ek Villain, elle réside dans le travail impeccable du comédien.

La réalisation de Mohit Suri ne surprend guère. Elle reprend dans sa narration la mécanique de Ghajini, sorti 6 ans plus tôt, avec une histoire similaire.

Comme avec Aashiqui 2, la photographie de Vishnu Rao est très consensuelle, probablement pour ne pas déstabiliser le spectateur. Mais le tout demeure visuellement assez pauvre, si l’on exclut certaines séquences musicales plus travaillées dans leur mise en scène. Néanmoins, le récit est haletant et dynamique. La force du film, c’est son efficacité et sa capacité à saisir le spectateur de la première à la dernière minute, malgré quelques faiblesses.

Cette œuvre puise également l’un de ses plus grands atouts dans sa bande-originale. A l’instar d’Aashiqui 2, on a droit à un album romantique, oscillant entre balades et complaintes. Le tube « Galliyan » est une réussite absolue, grâce à la voix rugueuse et la mélodie surannée d’Ankit Tiwari. L’autre version de ce titre, interprétée en duo avec Shraddha Kapoor, est tout à fait envoûtante. La voix délicate de la jeune actrice sublime ce morceau déjà riche. La balade « Banjaara », chantée et composée par Mithoon est également savoureuse. Ce dernier officie également sur les instrumentaux de la poignante « Zaroorat », interprétée par Mustafa Zahid ainsi que sur la magnifique « Hamdard », qui bénéficie du grain de voix unique d’Arijit Singh. Mais la vraie surprise de la BO de Ek Villain, c’est « Awari ». Item number lancinant pour la jolie Prachi Desai, c’est le groupe Soch qui compose et partage cette chanson avec Momina Mustehsan. En résumé, cet album aux influences pop-rock est clairement l’un des chartbusters de l’année 2014.

En conclusion



Ek Villain n’est peut-être pas le thriller le plus novateur de l’industrie hindi, mais demeure un excellent divertissement. Si Sidharth Malhotra est un peu en dessous du reste de la distribution qui, dans l’ensemble, ne fait aucune fausse note, mentions spéciales à Riteish Deshmukh et Shraddha Kapoor qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans ce film rythmé et bouleversant. La musique et l’émotion qui se dégage de ce métrage vous feront probablement adhérer à l’histoire de Guru, Aisha et Rakesh. Ainsi, même s’il est clairement perfectible, on vous invite à découvrir Ek Villain pour sa sincérité et son impact.

LA NOTE: 2,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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