Critique : Mausam (★★★☆☆)

mercredi 7 juin 2023
mausam critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 5 de Bolly&Co, page 43.

Mausam, Le film le plus attendu de l’année ? Annoncé fin 2008, le projet Mausam était pourtant pensé par Pankaj Kapur depuis la sortie de Jab We Met, en 2007. Le tournage devait démarrer début 2009, mais a dû être repoussé à cause des engagements de Shahid sur les tournages de Paathshaala, Dil Bole Hadippa et Kaminey. De plus, les post-productions et sorties de certains de ces projets ayant été repoussés (Kaminey, Paathshaala, ainsi que le doublage de Chance Pe Dance), cela mènera au report continuel du lancement de l'œuvre. Le seul élément qui est révélé aux fans et aux médias est le suivant : Mausam sera une histoire d’amour intemporelle…

Les rumeurs ont fusé, le premier film en tant que cinéaste de Pankaj Kapur serait inspiré de Hamlet, œuvre de William Shakespeare… Eh bien, que nenni ! Car sa réalisation sera purement originale, et écrite par lui-même. Quelque temps plus tard, Shahid annonce qu’il prendra cinq mois pour se préparer physiquement à incarner son personnage dans le métrage, d’où le fait qu’après la sortie de Badmaash Company, il ne signe plus aucun contrat. Et entre Jab We Met et Kaminey, on le retrouverait de nouveau dans un rôle “grave” après la comédie Dil Bole Hadippa et le léger Chance Pe Dance. Le tournage a officiellement commencé en janvier 2010, sans la partenaire de l’acteur, alors pas encore sélectionnée.

Concernant l’actrice principale, les spéculations ont fait le tour de la toile et des journaux. Après avoir cité Vidya Balan et Priyanka Chopra comme les hypothétiques co-stars du Chocolate Boy (rumeurs alimentées par lesdites relations qu’aurait entretenu Shahid avec celles-ci), Pankaj Kapur aurait envisagé de contacter Sonakshi Sinha, fille de Shatrughan et à l’époque inconnue du public (elle était alors en plein tournage du blockbuster Dabangg). Mais Shahid aurait confié à son père qu’il était dubitatif quant aux capacités de la jeune femme et lui a de fait conseillé de songer à d’autres actrices plus expérimentées pour porter sur ses épaules un tel projet. Ironie du sort : Sonakshi et Shahid seront les héros de la prochaine production de Sajid Nadiadwala, et les deux vedettes seraient déjà très proches depuis leur rencontre lors d’une cérémonie de récompenses…

Des auditions ont été organisées de part et d’autre de l’Inde afin de trouver une débutante capable d’incarner la dulcinée de Shahid.

Hélas, les castings ne se sont pas révélés concluants. En 2009, Shahid Kapoor reçoit le Rajiv Gandhi Award pour sa contribution au cinéma hindi aux côtés de Katrina Kaif. Les deux comédiens s’étant liés d’amitié, Shahid aurait insisté auprès de son père pour qu’il engage la jeune star de Bollywood dans Mausam. Cependant, Pankaj aurait refusé de travailler avec la jolie britannique, exigeant une indienne traditionnelle, aux antipodes de l'image sophistiquée qu’irradie la comédienne. On apprendra plus tard que l’actrice n’aurait eu de cesse de contacter Pankaj Kapur afin qu’il ne lui laisse une chance, en vain... Pankaj Kapur aurait par la suite songé à Narmada Ahuja (fille de la star Govinda) et à Shazahn Padamsee (vu dans Dil Toh Baccha Hai Ji et Orange) mais aurait très vite renoncé, pas franchement convaincu par les potentialités des deux donzelles.

On apprend par la suite que Mausam est une “love story” s’étendant sur dix ans, et illustrant Shahid dans différents avatars. Il y arbore un look mature et assuré, et y campe un officier de l'armée de l’air. En uniforme donc, d’où les innombrables comparaisons avec le Top Gun de Tom Cruise ! De surcroît, le talentueux comédien aide son paternel sur le tournage de toutes les manières possibles et passe même derrière la caméra en étant également assistant-réalisateur.

Enfin, Shahid et Pankaj officialisent le casting de leur film : pour donner la réplique au héros, ce sera Sonam Kapoor, progéniture du célèbre Anil.

Le tournage avec une partie de la distribution débute le 1er mai pour se terminer fin juin à Edimbourg, qui servira de décor aux scènes se déroulant au Cachemire. On apprend par la même occasion que Sonam incarnera une réfugiée du Cachemire de confession musulmane. Supriya Pathak Kapur, épouse de Pankaj qui a déjà collaboré avec Sonam pour Delhi 6, campera sa tante dans le métrage. Shahid et son père auraient d’ailleurs eu beaucoup de mal à convaincre Supriya de prendre part à l'œuvre. Aditi Sharma, jeune comédienne révélée dans Black & White, incarnera quant à elle un rôle-clé dans l’intrigue.

Le casting quasiment finalisé, Shahid travaille son look et sa posture pour camper cet officier de l’armée de l’air épris d’une douce musulmane. Il est donc révélé que Shahid, habitué à l’allure d'éternel adolescent qu’on lui connaît depuis Ishq Vishk, se laissera pousser la barbe. Ce look fera partie des quatre qu’il arborera dans le film, chacune correspondant aux différentes saisons, mais aussi aux états émotionnels du protagoniste qu’incarnera Shahid. Par la suite, Anupam Kher confirme via son compte Twitter qu’il sera aussi membre de la distribution de Mausam, et que l’idée seule de travailler avec Pankaj Kapur l’a poussé à signer ce projet. Concernant la musique, c’est Pritam qui compose, déclarant qu’il s’agira d’une bande-originale purement indienne. Une séquence chorégraphiée a d’ailleurs été incluse afin de faire profiter des talents de danseur de Shahid à ses fans. Mika Singh a ensuite déclaré qu’il avait enregistré un titre énergique aussi réussi que l’incontournable “Mauja Hi Mauja”. Anamika Khanna s’est chargée de la transformation de Sonam, plutôt habituée aux rôles de femmes branchées et de “small town girl”.

Pour parfaire son interprétation, Shahid Kapoor a eu le privilège de voler dans un avion F16, et il était le premier acteur de la planète à avoir bénéficié de cet honneur (Tom Cruise avait volé dans un avion F14 pour les besoins de Top Gun).

Epaulé par l’équipe de pilotage expérimentée, il a dû travailler en simulation avant de prendre les commandes de l’engin. L’acteur a pris son envol à Bangalore le 19 février 2011. Après le lancement de la première annonce, Shahid et Sonam se confient sur les conditions du tournage et expliquent qu’ils ont dû s’écrire des lettres d’amour à l’aune de la génération Facebook et Twitter, afin de mieux s’imprégner de l’époque ancestrale où la voie épistolaire était l’une des seules qui permettaient la communication. Entre des rumeurs de plagiat, l’opposition de l’Indian Air Force par rapport à certaines scènes et le recul répété de la date de sortie du film (d’abord du 22 juillet au 9 septembre, puis du 16 septembre au 23 septembre) auxquels s'ajoute le budget conséquent de l’oeuvre, Mausam aura été un projet laborieux et éprouvant à concrétiser. Autant dire que les attentes des fans comme de la profession étaient énormes !

Alors, Mausam est-il finalement à la hauteur des espérances ?



Mausam narre le lien unique qui lie Harinder SIngh, adolescent passif et immature, à Aayat Rasool, jeune musulmane taciturne et discrète. Un lien qui s’étire et se tend au fil des saisons, des évolutions et des épreuves, mais aussi au fil de l‘histoire de l’Inde et des drames qui l’ont rythmé. Les conflits au Cachemire, la guerre de Kargil, les attentats du 11 septembre… Ces événements seront la source des diverses séparations de ce couple à l’inhibition impressionnante, mais dont l’amour mutuel est tout aussi intense.

Pankaj Kapur tente de nous émouvoir avec cette fresque romanesque des plus bollywoodiennes. En effet, Mausam possède tous les codes du film sentimental qui se respecte : de grands sentiments, un héros omnipotent, une amante pure et réservée, une bande-originale de haute volée, des paysages superbes, le soin du détail… Mais il manque juste à Mausam ces touches d’authenticité et de fragilité qui font un grand film indien. Jab We Met n’avait pas le budget de Mausam, mais il possédait cette magie ambiante et cette fraîcheur qui fait quelque peu défaut à l'œuvre de Pankaj Kapur.

On suit de manière plutôt improbable les tribulations du héros, que sa belle attend patiemment, désespérément.

Le véritable problème de Mausam, c’est son rythme longuet, parsemé de séquences invraisemblables afin de mettre clairement en valeur le rejeton Shahid. Cette excessive fierté paternelle de la part de Pankaj qui nous montre son fils sous son meilleur jour, qu’il soit gamin du Punjab, pilote de l’armée de l’air ou amant déboussolée, est assez déroutante et pas toujours justifiée puisqu’elle déssert le jeune acteur plus qu’autre chose. Pourtant, dans sa première partie, le métrage est assez jouissif, plein de légèreté et de beauté, les rues étroites de Chandigarh et les pas de danse de Sasha sur le son rythmé de “Sajh Dhaj Ke” y contribuant largement.

Mausam tombe cependant vite dans le mélodrame poussif, bourratif et sirupeux. Harry est aussi passionné que Veer Pratap Singh dans Veer Zaara, aussi beau qu’Om Kapoor dans Om Shanti Om et aussi puissant que Jeevan dans Ra.One ! Sauf qu’on marche difficilement, le tout manque de proximité avec le spectateur, qui a du mal à se retrouver dans ce personnage irréprochable en tous points. Malgré cela, l’énergie de Shahid Kapoor est communicative, il est totalement investi dans l’interprétation de ce protagoniste aux multiples visages et aux humeurs changeantes. Mausam est sans doute une de ses prestations les plus remarquables d’intensité et de justesse.

Dans les séquences timidement romantiques, Sonam fait penser aux grandes madones de l’âge d’or du cinéma hindi, entre Madhubala et Meena Kumari.

Son regard pénétrant et son sourire en disent long… Mais lorsqu’il s’agit d’ouvrir la bouche dans les scènes de grand drame, la jeune femme montre ses limites et démontre hélas son inexpressivité. Une actrice plus naturelle comme Anushka Sharma ou Prachi Desai aurait été plus crédible pour incarner Aayat aux différentes périodes de sa vie, jalonnée par ses rencontres et ses séparations avec Harry. Son personnage demeure néanmoins assez troublant du fait de son inertie, de son manque de fureur et de dynamisme.

Sur le papier, Mausam avait tous les atouts pour plaire à un large public, s’il n’avait pas été aussi exagéré dans sa trame. Suivre les allers et venues du joli mais hermétique duo que forment Shahid et Sonam a donc un goût amer. On n'assiste malheureusement qu’à un drame romantique sans véritable relief. Bien filmé, bien joué, mais sans folie. Mausam est bien sympathique mais manque de saveur, et demeure une œuvre plutôt terne et mollassonne.

Mais le premier film de Pankaj possède aussi des qualités. Avec Mausam, on a droit à un film triste, sombre, mais rarement plombant. Le jeu de sa star masculine, son implication dans son incarnation de Harry a mis toute une industrie d’accord, qui n’a pourtant pas manqué de laminer le film pour ses innombrables faiblesses. L’image est soignée, tantôt verdoyante au Punjab, tantôt froide en Ecosse. La photographie de Binod Pradhan est travaillée et colle parfaitement aux saisons et états émotionnels traversés par le héros et dépeints dans le film. On reconnaît ici la patte d’expert de celui qui a illustré des œuvres comme Delhi 6, Devdas ou encore Mission Kashmir. Le bande-son de Pritam est prépondérante puisqu’elle met en musique les pérégrinations du couple et ses multiples tragédies. Les compositions du directeur musical le plus contesté de Bollywood démontrent ses talents en concoctant un album coloré et folklorique à souhait.

Ce que l’on retient finalement de Mausam, c’est son irrégularité.

S’il compte de nombreux défauts qui en ont fait une des plus grosses déceptions de l’année 2011, il possède une ambiance, une chaleur qui en font malgré tout une œuvre ravissante. La débâcle est-elle de fait justifiée ? Peut-être pas, au regard de l’engagement colossal que ce film a demandé à toute une équipe de production qui a, deux années durant, consacré son temps et sa sueur à monter ce qui reste le projet le plus faramineux de la carrière de Shahid Kapoor. Mais Mausam vaut quand même le détour, car c’est le rôle le plus imposant du comédien. Voilà enfin un film qui le met en avant, qui lui permet de trouver un rôle à sa mesure. Et c’est en cela que réside le principal attrait de Mausam

LA NOTE: 3/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?