Critique : Chori Chori (★★★★☆)

mercredi 12 juillet 2023
Chori Chori critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 148.

Chori Chori fait partie des quelques films à réunir à l’écran l’un des couples les plus appréciés de l’industrie cinématographique hindi : Raj Kapoor et Nargis. Après avoir vu Barsaat et Awaara, je souhaitais absolument revoir un film de ce jodi mythique. Disons-le de suite : je n’ai pas été déçue par ce film tout à fait charmant. Cependant, quelque chose m’a immédiatement interpellée : sa frappante ressemblance avec l’un de mes films américains préférés. En effet, avant de poursuivre cette critique, il va me falloir vous poser une question : avez-vous déjà vu New-York Miami, œuvre culte de 1934 avec Clark Gable et Claudette Colbert ? Si tel est le cas, passez votre chemin, car Chori Chori en est la copie stricto-sensu.

Le réalisateur Anant Thakur ne s’est effectivement pas grandement cassé la tête et a plagié nombre de scènes du métrage original de Frank Capra, pour certaines plan par plan. Pour autant, je suis tout de même parvenue à prendre un réel plaisir à redécouvrir cette histoire sous les traits de Raj Kapoor et Nargis. En effet, il fait partie des rares acteurs de sa génération à pouvoir emprunter le costume du grand Clark Gable. Nargis, qui reste l’une des plus grandes actrices de l’histoire de Bollywood, avait quant à elle toute la légitimité de reprendre le rôle initialement tenu par la brillante Claudette Colbert.

Je suis une grande fan du cinéma américain de l’âge d’Or. Et New-York Miami constitue l’un de mes films préférés. Avec Chori Chori, j’ai trouvé mon pendant indien de ce road-movie romanesque sans avoir rien à y redire. Car si Chori Chori n’est pas parfait, il a le mérite d’être sincère. Il ne cherche nullement à innover la trame proposée par Frank Capra, mais s’en saisit pour toucher l’audience indienne. En ce qui me concerne, Chori Chori demeure l’un de mes films indiens favoris de l’époque dorée avec Barsaat, Aarti ou encore Saheb Biwi Aur Ghulam. J’aime les films en noir et blanc, qui parlent au-delà des images. On est ainsi transporté dans un cinéma qui dépasse l’attrait purement visuel et qui laisse la part belle aux comédiens. Si vous n’aimez Bollywood que pour sa photographie colorée, vous risquez de vous endormir devant Chori Chori. En ce qui me concerne, c’est la générosité émotionnelle de ce cinéma qui me touche. Et c’est en cela que le film d’Anant Thakur m’a tellement plu.

Ainsi, il convient de se pencher sur l’intrigue de Chori Chori pour mieux en saisir la beauté...



Kammo (Nargis) vit une existence faste et opulente auprès de son père multimillionnaire. Mais contre son avis, elle s’éprend d’un pilote qui collectionne les conquêtes, Sumankumar (Pran). Elle fuit le domicile paternel et entreprend un périple pour le rejoindre. Son père propose une imposante récompense pour la retrouver. Sur le chemin, elle rencontre Sagar (Raj Kapoor), un jeune journaliste qui la reconnaît immédiatement. Il ambitionne de rédiger un article la concernant après l’avoir mené auprès de l’homme qu’elle aime. Mais cette rencontre va changer leur vie à tout jamais...

C’est romantique et sirupeux à souhait, l’atmosphère est marquée par le style bourgeois des années 1950, la bande-son savoureuse nous rappelle d’ailleurs à quel point la musique indienne était belle lorsqu’elle était authentique. Il ne faut pas s’attendre à beaucoup de recherche, mais uniquement se laisser porter par ce film absolument suranné. Raj Kapoor est d’une classe folle, il dégage une présence presque hypnotique à l’écran. Je ne vous cache pas que je suis régulièrement estomaquée lorsqu’on ose comparer Ranbir Kapoor à la grandeur de son grand-père. S’il a un net potentiel, Ranbir a encore du mal à exister lorsque le script de son métrage n’est pas solide, là où Raj Kapoor illuminait chaque film auquel il prenait part, qu’il soit bon ou mauvais. Dans Chori Chori, son charisme est magnétique, il incarne Sagar avec autant d’élégance que de bagout.

Pour lui donner la réplique, il retrouve sa partenaire la plus appréciée du public : l’iconique Nargis.

Nul n’est censé ignorer qu’une idylle naquit entre Nargis et Raj Kapoor sur le tournage de Barsaat, en 1949. Leurs nombreuses collaborations seront le théâtre de leur liaison, malgré le mariage de Raj. Chori Chori sera leur dernière collaboration, suite à laquelle Nargis quittera Raj pour épouser Sunil Dutt. Dans la peau de Kammo, l’actrice étincelle en enfant capricieuse qui mue en amante sincère. Par bien des côtés, elle m’a fait penser à Katharine Hepburn, à la fois aventureuse et audacieuse mais également innocente et délicate. Nulle autre actrice que Nargis n’aurait pu prendre la relève de Claudette Colbert dans ce rôle vif et engageant.

Comme beaucoup de films hindi plus tard comme Dilwale Dulhania Le Jayenge et Jab We Met, le voyage des deux héros sonne comme un parcours initiatique, où le chemin est plus réflexif et identitaire que purement géographique. Il s’agit pour Sagar et Kammo de se découvrir l’un l’autre pour ainsi comprendre ce qu’ils veulent réellement. Leurs aspirations initiales en deviennent de fait secondaires et prennent a fortiori une dimension plutôt dérisoire.

Pour accompagner Sagar et Kammo dans leur virée, le duo de compositeurs Shankar-Jaikishan a constitué un album de haute qualité qui leur vaudra d’ailleurs le Filmfare Award de la Meilleure Bande-Originale. Commençons par ma chanson préférée : « Aaja Sanam », portée par les voix de Manna Dey et Lata Mangeshkar, qui constitue en soi un voyage dans les songes de nos protagonistes. La poignante « Rasik Balma », de Lata Mangeshkar, nous emporte dans le chagrin de Kammo. Nous voilà ensuite de nouveau embarqués dans les tumultes de sentiments entre les deux amants grâce à la magnifique « Yeh Raat Bheegi Bheegi ». Avec « Jahan Main Jaati Hoon », Nargis et Raj Kapoor reconstituent un spectacle de marionnettes grandeur nature. Puis on a le plaisir de retrouver Lata Mangeshkar en duo avec sa sœur Asha Bhosle sur l’excellente « Man Bhavan Ke Ghar Jaye ». « Is Paar Sajan » sert quant à elle de mélodie introductive pour présenter l’espiègle Kammo. Dans « Panchhi Bannon Urti Phiroon », l’héroïne se compare à un oiseau devenu libre après avoir fui sa tour d’ivoire.

En conclusion



Chori Chori est une œuvre délicieuse, portée par la magnificence de son couple vedette. Mais si vous avez déjà vu le film original et à moins de ne pas être fan des acteurs de la version indienne, découvrir Chori Chori ne constitue pas une nécessité. Mais en tant qu’aficionada, j’ai vécu le visionnage de ce remake comme une vraie satisfaction, comme un retour aux sources de l’industrie que j’aime tant, comme si j’en découvrais les origines pour mieux en comprendre le sens. Ainsi, n’hésitez pas à découvrir Chori Chori pour sa musique enivrante et pour son casting de première classe...

LA NOTE: 3,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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