Critique : Hum Hain Rahi Pyar Ke (★★★★☆)

mardi 11 juillet 2023
Hum Hain Rahi Pyar Ke critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 144.

Il y a certains films qu’on regarde et qu’on n’oublie pas. On peut ne pas les visionner pendant des mois, voire des années, mais on retrouve le même plaisir en les revoyant. En ce qui me concerne, j’ai un goût particulier pour les vieux films. Je leur trouve un charme désuet absolument irrésistible. Du côté kitch des œuvres des années 1990 au cinéma intense des années 1950, je dévore les classiques d’antan avec un plaisir non dissimulé. Parmi ces nombreux films, il y a Hum Hain Rahi Pyar Ke, un métrage de 1993 dans lequel joue l’un de mes couples préférés à l’écran : Aamir Khan et Juhi Chawla.

La photographie est clairement datée, les tenues assez dépassées et les chansons regorgent d’instruments locaux tels que les sitars et les dhol. Lorsqu’on pense au cinéma des années 1990, on a également en tête la grandiloquence de ses histoires et de sa mise en scène. Pourtant, c’est là que Hum Hain Rahi Pyar Ke se démarque. En effet, ses images sont au contraire assez minimalistes et sa caméra filme plutôt humblement son histoire. Mais cela n’enlève rien à la qualité de cette œuvre, qui constitue pour moi un des petits bijoux du cinéma des 1990’s.

Alors, au-delà de considérations purement sentimentales qui n’engagent que moi, qu’est-ce qui fait la qualité de Hum Hain Rahi Pyar Ke ?



Lors du décès de sa sœur et de son beau-frère, Rahul (Aamir Khan) hérite de la petite usine de textile en faillite du couple. Mais surtout, il détient la garde de leurs trois enfants : Vicky (Sharock Bharucha), Munni (Baby Ashrafa) et Sunny (Kunal Khemu). Il ne sait guère s’y prendre avec eux et est également dépassé par l’entreprise qu’il doit nouvellement gérer. Et alors que les enfants rejettent successivement toutes les nourrices que Rahul tente d’employer pour s’occuper d’eux, ils adoptent directement Vyjayanti (Juhi Chawla), une jeune tamoule en fuite. Elle crèche d’abord en cachette chez eux pour ensuite devenir la nounou de la famille, et peut-être plus encore...

Tout d’abord, l’atout principal de ce film, c’est Juhi Chawla. Elle est l’âme de Hum Hain Rahi Pyar Ke. Cette actrice est solaire, lumineuse et revigorante ! Alors effectivement, elle tend vers le cabotinage, comme nombre de ses consoeurs. Mais elle dégage à la fois un charisme et une sensibilité qui bouleversent. Elle crève l’écran et vole clairement la vedette à Aamir Khan, plus sobre et sérieux dans ce rôle d’oncle perdu mais responsable. On ne voit qu’elle du début à la fin, aussi bien lorsqu’elle fait le clown que lorsqu’elle pleure son amour perdu. Elle incarne de façon irréprochable l’immature au cœur tendre qu’est Vyjayanti. D’ailleurs, soulignons le tamoul impeccable de l’actrice dans les séquences avec son intransigeant paternel. Juhi s’est investie corps et âme dans ce rôle aussi poignant que divertissant. Elle représente d’ailleurs ce qu’était le cinéma hindi des années 1990 : capable de provoquer en vous toutes les émotions possibles, de la joie à la peine, du désarroi à l’allégresse, de l’effroi à la plénitude…

Aujourd’hui, seuls les masala remplissent cette fonction sous la coupe d’un héros sempiternellement masculin, bourrin et épris d’une cruche nécessairement transparente.

Dans les divertissements actuels, les femmes ne tiennent plus aucune place, la part belle est cédée aux hommes. Que dis-je, à l’homme avec un grand H, bodybuildé et omnipotent ! Récemment, seule Deepika Padukone partageait avec Shahrukh Khan la charge du masala Chennai Express, et cela parce que la romance y tenait une place prépondérante. C’est un constat particulièrement triste mais, en effet, les actrices ne sont plus polyvalentes. En effet, elles peuvent jouer dans des films différents qui n’existaient presque pas à l’époque de Juhi ou de Sridevi.

Mais sont-elles capables de tenir un rôle aux multiples facettes et aux différents enjeux dans un seul et même film ? D’être tantôt le clown et l’amoureuse, la bagarreuse comme la tragédienne ? Juhi Chawla savait le faire ! Mais les cinéastes n’écrivent plus ce genre de personnages féminins, et c’est probablement la raison pour laquelle il n’y a plus de place à Bollywood pour des actrices telles qu’elle. Ça me fend le cœur de faire un tel constat, d’autant que Juhi est une de mes comédiennes préférées. D’où l’intérêt de savourer ce cru de 1993 qui la met merveilleusement en valeur !

Mais vous n’avez pas besoin d’être fan de Juhi pour apprécier Hum Hain Rahi Pyar Ke.

Aamir Khan, s’il est plus discret à l’écran, s’est également beaucoup investi sur ce projet. Il en a effectivement coécrit le scénario et aurait grandement réalisé l'œuvre, du fait des absences fréquentes du cinéaste d’origine, Mahesh Bhatt. Face à la caméra, il est Rahul, un jeune homme qui, du jour au lendemain, se retrouve à la charge d’une fratrie de trois enfants et à la tête d’une usine en faillite. Il campe ce rôle avec une vulnérabilité certaine, et nous émeut par sa maladresse et son sentiment d’impuissance face à ses nouvelles responsabilités. Il investit rapidement la vive Vyjayanti comme une ressource pour surmonter les obstacles auxquels il est confronté. Elle devient effectivement son moteur dans tous ses nouveaux projets. C’est elle qui voit en lui le père de famille qu’il ne se pensait pas capable de devenir.

C’est à son contact qu’il intègre son poste de chef d’entreprise avec vigueur et fermeté, sans jamais manquer de cœur. S’ils tombent effectivement amoureux l’un de l’autre, là n’est pas l’enjeu du film. Toute la magie de Hum Hain Rahi Pyar Ke, mais également toute sa singularité, c’est justement de ne pas tomber dans le « Bollywood », dans l’effet romanesque rose bonbon et quelque peu surfait. Si ce style a clairement son charme, la particularité du film d’Aamir et Juhi est de posséder sa propre identité.

Ici, les enfants tiennent une place centrale dans l’intrigue et ne sont pas uniquement les faire-valoir des adultes. Ils sont au cœur des préoccupations des héros, et c’est leur bien-être qui prime sur les états d’âme de Rahul et Vyjayanti. On peut donc ici parler de comédie familiale plutôt que d'œuvre purement romantique. Si Rahul aime Vyjayanti, elle est surtout source d’équilibre pour ses neveux. Ils ont tissé une relation privilégiée avec elle, saine et réparatrice. Ce n’est donc pas à la naissance d’une simple idylle à laquelle on assiste devant Hum Hain Rahi Pyar Ke, mais à la construction d’une véritable famille.

Cependant, le métrage se refuse à tomber dans le misérabilisme. On y évoque à peine la question du deuil, car ce n’est pas l’objectif. Hum Hain Rahi Pyar Ke se veut jovial, à la bonne humeur communicative. C’est un film pour les enfants comme pour les parents, qui parle d’amour (qu’il soit fraternel, parental ou romantique) en toute sincérité. J’ai été particulièrement touchée par l’authenticité des personnages. Ils sont tous écrits avec une justesse et une sobriété saisissantes. De Rahul à Vyjayanti, des enfants au père tamoul de la jeune femme, en passant par l’ami de la famille Mishraji... On a affaire à de vrais gens, des personnes ordinaires dont le destin l’est un peu moins. On s’attache donc d’autant plus facilement à eux, et on suit leurs aventures avec délectation. On peut sans difficulté s’identifier aux héros de ce film, car ils sont écrits sans prétention aucune. On pourrait facilement devenir le confident de Rahul ou la copine de délires de Vyjayanti. On pourrait aussi rire avec Vicky, Munni et Sunny et aider Rahul à maintenir à flot son entreprise. Loin du Bollywood flamboyant et ‘larger than life’, Hum Hain Rahi Pyar Ke constitue une œuvre proche de ses spectateurs, honnête et vérace.

Sharock Bharucha incarne le jeune Vicky, à l’aune de l’adolescence, avec une verve remarquable. La maturité de son jeu est clairement impressionnante.

Baby Ashrafa est plus discrète dans la peau de la douce Munni. Mais surtout, Hum Hain Rahi Pyar Ke est l’un des premiers films de Kunal Khemu, à croquer dans le rôle de Sunny. Quelques années plus tard, il deviendra l’un des acteurs les plus prometteurs de sa génération avec des films comme Traffic Signal, Golmaal 3 et Go Goa Gone.

La musique du duo Nadeem-Shravan est également une vraie réussite. Typique des sons des années 1990, elle est truffée de perles mélodieuses. On commence par ma chanson préférée de l’album : « Mujhse Mohabbat Ka Izhar », interprétée magistralement par Kumar Sanu et Alka Yagnik. Mais le reste de la bande-originale est également superbe ! La loufoque « Bambai Se Gayi Poona », chantée par Alka Yagnik est un distributeur de bonne humeur. La bouleversante « Woh Mere Need Mera Chain Mujhe », sublimée par le grain unique de Sadhana Sargam, vous fera pleurer des larmes de tristesse et évoque avec savoir-faire la perte du grand amour. Cependant, la joviale « Yunhi Kat Jaayega Safar Saath » vous redonnera très vite le sourire au même titre que l’improbable « Chikni Soorat Tu Kahan Tha ».

En conclusion



Ce film est à ne pas manquer ! D’abord, pour l’alchimie unique qui unit Aamir Khan à Juhi Chawla. Mais aussi pour la sensibilité incroyable qui émane de ce film. Hum Hain Rahi Pyar Ke appartient à une ère révolue : celle d’un cinéma à la fois vif et intelligible, aussi distrayant que réflexif. J’ai été happée par Hum Hain Rahi Pyar Ke qui reste l’un de mes films préférés. Et vous, quand allez-vous vous laisser porter par la magie de Hum Hain Rahi Pyar Ke ?

LA NOTE: 3,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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