Critique : R… Rajkumar (★★★☆☆)

jeudi 13 juillet 2023
R… Rajkumar critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 152.

Shahid Kapoor est mon acteur préféré ! C’est dit ! Je le trouve immensément talentueux, à la fois excellent danseur et acteur polyvalent. Il est capable d’alterner romance (Vivah) et comédie (Phata Poster Nikhla Hero), thriller (Fida) et suspense (Kaminey), film pour enfants (Vaah ! Life Ho Toh Aisi) et teenage movie (Ishq Vishk). Non, ceci n’est pas un cri du cœur sorti de nulle part. Je tenais juste à clarifier mon amour sans limite pour ce comédien formidable avant d’entreprendre la critique de son dernier film de 2013, R... Rajkumar. En effet, l’un des seuls genres cinématographiques auquel Sasha ne s’était pas encore frotté, c’était le masala. Vous savez, ces films bourrins mêlant action, romance et comédie avec plus ou moins de savoir-faire ?! Mais oui ! Ces films dont Salman Khan est devenu l’ambassadeur au nord de l’Inde, avec son lot de bagarres improbables et de chansons entêtantes ?! Vous y êtes ! C’est dans ces mêmes films que la fille n’a pour rôle que d’être jolie, de savoir danser et de pleurnicher.

Si vous avez ces critères en tête, vous savez où vous mettez les pieds en vous lançant dans le visionnage de R... Rajkumar. C’est un secret de polichinelle que Shahid Kapoor enchaîne les bides commerciaux depuis 2009. S’il est régulièrement encensé par les critiques pour ses prestations, ses œuvres ne séduisent pourtant pas l’audience.

Ainsi, c’est clair : Shahid a terriblement besoin d’un hit au box-office…



Et c’est là que R... Rajkumar tombe à pique ! Après l’énième flop de sa carrière avec Phata Poster Nikhla Hero sorti plus tôt dans l’année, ce masala réalisé par Prabhu Deva sonne comme l’ultime opportunité pour l’acteur de plaire aux indiens. En effet, depuis quelques années, les masala ont le vent en poupe et caracolent au sommet du box-office parmi les œuvres les plus rentables de l’histoire (Ready, Dabangg, Kick, Chennai Express pour ne citer qu’eux). Le meilleur moyen pour Shahid d’envisager le succès était donc de signer un film de cette envergure.

Et le résultat est là : R... Rajkumar a été grandement plébiscité par l’audience lors de sa sortie en décembre 2013, et Shahid peut enfin se satisfaire d’un nouveau hit à sa filmographie.

Finies, les années de galère ! La fan que je suis jubile donc face à ce succès retrouvé pour un acteur dont je trouvais les échecs plus qu’injustifiés. Pourtant, d’un point de vue qualitatif, j’ai de quoi être inquiète : un masala abrutissant avec Sonakshi Sinha (qui a décidément pris un abonnement aux films de masse avec un forfait ‘cruche qui ne sert à rien’), des critiques massacrantes pour toute l’équipe du film, un pitch qui tient sur un post-it... Si le box-office a donné sa chance au métrage, cela n’est pourtant pas annonciateur d’une réussite cinématographique, bien au contraire. Des films commerciaux comme Kick et Chennai Express battent des records d’entrées quand des œuvres fines comme Lootera et Shanghai sont boycottées par l’audience.

Au moment d’entrer mon DVD dans le lecteur, j’ai peur : qu’est-ce qui m’attend ? Vais-je adhérer à ce film si éloigné de l’univers de Shahid ? J’aime beaucoup les films dravidiens, qui possèdent leur propre identité, mais Shahid sera-t-il crédible dans ce style si particulier ? Avant lui, ce sont des pointures comme Salman Khan ou Ajay Devgan qui se sont frottées au masala, le costume du héros surpuissant n’est-il pas trop grand pour Shahid ? Alors que je m’inquiète du devenir de mon acteur favori, le film commence…

Romeo Rajkumar (Shahid Kapoor) est une frappe des bas fonds, petit par la taille mais grand par l’impact ! Il arrive à Dhartipur où il travaille pour le trafiquant de drogue Shivraj (Sonu Sood). Mais tout bascule lorsqu’il tombe follement amoureux de la belle Chanda (Sonakshi Sinha), dont il ignore qu’elle est la nièce de Manik Parmar (Ashish Vidyarthi), l’ennemi juré de Shivraj...

Le Romeo de Prabhu Deva n’a rien à voir avec celui de Shakespeare. En effet, c’est l’archétype du héros de masala.

R... Rajkumar sonne d’ailleurs comme un hommage à ces films tamouls et télougous populaires dont Prabhu Deva est coutumier. Il a effectivement réalisé précédemment des films d’action à succès tels que Pokkiri et Vellu avant d’imposer son style en hindi avec les œuvres du genre Wanted et Rowdy Rathore. Mais avec R... Rajkumar, Prabhu Deva signe l’une de ses rares histoires originales. En effet, nombre de ses réalisations sont en réalité des remakes auxquels il apporte sa touche personnelle : des décors luxuriants, des danses travaillées et des chansons entêtantes.

Ainsi, on peut clairement dire qu’il existe une patte Prabhu Deva constituée de ces éléments caractéristiques du cinéaste, également chorégraphe de génie. Pourtant, ce n’est pas pour l’intellect de ses films que le Michael Jackson tamoul est reconnu. L’histoire est d’ailleurs la dernière de ses préoccupations, sa prérogative résidant dans l’efficacité de sa mise en scène. C’est le mariage entre les prises de vue, la musique et le montage final qui est prépondérant dans le travail de Prabhu Deva. Il se fiche bien de savoir si son intrigue a du sens. Il offre un spectacle avant tout, au même titre qu’une comédie musicale le ferait sur les planches de Broadway. On sent là l’influence de son passé de danseur, attaché au rythme de ses œuvres sans vraiment accorder d’importance à la cohérence du tout. R... Rajkumar est donc à visionner comme une représentation théâtrale ou un musical : une œuvre en mouvement perpétuel mais dont le déroulement des événements est des plus improbables.

Ne cherchez pas la moindre vraisemblance dans ce métrage.

Pour cela, il y a Anurag Kashyap ! Prabhu Deva fait du divertissement, et rien d’autre. C’est pourquoi ceux qui rechercheraient le début d’une trame dans le pot pourri de danses, de bagarres et de punchlines qu’est R... Rajkumar seront déçus. C’est certainement la plus grande faiblesse de l'œuvre : l’absence d’un fil conducteur solide. En ce qui me concerne, je savais dans quelle galère je m’embarquais puisque j’ai déjà eu l’occasion d’explorer une bonne partie de la filmographie de Prabhu Deva.

Les héros du cinéaste sont pour beaucoup des mâles dominants, qui ont pour eux des muscles de partout et des ‘punchlines’ cheesy. Shahid Kapoor, le ‘chocolate boy’ par excellence, allait-il être à la hauteur de ces personnages rustres et omnipotents ? Il est absolument indéniable que l’acteur surprend dans ce rôle de composition. Loin de son image de gentil garçon, il campe avec verve Romeo Rajkumar, ce gosse des rues incontrôlable et surpuissant. Il signe d’ailleurs avec R... Rajkumar son premier rôle d’entertainer, alliant avec savoir-faire les séquences de combat, de danse, de comédie et de romance. Le héros de masala doit être polyvalent et surtout efficace : des répliques qui frappent fort, une belle héroïne de laquelle s’amouracher, une item girl sexy avec laquelle danser, des méchants hideux à qui mettre une raclée monumentale, des chansons entêtantes... Voici la panoplie du parfait petit héros de masala. Prabhu Deva n’a omis aucun détail. On retrouve chacun de ces ingrédients dans R... Rajkumar, qui constitue de fait un masala des plus conventionnels. De quoi se faire du mouron…

Je ne cache pas le fait que je sois partie avec un a priori clairement négatif à la perspective de ce film, même s’il a permis de rebooster la carrière de Shahid. Un hit, oui, mais à quel prix ? Je ne voulais pas voir Shahid tomber dans les méandres de la daube cinématographique uniquement pour faire de l’argent. C’est un acteur qui s’est toujours préoccupé de choisir des films qui lui plaisaient et qui le stimulaient. En tant que fan, je n’ai pu que me réjouir de cette réussite et de son impact positif sur la carrière de Shahid. Mais en tant que cinéphile, j’avais toutes les raisons d’être préoccupée par ce métrage purement commercial.

Shahid m’a surpris dans sa capacité à jongler entre les registres, là où d’autres acteurs affichent un jeu plus mécanique face à la multitude d’ambiances que contient le masala.

J’ai été charmée par sa faculté à passer du dragueur au fighter, tout en étant danseur et entertainer. Dans chaque facette de son personnage, il se donne à fond, tantôt loufoque, tantôt enragé. Prabhu Deva semble avoir pris un véritable plaisir à diriger le jeune homme. En effet, le roi de la danse a pu concocter des chorégraphies à la hauteur du jeune prodige, révélé par Ishq Vishk en 2003. Excellent danseur, Shahid a pris de véritables risques en sortant de son style plutôt urbain. Il s’est effectivement essayé avec succès au dappankuthu sur « Gandi Baat », danse agrémentée de figures au sol complexes que Shahid est parvenu à exécuter avec brio. Il danse également de façon complètement décalée sur « Mat Maari » et « Saree Ke Fall Sa » aux côtés de Sonakshi Sinha.

Je le disais, le point faible de Prabhu Deva, c’est sa propension à négliger sa trame au profit de sa mise en scène. Alors forcément, le pitch de R... Rajkumar, qui constitue le premier scénario original du cinéaste en hindi, manque cruellement de consistance. On a droit ici à du réchauffé de masala d’alors : un mec omnipotent qui tombe amoureux d’une jolie nana, mais qui se fera alpaguer par des méchants gangsters. Mais le talent de Prabhu Deva, c’est sa capacité à créer de véritables divertissements, rythmés et enlevés. Il n’y manque pas avec son cru de l’an 2013, exploitant tous les volets du potentiel de Shahid pour servir ce film destiné au grand public. Shahid est un acteur tous terrains, et Prabhu Deva l’a bien compris en le débauchant. Il est mis à contribution et fait clairement vivre le film. C’est incontestable : R... Rajkumar n’aurait jamais pu tenir la route sans sa vedette masculine. On sent une réelle implication dans son jeu. C’est cet investissement sans faille qui plaît et qui engage le spectateur.

Vous l’aurez compris, j’ai trouvé Shahid impeccable.

C’est revigorant de le voir dans un rôle aussi risqué. Il est comme un employé enchaînant parfaitement quatre temps partiels ! Il a su trouver son équilibre pour être impliqué sur ses quatre fonctions : il est à la fois le comique, le bagarreur, le charmeur et le danseur. On ne sent aucune faiblesse dans l’accomplissement de ses scènes. Shahid est un acteur et, avec R... Rajkumar, il démontre qu’il peut porter un film de masse sur ses seules épaules et avec aisance. La fan qui sommeille en moi est conquise et la cinéphile rassurée. On s’attaque au reste...

Sonakshi Sinha signe ici son second film avec Prabhu Deva après Rowdy Rathore. Mais c’est surtout son énième masala. J’aime bien Sonakshi, c’est une actrice fraîche et dynamique. Elle me fait penser aux grandes divas des années 1970 comme Hema Malini, Mumtaz et Zeenat Aman. Pourtant, j’admets être quelque peu épuisée par ses choix de films répétitifs. Pourquoi diable ne signe-t-elle que des films commerciaux qui, de plus, ne lui laissent aucune place ? Elle a en plus cette fâcheuse tendance à tourner avec des acteurs bien plus âgés qu’elles. Plus expérimentés, ils dégagent une aura qui la dépasse. Ces choix ne la mettent nullement en valeur, ils la desservent même. Pourtant, Sonakshi a un vrai talent, une fragilité dans son jeu absolument bouleversante qu’on a pu découvrir dans Lootera. R... Rajkumar est le premier masala pour lequel elle collabore avec un acteur de sa génération. Car soyons clair, la seule utilité de Sonakshi dans ce film, c’est de donner une vie affective au héros incarné par Shahid. Fort heureusement, ils partagent tout de même une très belle complicité. Tous deux forment un couple efficace, même si Sonakshi est complètement ombragée par son partenaire.

Elle joue Chanda, une jeune femme qui se revendique rebelle mais qui préfère laisser les hommes se battre pour elle. Le discours est clairement machiste, et ce n’est pas Sonakshi qui véhiculera de beaux messages en faveur de la cause féminine. Mais au final, Sonakshi ne retient que très peu l’attention. Elle est là pour divertir et respecte à la lettre le cahier des charges de l’héroïne de masala, qu’elle connaît désormais par cœur. Elle nous offre un mélange de ses prestations dans Dabangg, Rowdy Rathore et Son of Sardaar.

Le problème n’est pas tant que Sonakshi tourne dans ces films commerciaux.

Beaucoup d’autres actrices s’essayent régulièrement à l’exercice : Asin Thottumkal, Tamannaah Bhatia, Deepika Padukone... Mais le problème, c’est qu’elle ne fait rien d’autre ! C’est clairement agaçant quand on connaît son potentiel. Elle pourrait aisément devenir une valeur sûre de l’industrie hindi. Mais j’ai le sentiment qu’elle choisit la facilité, et c’est fatigant. A force de se répéter, elle lasse.

Sinon, dans le film, il y a Sonu Sood. Ah, Sonu Sood... Dans une autre vie, il était probablement le fils d’Amitabh Bachchan : la même voix, la même tête, la même carrure... Comment ne pas craquer ? Pourtant, Sonu Sood est surtout le méchant par excellence. On l’a vu exceller dans cet exercice notamment pour les films Dabangg, Arundhati, Kandireega, Julayi et Vishnuvardhana. C’est un acteur dont les gens peinent encore à retenir le nom mais dont le visage est devenu familier. Ici, il réitère ses excellentes prestations en tant qu’antagoniste. Ashish Vidyarthi interprète l’oncle impitoyable de Chanda et l’ennemi juré de Shivraj. En homme aussi mauvais que lâche, il remplit parfaitement son contrat et campe dans R... Rajkumar une impeccable tête-à-claque. Mukul Dev est irréprochable dans un second rôle dont on ne découvre l’importance qu’au dénouement, convaincant en ami fidèle de Romeo.

L’album de R... Rajkumar est de très bonne qualité, dont les influences du sud du pays sont palpables.

« Gandi Baat » existe en deux versions : l’une chantée par Mika Singh (nettement ma favorite), l’autre par Nakash Aziz. Le titre est mis en image sur les pas endiablés de Shahid Kapoor et Prabhu Deva, qui en profite pour faire une petite apparition aux côtés de l’item girl Charmme Kaur (star du cinéma télougou). Nakash Aziz pose son timbre sur ma chanson préférée de l’album « Saree Ke Fall Sa », qu’il partage avec Antara Mitra. « Mat Maari » donne l’occasion d’écouter le timbre du trop rare Kunal Ganjawala et de la talentueuse Sunidhi Chauhan. Avec « Dhokha Dhadi », c’est Arijit Singh et Palak Muchhal qui nous offrent une superbe balade illustrée par les rêveries exotiques de Romeo et Chanda. Enfin, « Kaddu Katega » fait surtout office d’item number pour Scarlett Mellish Wilson et l’actrice kannada Ragini Dwivedi.

En conclusion



Quand le film était terminé, j’ai eu du mal à retirer mon DVD. J’avais envie de savourer de nouveau toutes les séquences musicales du métrage, impeccablement mises en scène par Prabhu Deva. J’avais également envie de revoir les séquences comiques et d’apprendre les répliques phares de Shahid Kapoor, qui m’a bluffée par son efficacité dans ce film si éloigné de son univers. Mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’être fan de Shahid pour aimer ce film. Il suffit d’aimer les masala, de vouloir passer un bon moment devant un film assez faible sur le plan scénaristique mais clairement jubilatoire. Pourtant, contrairement à Phata Poster Nikhla Hero, R... Rajkumar se prend au sérieux et joue à fond la carte du premier degré. Toutefois, il ne néglige pas l’humour et la légèreté, c’est d’ailleurs en cela que le mélange fonctionne.

J’ai décidé d’écrire cette critique à la première personne car, en tant que fan, j’avais peur de manquer d’objectivité dans l’analyse de ce film. J’ai voulu vous faire part de mon sentiment face à ce métrage de la façon la plus sincère possible. Mais au final, cela n’a pas altéré ma capacité à voir les failles de R... Rajkumar. Car c’est effectivement un film bourré de défauts et d’incohérences, de bouffonneries et de raccourcis assez bêtes. J’ai surtout voulu éviter de vous faire la promotion déguisée d’un film qui, malgré ses bonnes intentions, est loin d’être irréprochable. Par bien des côtés, il est d’ailleurs peu recommandable. Mais je pense qu’il mérite qu’on lui accorde une chance : pour sa musique, pour le travail visuel de son cinéaste et chorégraphe, pour l’alchimie qui lie son couple vedette et surtout, pour Shahid Kapoor...

LA NOTE: 3/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?