Critique : Fanaa (★★★★★)

lundi 10 juillet 2023
Fanaa critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 138.

Lorsque j’ai entamé ma découverte du cinéma indien en 2008, je n’avais d’yeux que pour Shahrukh Khan. Il était mon acteur préféré, mon héros, l’incarnation de l’indian lover et de la magie que véhiculaient les films de Bollywood. J’aimais Shahrukh Khan si fort que, par lien de corrélation, je détestais tous ceux qui lui vouaient une quelconque aversion. C’est ainsi que je me suis mise à boycotter tous les films d’un certain Aamir Khan, dont j’avais lu à maintes reprises qu’il ne portait pas mon bien-aimé Shahrukh dans son cœur. Dans l’intervalle, j’ai commencé à vouer une admiration sans faille (qui vaut encore aujourd’hui) pour la magnifique Kajol, me promettant de visionner l’intégralité de sa filmographie. Sauf que dans le lot, il y avait Fanaa... avec Aamir Khan ! Cruel dilemme !

J’allais devoir supporter de voir mon actrice préférée flirter avec l’ennemi juré de mon cher Shahrukh ! De toute manière, il était clair que le duo Kajol-Aamir ne pourrait nullement prétendre à égaler la splendeur du couple Kajol-Shahrukh. C’était pourtant avec regret que j’émettais ce constat prévisionnel, puisque Fanaa est réalisé par l’un de mes cinéastes préférés : Kunal Kohli, qui a dirigé le brillant Hum Tum et l’attendrissant Mujhse Dosti Karoge. C’est alors que je me suis lancée dans le visionnage de Fanaa, partagée entre mon admiration pour Kajol et mon désamour pour Aamir Khan. Et pourtant, c’est ce film qui m’a ouvert au cinéma indien.

Si Shahrukh m’a introduite à cette industrie, c’est avec Fanaa que j’ai oublié mes a priori pour mieux me laisser porter par la magie et la diversité de Bollywood...



Zooni Ali Beg (Kajol) est une jeune fille du Cachemire qui souffre de cécité. Elle prend part à un voyage à Delhi dans le cadre d’un spectacle commémoratif. C’est alors qu’elle rencontre un séduisant guide touristique, Rehan Khan (Aamir Khan), dont elle tombe très vite amoureuse. Mais les intentions de Rehan sont toutes autres. Lui ne croit pas en l’amour et ne pense qu’à satisfaire ses besoins. Pourtant, il commence à être séduit à son tour par le cœur pur de Zooni...

Comment vous dire ? Comment vous expliquer que ce film n’a pas été une simple claque, c’était un match de boxe que j’ai perdu par K.O. dès le premier round ? Fanaa m’a fait comprendre une chose toute simple mais que j’avais du mal à intégrer à l’époque : le cinéma hindi ne se résume pas à Shahrukh Khan. Il n’est pas le seul acteur à nous vendre de la magie et du rêve, même s’il faut avouer qu’il le fait particulièrement bien. J’ai découvert Aamir Khan l’acteur et ai laissé de côté mes préjugés antérieurs pour mieux être charmée par cet artiste envoûtant. Bêtement, c’est avec Fanaa que je me suis mise à regarder d’autres genres de films hindi : des drames, des films sociaux, des œuvres historiques... Là où je me limitais alors à la romance. Car oui, les romances indiennes sont magnifiques, et j’en suis une véritable fan. Mais j’ai appris que Bollywood, au même titre que les autres industries cinématographiques, regorgeait de films divers aux histoires plus intéressantes les unes que les autres, éloignées de l’éternel imbroglio amoureux auquel j’ai été habituée.

Fanaa, et plus généralement le cinéma d’Aamir Khan m’ont ouvert au monde, je me suis par la suite intéressée aux œuvres dravidiennes, à la littérature et au cinéma américain de l’âge d’Or, notamment grâce à son travail.

C’est après avoir vu Dil Hai Ki Manta Nahin que j’ai découvert New York-Miami avec Clark Gable et Claudette Colbert, qui est depuis devenu l’un de mes films préférés. C’est après le visionnage de Ghajini que j’ai souhaité visionner sa version tamoule, pour ensuite m’intéresser à toute l’industrie de Kollywood. C’est grâce à Qayamat Se Qayamat Tak que je me suis prise d’une passion dévorante pour le théâtre de William Shakespeare. Bref, si j’aime Bollywood grâce à Shahrukh Khan, c’est à travers le travail d’Aamir Khan que j’ai appris à être plus curieuse et fascinée par le monde qui m’entoure. On peut dire que Fanaa a représenté un tournant dans ma façon de voir la vie de manière générale. C’est fou ce qu’un simple film peut changer à votre destinée ! Cela peut sembler mélodramatique, mais c’est une réalité : je suis celle que je suis grâce à Aamir.

Lorsque j’ai découvert Bollywood, j’étais une adolescente peu sûre de moi, sans réelle identité. Je me cherchais dans les styles et les caractères des autres, sans jamais me satisfaire de ce que je renvoyais. Le cinéma indien m’a donné une passion, mais surtout une façon de voir la vie qui correspondait à mes attentes, mes aspirations et mes valeurs. Finie la jeune fille terriblement mal dans sa peau ! J’ai décidé d’être moi-même et qu’importe si cela ne plaît pas à tout le monde ! Kajol peut bien avoir un mono-sourcil, et personne ne lui en tient rigueur !

Shahrukh Khan peut avoir un nez imposant et cette tendance à bouger la tête comme un moineau, ça ne l’a pas empêché de faire craquer une bonne partie de la planète ! Aamir Khan peut bien être plus petit que moi et avoir des oreilles imposantes, ça ne l’empêche pas d’avoir un talent et un charisme immenses. Eh bien, ce sera pareil pour moi : être loquace et vive, constamment en train de me marrer sera un accélérateur de vie et non un handicap ! Et pour cette leçon, je tenais à remercier Aamir : merci de m’avoir permis de me découvrir, de m’accepter et de m’affirmer telle que je suis.

Sur ce, j’ai tenu à écrire sur Fanaa, qui a été l’élément déclencheur de mon cheminement identitaire.

Oui, ce film tout con sur une histoire d’amour impossible comme il en existe tant, en particulier en Inde ! Ce film en apparence franchement insignifiant, et pourtant si spécial... Fanaa occupe une place exclusive dans mon cœur. C’est généralement le film que j’utilise pour faire découvrir à mes amies le cinéma hindi, pour contredire le sempiternel cliché selon lequel « les films de Bollywood se finissent toujours bien même quand c’est improbable ». Car Fanaa se termine mal. Très mal même. J’avais déjà vu Devdas, au final tragique. Mais avec Fanaa, c’est la première fois que j’ai été aussi bouleversée par la chute négative d’un métrage. Avec Devdas, même si ça nous bouleverse, on le sent venir. La mort de Devdas lui pend au nez, on espère juste que sa mort sera douce et qu’il pourra retrouver sa Paro dans son dernier souffle... Dans Fanaa, c’est beaucoup plus brutal et bien plus cruel. Et pour un film d’amour, c’est assez surprenant. C’est d’ailleurs la véritable force de Fanaa : sa capacité à nous surprendre !

Car quand on le découvre pour la première fois comme nombre de mes amies, on s’attend à ce qu’on est en droit d’espérer d’un film indien : de la romance, des chansons, de la pudeur extrême et un happy end ! Le film s’annonce d’ailleurs ainsi durant son prélude : Zooni rencontre Rehan, Rehan courtise Zooni, Zooni tombe amoureuse de Rehan et inversement... Pourtant, le film exploite un chemin narratif bien plus inattendu, et c’est en cela que Fanaa est une réussite. Il utilise les codes du cinéma hindi sans jamais en dépendre. Les chansons et les scènes de flirt sont mises au service d’une histoire d’amour plus profonde et complexe, brillamment portée à l’écran par Kunal Kohli, dont c’est sans doute le film le plus précis. Fanaa est surtout servi par une distribution de première classe. Kajol, qu’on n’avait pas vu dans un rôle titre depuis La Famille Indienne, fait son grand retour au cinéma avec cette œuvre magistrale. Elle a refusé Kabhi Alvida Naa Kehna, le film de son ami Karan Johar, afin de pouvoir tourner Fanaa. A 31 ans, elle est lumineuse et dégage une présence incroyable. Il s’agit alors de son rôle le plus risqué, aux antipodes de son tempérament drôle et exubérant.

Face à elle, Aamir est bluffant en anti-héros.

Les intentions de Rehan sont troubles. On ne sait jamais s’il est bon ou mauvais, s’il est vertueux ou malveillant. Dans la peau de ce séducteur énigmatique, l’acteur est impérial ! Il n’y a pas d’autre mot. Me faire tomber amoureuse du Raj de Dilwale Dulhania Le Jayenge ou du Rahul de Kuch Kuch Hota Hai, ce n’est pas difficile. Ils sont foncièrement bons et attachants. Mais Rehan est un homme complexe, à la personnalité ambivalente, si bien qu’on ne le cerne jamais totalement. Mais je l’avoue, j’ai craqué ! Aamir a le don de contredire toutes mes certitudes. Moi, la nana hermétique aux ‘bad boys’ ! Dans la peau de Rehan, il dégage un charme indescriptible. J’ai surtout fondu pour l’osmose fantastique entre les deux stars, à laquelle je ne m’attendais clairement pas. Alors oui, ce n’est pas la même chose que Shahrukh et Kajol. Pourtant, Kajol et Aamir partagent une complicité magnifique, tellement différente de celle qu’on lui connaît avec son partenaire fétiche qu’il serait ridicule d’émettre une quelconque comparaison.

Et comme si cela ne suffisait pas, Kunal Kohli a missionné Tabu pour une ‘friendly appearance’... Tabu ! Avec Kajol, cette femme est pour moi un monument ! Alors imaginez mon bonheur lorsque je les ai vu partager une scène commune. Comme lorsque Aishwarya Rai et Madhuri Dixit partageaient l’affiche de Devdas, on a droit à une rencontre au sommet entre deux légendes vivantes de Bollywood, un moment de pure magie cinématographique... Kirron Kher nous gratifie d’une petite apparition touchante en mère aimante et poétesse romanesque. Son couple avec Rishi Kapoor fonctionne à merveille. Ce dernier, en père protecteur puis en amant alcoolique, est tout à fait juste. Cet acteur est d’une polyvalence impressionnante. Même dans ses rôles de père, il ne choisit jamais la facilité et se lance dans des prestations audacieuses. Déjà dans Hum Tum, il était le père volage de Saif Ali Khan. Ici, il incarne avec intensité cet homme follement épris de sa défunte femme, qui surprotège sa fille aveugle.

La photographie est aussi saisissante. Le travail de Ravi K. Chandran est impeccable, il a capturé des images du Cachemire enneigé avec brio. On a également l’occasion de découvrir les grands lieux historiques de Delhi, superbement filmés. Kuch Kuch Hota Hai est également devenu un classique grâce à sa musique. Il s’agit de la dernière composition du duo Jatin-Lalit, qui se séparera juste après. Ils nous ont offert des albums cultes comme ceux de Dilwale Dulhania Le Jayenge et La Famille Indienne. L’album s’ouvre sur la magnifique « Chand Sifarish », qui vaudra à son interprète Shaan le Filmfare Award du Meilleur Chanteur. La voix de Kailash Kher vient sublimer ce titre enivrant. La ballade « Mere Haath Mein » est divine grâce aux contributions des chanteurs Sonu Nigam et Sunidhi Chauhan. Aamir Khan et Kajol y ont également récité de très beaux poèmes, qui font partie intégrante de l’histoire de Fanaa. Avec « Des Rangeela », on a droit à une musique festive en l’honneur de l’Inde, avec le timbre cristallin de Mahalakshmi Iyer. La chanson romantique « Dekho Na » est une ode à l’amour naissant, magnifiée grâce à ses artistes Sonu Nigam et Sunidhi Chauhan. La joviale « Chanda Chamke » est en fait une reprise de « Yaara Yaara », un titre composé pour l’album de Hum Tum.

En conclusion



Fanaa fait partie de ces films qui vous marquent au fer rouge. Mes amies non initiées au cinéma indien auxquelles j’ai fait découvrir ce métrage se sont toutes mises d’accord pour me dire à quel point elles ne s’attendaient pas à un tel film. Car Fanaa est une expérience électrochoc ! C’est une leçon d’humilité, une œuvre qui vous apprend à revoir vos jugements et vos convictions. C’est aussi un film coup de poing, qui vous achève aussi bien par sa beauté que par sa dureté. Car Fanaa n’a pas vocation à vendre du rêve, du Bollywood sirupeux à la Sooraj Barjatya, avec son lot de regards lancinants et de timides déclarations. Fanaa est une œuvre remuante, qui vous blesse autant qu’elle vous comble. C’est surtout un film qui ne tombe jamais dans la facilité.

C’est un film qui chamboule vos repères et donne à voir un drame amoureux aussi crevant que criant de vérité. Kunal Kohli nous offre un film abouti, il ne tente jamais de nous épargner la brutalité de la situation de Rehan et Zooni. Il fournit un métrage honnête et plein de surprises, à l’image de ses acteurs vedettes. Le génie de Fanaa, c’est d’exploiter tous les codes du film de Bollywood sans pour autant tomber dans le cliché du genre. Sa vraie prouesse, c’est d’utiliser ces caractéristiques pour qu’elles servent son histoire, et non l’inverse. Il ne tente pas de faire entrer Fanaa dans la case du film de Bollywood au sens le plus réducteur qui soit. Il n’essaye pas non plus de faire porter à Aamir Khan le costume du héros romantique classique. La liberté de ton de Fanaa contraste avec le cinéma hindi romantique auquel j’ai été habituée. Et c’est en cela qu’il occupe une telle place dans mon cœur : Fanaa possède sa propre identité et une atmosphère qui lui est propre, qu’aucun autre film n’est parvenu à reproduire de près ou de loin.

Pour terminer, je dirai donc que Fanaa est une œuvre qui vous bousculera, dont l’effet ne se distillera qu’avec le temps et d’autres expériences cinématographiques assez vives pour vous faire avaler cette bombe de film.

LA NOTE: 5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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