Critique : Shuddh Desi Romance (★★★☆☆)

mardi 4 juillet 2023
Shuddh Desi Romance critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 82.

Saviez-vous que le héros de Shuddh Desi Romance devait être Shahid Kapoor ? C’est effectivement lui qui a initialement signé le projet de Maneesh Sharma, réalisateur du cultissime Band Baaja Baaraat. Mais alors, que s’est-il passé ? Eh bien, il se trouve que le cinéaste a dû décaler à de nombreuses reprises le début du tournage, notamment à cause d’une opération du dos qui lui imposait une longue convalescence. L’acteur, ayant pris d’autres engagements, ne pouvait se libérer pour les dates ultérieures proposées par Maneesh. C’est alors que le jeune Sushant Singh Rajput, révélé en début d’année 2013 avec le brillant Kai Po Che, l’a remplacé au pied levé pour camper le rôle-titre de cette « pure romance indienne », comme l’indique son titre. Il y donne la réplique à la ‘Yash Raj Girl’ en chef, la talentueuse Parineeti Chopra. Enfin, Shuddh Desi Romance lance la carrière sur grand écran de la jeune Vaani Kapoor.

Une romance traditionnelle ? Produite par Yash Raj ? Avec la pétillante Parineeti ? Réalisée par Maneesh Sharma ? Mais comment Shahid a-t-il pu passer à côté d’une telle opportunité ?



Pour les fans de Shahid comme pour les autres, vous allez rapidement comprendre qu’il n’a rien raté. Pourquoi un avis si tranché sur ce qui s’annonçait comme une romcom vive et ancrée dans son folklore ?

Raghu (Sushant Singh Rajput) s’apprête à épouser de manière arrangée Tara (Vaani Kapoor). Après tout, elle est très belle, comment un garçon comme lui aurait pu refuser une telle opportunité ? Pourtant, il ne le sait pas encore, mais Raghu est un phobique de l’engagement. Durant toutes les festivités qui précèdent la célébration du mariage, il fait la rencontre de Gayatri (Parineeti Chopra), une jeune femme indépendante et ouverte d’esprit, qui mène sa vie comme elle l’entend sans se soucier des conventions…

Sachez-le, le titre de Shuddh Desi Romance est clairement antithétique ! Car Shuddh Desi Romance n’a rien d’une « pure romance indienne », c’est au contraire une œuvre assez avant-gardiste dans le traitement de son histoire d’amour. Ce qui est réconfortant, c’est qu’on évite l’éternel brouillamini du triangle sentimental sans aucune profondeur. Pourtant, Maneesh Sharma passe à côté du message qu’il veut délivrer : la sacralisation excessive du mariage. En Inde (comme dans beaucoup d’autres pays), seul le mariage accrédite une relation entre deux êtres. Le cinéaste souhaitait prouver que tous les couples ne se soudaient pas nécessairement dans le mariage. Que cette instance n’était pas indispensable pour donner de la valeur au lien entre deux personnes qui s’aiment et qui souhaitent passer leur vie ensemble. Il tente de démontrer que le mariage n’est qu’un rite de passage imposé par la religion et surexploité par la tradition afin de contrôler les interactions entre les sexes. Là où, en France, on peut concevoir une relation sans engagement dans le mariage, c’est une notion difficilement envisageable dans un pays comme l’Inde. En témoigne la quête perpétuelle des médias pour fixer le mariage de stars vieillissantes et encore célibataires… Combien de fois a-t-on demandé à Salman Khan quand il comptait se caser ? Cela vaut également pour les stars qui se sont longtemps fréquentées avant de passer le cap du mariage. Kareena Kapoor et Saif Ali Khan n’ont-ils pas vu leur date de mariage annoncée régulièrement par les médias de façon erronée ? Idem pour Rani Mukerji et Aditya Chopra ? Le mariage est culturellement et religieusement considéré comme un passage obligé pour tout un chacun. La société indienne n’y coupe pas et accorde à cette institution une importance colossale, au point de condamner les naissances hors-mariage et les couples en concubinage.

L’intention de Maneesh Sharma est donc d’incriminer ce phénomène : pourquoi le mariage devrait-il être un rite de passage imposé par la société ?

En quoi aimer quelqu’un et partager sa vie doit-il être formalisé par le mariage ? Mais surtout, en quoi le mariage légitime-t-il et donne-t-il de la valeur à une relation ? On a parfois le sentiment que l’amour ne prend de sens que lorsqu’il est accompagné du mariage. Le fait est que le mariage représente un engagement, si ce n’est au regard de Dieu, au moins aux yeux de la société et des familles des personnes concernées. On ne se contente plus de partager la compagnie, l’amour et la confiance de l’autre, mais on la lie à nous de manière officielle et pérenne. C’est un pas qui demande du temps, et même de la préparation pour certains. Se dire que l’on s’engage à rester fidèle et à aimer une seule et même personne pour le restant de ses jours... eh bien, ça peut faire flipper !

Pourtant, les mariages en Inde s’opèrent comme des transactions commerciales : on lie les individus les uns aux autres en comparant leurs horoscopes, en leur permettant parfois de se parler brièvement pour en conclure qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Sauf que ça ne marche pas toujours ! Mais être marié, c’est surtout avoir le sentiment d’être coincé, de ne plus avoir le choix ou l’opportunité de se désister. Et c’est ce sentiment qui envahit Raghu tout au long du film : après le mariage, il ne pourra plus s’enfuir !

J’aurais pu complètement adhérer à ce concept, comme c’était le cas avec le film culte 4 mariages et un enterrement (avec Hugh Grant et Andie MacDowell). Hélas, je n’ai pas été charmée par Shuddh Desi Romance.

Je sais ce que vous devez vous dire... Que je suis trop puritaine ? Que je souhaitais intérieurement que l'œuvre suive un schéma plus classique, avec une union sacrée en épilogue ? Détrompez-vous, j’aime être surprise, bousculée dans mes convictions et baladée dans des sentiers narratifs inédits. Je n’attends pas systématiquement de scène de mariage, ou même de promesse d’épousailles en conclusion d’une romance. Des films comme Aashiqui 2 et Highway ont su me satisfaire pleinement sur le plan romantique et émotionnel sans avoir besoin d’y inclure la question du mariage. Ce n’est pas en cela qu’une comédie sentimentale est réussie. C’est dans sa capacité à irradier une certaine magie, même dans un contexte très grave ou terre-à-terre. Je l’ai ressenti dans des métrages plus sombres comme The Lunchbox et Lootera, des films pourtant très éloignés du doucereux d'œuvres plus traditionalistes telles que Vivah et Kuch Kuch Hota Hai.

Le problème de Shuddh Desi Romance ne réside donc pas dans ce parti pris.

En soi, il est même louable au sein d’une industrie qui a parfois tendance à se répéter. Mais le problème, c’est son traitement à l’écran. La réalisation de Maneesh Sharma manque terriblement de souffle. Le metteur en scène semble ne pas avoir su comment mener à bien ce film, et cela se ressent dans son scénario brouillon et ses personnages confus.

Maneesh Sharma a pourtant réalisé l’une de mes comédies romantiques préférées, à savoir Band Baaja Baaraat. Un an plus tard, il dirigeait une comédie d’arnaque plus classique, Ladies V/S Ricky Bahl, mais qui demeurait au final assez sympathique. Shuddh Desi Romance promettait d’aller plus loin, de bousculer les consciences et de dénoncer l’hypocrisie de la société indienne, friande de modernité sur ses écrans mais qui y reste hermétique lorsqu’il s’agit de remettre en cause des traditions archaïques. Le tout était de trouver le bon équilibre entre romance et satire sociale, pour que le résultat soit aussi intelligible que divertissant. Mais le cinéaste n’y parvient jamais. Car Shuddh Desi Romance semble s’être égaré, perdu entre deux voies : le chemin vers le cinéma ‘mainstream’ et celui des œuvres plus engagées. Le métrage titube entre les atmosphères pour finalement se casser la figure. Sans ossature stylistique, il propose au spectateur une expérience floue et peu aboutie. Car on ne sait jamais quelle est la vocation de Shuddh Desi Romancee. Je déplore le fait qu’il ne s’agisse pas, selon moi, d’une comédie romantique du fait de son manque de féerie. Je regrette aussi son manque de précision dans sa dimension dénonciatrice.

Mais concrètement, où Maneesh voulait-il en venir ? Quelle était sa démarche ? Dans quel but a-t-il réalisé Shuddh Desi Romance ?

Du coup, le problème, c’est qu’en tant que spectateur, on ignore sous quel angle visionner ce film. Et de mon côté, je ne sais pas non plus comment aborder cette critique puisque le genre du métrage est difficilement définissable. Lorsque j’ai vu les vidéos promotionnelles, j’espérais une comédie romantique. Pour approfondir mon analyse, je vais donc adopter cette perspective. Du coup, le questionnement devient : Shuddh Desi Romance est-il une bonne comédie romantique ? Et même, en est-il réellement une ?

Il me semble avoir partiellement répondu à cette interrogation précédemment. Si l’on s’attarde sur la nature purement romanesque de l'œuvre, Shuddh Desi Romance ne remplit pas son contrat. Même dans un contexte réaliste (je pense à des oeuvres classiques telles que Qayamat Se Qayamat Tak et Akele Hum Akele Tum ou plus récemment Ishaqzaade et Highway), une romance doit être imbibée de magie et nourrie par l’osmose entre ses deux héros. C’est le principal défaut de ce film, qui manque cruellement de l’un comme de l’autre. Pourtant, ce n’est pas dans son souci de réalisme que Shuddh Desi Romance perd de son charme, mais dans la construction des situations de ses personnages, toutes plus fades les unes que les autres. D’ailleurs, ce n’est pas le fond, le problème, mais la forme.

La mise en scène et l’écriture manquent cruellement de rythme et de fraîcheur. Le résultat est terriblement terne, on ne s’attache à aucun des protagonistes dont les défauts comme les qualités nous agacent plus qu’autre chose. Et vu que le film manque de sens, il manque également d’intention. Là où il tente de mettre en avant une pratique peu connue mais coutumière en Inde, celle des ‘hired wedding guests’, il rate le coche en nous faisant passer à côté de son propos. Et là, je vous vois venir... C’est quoi, les ‘hired wedding guests’ ? Concrètement, il s’agit d’inviter des inconnus à votre mariage pour lui donner plus de cachet et de prestige. Car plus il y a de monde, plus on songera que les époux et leurs familles sont importants ! Shuddh Desi Romance traite de ce phénomène particulièrement récurrent au Rajasthan, mais le fait de façon trop esquissée pour qu’il y ait un réel impact sur la narration.

Et ce sentiment d’incomplétude ne nous quitte jamais durant le visionnage.

Tout est survolé, des ‘hired wedding guests’ aux personnages eux-mêmes, en passant par les situations et leur contexte. Je me suis régulièrement sentie perdue par l’imprécision de l'œuvre, comme si son écriture en était restée au stade embryonnaire. Il en va de même pour la direction d’acteurs. Une bonne partie de la distribution semble se débattre pour tenter de donner un tant soit peu d’élan à cette histoire, sans grand succès. Parineeti Chopra, d’habitude si lumineuse, peine à faire bonne impression dans ce rôle caricatural de fille libre et indépendante. En effet, Gayatri affirme se refuser au mariage car elle ne veut pas céder aux stigmates de la société. Mais au final, il s’avère que la jeune femme est terrorisée par l’engagement, par l’idée de ne plus avoir le contrôle et la maîtrise de ses sentiments.

Car aimer, c’est bien sympathique. Au début, on tente de ne pas trop se livrer tout en faisant en sorte que l’autre le fasse, comme pour garder la main sur la relation. On se cherche, on se tourne autour, on se teste… Avec la conviction que l’on ne cédera pas, tout en attendant de son partenaire qu’il ne suive pas notre exemple. On souhaiterait un compagnon qui nous aime et qui ne s’en cache pas. Mais on se refuse, par fierté ou par peur du rejet, à dévoiler nos propres émotions. Gayatri s’est enfermée dans ce besoin de mener la barque lorsqu’elle est en couple. Lorsque Raghu se décide à l’épouser, elle sent la situation lui échapper et préfère prendre la fuite plutôt que de perdre le pouvoir. Pourtant, jusqu’au bout, le réalisateur nous la vend comme la femme forte et sûre d’elle qu’elle prétend être au départ, sans chercher à la faire cheminer. J’aurais aimé voir cette vulnérabilité bien plus exploitée chez Gayatri, qui réside en chacun de nous. C’est principalement en cela que le personnage est mal écrit, parce qu’il s’attarde sur la façade de Gayatri au lieu d’explorer son être profond.

Tara, incarnée par Vaani Kapoor, constitue le troisième côté cliché du triangle amoureux au cinéma. Effectivement, on a déjà donné à Bollywood en la matière, avec plus ou moins de finesse à travers des œuvres comme Dil To Pagal Hai, Kuch Kuch Hota Hai, Mujhse Dosti Karoge et Jab Tak Hai Jaan. Le souci avec Tara, c’est qu’il s’agit d’un personnage bancal dans sa psychologie, qui prend avec philosophie le fait d’avoir été éconduite mais qui souhaite tout de même s’en venger. Vaani Kapoor fait ce qu’elle peut mais ne parvient pas à marquer le spectateur, étriquée dans un rôle qui ne lui laissait de toute façon aucune place.

La plus grande déception réside toutefois dans la prestation de Sushant Singh Rajput, qui avait pourtant une belle prestance dans son premier film, Kai Po Che.

Ici, j’ai eu l’impression de voir une version low-cost de Ranveer Singh. Il hérite du rôle qui devait être initialement campé par Shahid Kapoor. Eh bien, vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis soulagée que Shahid n’ait finalement pas pu faire ce film ! Le personnage de Raghu est plat, velléitaire, atonique. C’est une énième incarnation du phobique de l’engagement, comme on l’a déjà vu au cinéma de nombreuses fois, sans originalité ni recherche. Surtout, le jeu du comédien manque cruellement de verve, probablement pas aidé par le caractère mollasson de son protagoniste. En ce qui me concerne, j’ai sincèrement regretté la fin franchement facile de l'œuvre. Je ne dis pas nécessairement qu’il aurait fallu marier Raghu et Gayatri pour me satisfaire. Ça, non ! Mais ce que j’aurais souhaité, c’est que cette conclusion recouvre une explication et une analyse véritables. Ici, la chute est pressée et ne nous donne pas l’occasion de comprendre le choix de Raghu et Gayatri. Deux heures de film pour ça ? On en est au même point ? Ils s’aiment mais ne veulent pas s’engager... Pourquoi ? Je ne trouverai jamais ma réponse…

Sur le plan musical, c’est la première fois que Yash Raj sollicite le duo de compositeurs Sachin-Jigar. L’album est à l’image de l'œuvre : décevant. S’il y a quelques bonnes surprises, l’ensemble demeure très brouillon et clairement oubliable. Parmi les points positifs, il y a « Tere Mere Beech Mein », chanté par Sunidhi Chauhan et Mohit Chauhan. Les deux artistes insufflent une vraie fraîcheur à cette savoureuse ballade. Le titre « Gulabi » de Jigar et Priya Saraiya rend superbement hommage à la cité rose Jaipur. Avec « Chanchal Mann Ati Random », on peut au moins apprécier la voix unique de Divya Kumar. La chanson titre, portée par Benny Dayal et Shalmali Kholgade, est sympathique sans pour autant rester en mémoire après le visionnage. Si les influences de la musique folk rajasthani sont présentes, elles ne le sont pas suffisamment pour nous interpeller, comme avait pu le faire l’album de Dor, sorti en 2006.

En conclusion



Shuddh Desi Romance manque cruellement de congruence, de cohérence et de dynamisme pour servir son ambitieux propos : dénoncer la fermeture de la société indienne aux relations hors-mariage et, au passage, dévoiler les enjeux économiques et sociaux de la célébration des mariages. A côté de cela, Shuddh Desi Romance n’arrive pas non plus à être une comédie romantique de qualité, la magie ambiante et l’alchimie entre ses acteurs lui faisant atrocement défaut.

On retiendra surtout la photographie de Manu Anand, qui met joliment en valeur Jaipur et le Rajasthan sans trop en faire. Pourtant, le souci est bien là : Maneesh Sharma a probablement eu le souci de réaliser un film minimaliste et loin de la grandiloquence légendaire de sa boite de production. Mais il se restreint bien plus sur le plan scénaristique et émotionnel que sur le plan visuel. Je n’ai pas aimé Shuddh Desi Romance car je ne l’ai pas compris. J’ai eu l’impression d’être baladée entre deux genres sans vraiment pouvoir en détecter un concrètement. Parineeti Chopra a reçu une nomination pour le Filmfare Award de la Meilleure Actrice et Vaani Kapoor a remporté celui du Meilleur Espoir Féminin. J’admets ne pas avoir saisi en quoi l'œuvre méritait de telles distinctions. Peut-être que l’Inde a considéré Shuddh Desi Romance comme un grand pas dans les consciences collectives, en témoigne son succès honorable au box-office.

LA NOTE: 3/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?