Critique : Kali (★★★★★)

dimanche 30 juillet 2023
Kali critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 164.

Kali, ou la nouvelle incarnation du jeune homme en colère, en la personne de Dulquer Salmaan. Le cinéma malayalam s'attache à aborder des sujets qui surprennent, qui n'ont sur le papier pas le potentiel de rassembler les foules dans les salles de cinéma. Son attachement pour les problématiques sociales comme son approche artistique dans le traitement de ces sujets à l'écran donnent à l'industrie de Mollywood une solide identité. Avec des acteurs beaux dans le sens vrai et émotionnel du terme, Kali nous assure un moment de cinéma assez déroutant, avec des atmosphères hétérogènes pour maintenir en haleine le spectateur face à cette œuvre au thème atypique...

Siddharth (Dulquer Salmaan) s'énerve pour rien. La moindre contrariété peut l'amener à plonger dans de véritables crises de colère, au grand dam de son épouse Anjali (Sai Pallavi). D'ailleurs, si la jeune femme a longtemps soutenu son mari pour l'aider à tempérer son comportement, elle finit par ne plus supporter les excès de l'homme qu'elle aime...

Avec ce film, le réalisateur Sameer Thahir s'intéresse aux questions de la gestion de la colère et de l'intolérance à la frustration.

Il évoque ce mal qui règne dans nombre de couples et de ménages : la difficulté pour l'un de mesurer ses émotions négatives. Car celles-ci ont un impact sur les relations intrafamiliales mais, sans aucun filtre, peuvent aussi avoir des répercussions dans le monde du travail, dans la vie sociale... Sanguin et impulsif, Siddharth tente de se contrôler pour l'amour de sa femme, qui reste à ses côtés malgré ses réactions souvent immodérées.

Dulquer Salmaan, acteur de génie et accessoirement fils de la légende Mammootty, est brillant dans ce rôle à contre-emploi de nerveux pathologique. Il nous a pourtant habitués à camper des personnages plus doux et positifs. Avec Kali, il se dépasse en antihéros aussi dérangeant qu'attachant. Face à lui, la délicate Sai Pallavi incarne Anjali, sa fidèle et tendre épouse. La jeune femme excellait déjà dans Premam en 2015 et avait séduit le Kerala tout entier par sa grâce et son naturel. Dans Kali, elle s'illustre dans un rôle qui fait écho à son premier métrage, en amante affectueuse et pondérée. Mais ce sont les circonstances dans lesquelles évolue son personnage qui font de Kali une opportunité intéressante de la redécouvrir. Elle y est poussée dans ses retranchements, mise à l'épreuve pour extérioriser la profonde sensibilité qu'elle occultait sous une certaine mesure dans Premam.

Le couple formé par Siddharth et Anjali est très équilibré, la verve de l'un égalisant la retenue de l'autre.

Ils représentent la réalité des relations de couple dans leur souci de faire des efforts l'un pour l'autre, de parfois taire leurs propres maux pour ne pas blesser ou contrarier leur partenaire. Car dans les relations humaines, tout est affaire de compromis. Chacun doit donner un peu de sa personne à l'autre pour que la relation perdure.

Mais quand Anjali doit supporter les esclandres de son mari malgré les sacrifices qu'elle a fait pour lui, elle finit par craquer. Elle s'effondre car elle a le sentiment de faire fonctionner son mariage toute seule, sans que son époux n'ait à clairement faire d'efforts. C'est elle qui s'adapte perpétuellement à ses variations. Le métrage contient deux parties au sein desquelles règnent deux atmosphères : la première illustre les attitudes inadaptées de Siddharth dans la quotidienneté et face à des situations relativement banales. La seconde pose quant à elle un cadre exceptionnel, qui amène le héros à calmer sa colère mais aussi à en faire l'usage à juste titre.

On passe ainsi de la comédie dramatique au thriller psychologique en un seul et même métrage.

Partant de la vie aseptisée de Siddharth et Anjali, on bascule dans un véritable cauchemar durant cette nuit qui va changer la trajectoire du couple. Tous les deux sont poussés à bout dans une situation extrême, durant laquelle ils seront obligés de se contrôler pour l'un et de se dépasser pour l'autre. Au-delà du contexte en lui-même, on découvre la force qui réside dans chaque être humain et sa capacité, souvent insoupçonnée, à repousser ses propres limites. On relativise également, dans de sérieuses circonstances, la teneur de la conduite de l'autre. On l'apprécie même de façon plus méliorative. Le film met en exergue la faculté de l'être humain à voir ce qu'il y a de meilleur dans les défauts de l'autre. Lorsqu'ils sont séparés, le calme d'Anjali manque à Siddharth. Et la hargne protectrice de Siddharth fait défaut à Anjali.

Musicalement, la bande-originale est très minimaliste, avec tout juste deux titres à son actif. Elle sert de toile de fond à cette histoire binaire captivante. Le compositeur Gopi Sunder nous gratifie de deux morceaux enlevés pour la première partie du métrage, plus douce que la seconde. On a ainsi droit à « Chillu Ranthal » et « Vaarthinkalee », deux chansons à la guitare agréables et intimistes.

En conclusion



Kali est un film impressionnant par ses ambiances divergentes. On sombre dans une forme de bipolarité et dans une vive impulsivité, à l'image de l'œuvre elle-même et de son héros. C'est un métrage intense durant lequel il faut s'accrocher, au même titre que Siddharth et Anjali dans leur combat pour se sortir de leurs difficultés. Kali voit surtout éclore deux comédiens d'exception, dont l'ascension se consolide avec ce projet soutenu et rigoureux..

LA NOTE: 4/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?