Critique : Premam (★★★★★)

samedi 29 juillet 2023
premam critique mollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 158.

Il y a des films comme ça qui vous bouleversent, qui touchent votre coeur et qui font écho à votre histoire. Il y a des films qui vous donnent des leçons de vie profondes, qui vous font même grandir à certains niveaux. Premam fait partie de ces expériences cinématographiques formatrices et riches en enseignement. Parce que le cinéma malayalam possède ce supplément d'âme qui lui est propre. C'est donc sans surprise mais avec beaucoup d'émotion que Premam m'a touché. Il m'était déjà impossible de passer à côté de ce film pour une seule raison : Nivin Pauly. C'est effectivement mon acteur préféré au Kerala, celui qui m'a permis de littéralement fondre pour cette industrie avec la romance Thattathin Marayathu. Surtout, il a su se réinventer au fil de ses projets tout en assurant des succès commerciaux au box-office local. Premam est à ce jour son plus gros plébiscite populaire, en plus de l'accueil dithyrambique qu'il a reçu.

Dans Premam, on suit le cheminement sentimental de George (Nivin Pauly), de ses 16 ans jusqu'à la trentaine. En tombant amoureux, il apprend sur lui-même et sur sa capacité à évoluer pour muer en une personne plus responsable et modérée…



Les femmes qui ponctueront sa vie vont surtout l'amener à devenir un homme meilleur, pour également évoluer en un meilleur amant… Difficile de s'étendre sur l'histoire de Premam sans dévoiler ce qui en fait tout l'intérêt. Mais Premam dépasse largement le film romantique classique. Il se regarde comme un road-movie métaphorique. Où le voyage est affectif, existentiel et moral. Au contact des femmes qui marqueront son parcours, il mûrit et en apprend davantage sur lui-même. En les aimant, il se découvre et s'autorise à aspirer à la vie qu'il mérite. Et ce même si ces relations résultent en échecs… Car après tout, il n'y a que dans les films un peu sirupeux que le premier amour est authentique et unique.

Dans la vie, on passe par des désillusions, des espoirs déçus et des rejets avant de rencontrer la personne qui nous aime et nous comprend sincèrement. George a aimé chaque femme comme si elle était la seule, comme si c'était la bonne. Le fait que ces dernières n'aient pas éprouvé la même chose n'a cependant jamais ébranlé sa foi dans le sentiment amoureux, ni son envie d'aimer de nouveau, avec l'entièreté et la générosité qui le caractérisent.

Ce qui fascine dans Premam, c'est la qualité de l'écriture de ses personnages.

L'œuvre est un véritable récit de vie fictif. Elle ne cherche jamais à illustrer des personnages extravagants ou excessifs. Rien dans la mise en scène, dans les décors ou les espaces ne semble surfait. On s'identifie à George et ses partenaires avec une facilité déconcertante, et ce sans être malayalee ou même indien. Les portraits que nous dépeint Alphonse Putharen dans son métrage ont en effet le mérite de nous ressembler et de nous parler. Le cinéaste nous offre une palette de personnages humbles et authentiques, loin des héros racoleurs de Bollywood.

Même si je vais sans doute radoter par rapport à mes critiques antérieures des films de Nivin Pauly, l'acteur est tout bonnement exceptionnel dans Premam. Il s'agit pour moi de son rôle le plus travaillé, bien qu'il ait déjà surpris par le passé dans des registres différents avec Neram et 1983, par exemple. Dans Premam, il prouve que le genre romantique peut regorger de fraîcheur et de sagacité. Bien qu'il soit devenu un véritable ambassadeur de la romance à Mollywood, l'acteur ne se répète jamais et campe des personnages différents dans chacun de ses projets. Dans ce film, on le découvre de la même manière que Nazriya Nazim dans Ohm Shanthi Oshaana (leur film commun de 2014) : il grandit effectivement sous les yeux du spectateur, passant de l'amant naïf et spontané à l'homme mature et réfléchi. Nivin est toujours juste et modéré. Il me fait penser à des acteurs hindi tels que Randeep Hooda ou Abhay Deol, qui mesurent leur jeu sans jamais manquer de naturel, et qui n'hésitent pas à camper des personnages loin de faire rêver.

Face à lui, trois actrices lui donnent la réplique, chacune représentant l'incarnation de l'amour de George aux différentes étapes de sa vie.

Anupama Parameswaran y est Mary, le premier amour de George. En jeune fille ingénue, elle touche dans un rôle pourtant assez limité. On retiendra sa beauté brute, avec ses cheveux frisés et son visage de poupée. Madonna Sebastian est Celine, celle qui côtoie l'avatar mature de George. Son jeu nuancé donne du corps au personnage, qui n'apparaît pas longuement à l'écran mais marque par sa douceur et sa gentillesse. Mais la révélation de ce métrage demeure Sai Pallavi. Elle a 23 ans lorsqu'elle signe Premam, son premier rôle majeur après une apparition anecdotique dans le film de Kollywood Dhaam Dhoom. Elle y incarne Malar, une professeure de laquelle s'éprend George durant ses études. La jeune femme est rayonnante dans un rôle tellement pur. L'actrice ne se maquille pas et s'assume telle qu'elle est : éclatante ! En plus de jouer à la perfection, Sai Pallavi danse formidablement et partage avec Nivin Pauly une complicité remarquable.

Les deux comédiens s'accordent à merveille et leur fraîcheur se marie impeccablement afin de servir la sincérité de leur histoire d'amour. Au cinéma, l'amour est sacralisé et la souffrance qui en découle est légitimée comme la preuve de son importance. Concrètement, plus on a mal, plus on aime. L'amour doit être désintéressé, en particulier lorsqu'il est à sens unique. On ne peut aimer qu'une fois avec la même force et la même loyauté. Or, Premam prend justement le soin de contrer cette représentation. Dans l'œuvre, l'amour destructeur est réduit à néant, il est oublié pour envisager un amour positif, duquel on ne tire que le meilleur de l'autre. L'amour qui remue les souffrances, qui génère la jalousie et détruit les projets ne se concrétise pas. Le seul amour de George qui se matérialise, c'est celui qui lui procure une sensation saine et optimiste. Dans le passé, George s'est consumé par amour. C'est finalement face à quelqu'un qui lui donne de la valeur qu'il décide de se livrer et d'ouvrir à nouveau son cœur.

L'amour de Premam est réparateur mais aussi riche en apprentissages.

Il permet d'entrevoir les relations amoureuses avec plus d'intelligence et de recul, dans le souci de demeurer la meilleure version de soi-même. George tente de rester fidèle à ce qu'il est, sans laisser l'amour en lui le dévorer de l'intérieur.

Musicalement, la bande-originale de Premam est une véritable ode à l'amour et à la vie. Signée par Rajesh Murugesan, elle est truffée de jolies mélodies et dégage une véritable douceur. Si l'album compte 9 titres, je ne m'étendrai pas sur tout l'album, dont je vous invite à faire l'expérience vous-même tant la musique se ressent, sans aucun besoin de la commenter. Cependant, il convient malgré tout de parler de quelques morceaux qui m'ont personnellement beaucoup plu. Il y a d'abord la surannée « Aluva Puzhayude », interprétée par Vineeth Sreenivasan et qui m'a beaucoup fait penser à un autre morceau du chanteur : « Anuraagathin Velayil » du métrage Thattathin Marayathu. Mais ma balade préférée reste l'un des tubes de la bande-son : « Malare », chantée par Vijay Yesudas et qui illustre l'amour naissant entre George et Malar. Ce magnifique morceau sonne comme un rêve et vous emportera par sa délicatesse. Enfin, dans un tout autre registre, j'ai eu un véritable coup de cœur pour « Rockaankuthu », un dappa auquel le tamoul Anirudh Ravichander prête sa voix. Ce titre permet surtout de mettre en avant les talents de danseur de sa vedette masculine.

En conclusion



Premam est un poème. J'ai presque envie de terminer là-dessus mais ma nature prolixe risque de m'en empêcher. Parce qu'il y a tant à dire sur Premam. Si vous n'aviez pas encore été convaincu par mes anciens textes concernant d'autres métrages de Nivin, Premam peut aisément constituer votre premier film malayalam. Vous serez sûrement surpris par le rythme posé, la photographie soignée et la musique onirique. On n'a pas l'habitude de voir tant de beauté et de subtilité dans les autres industries. Et franchement, ça fait un bien fou...

Premam a reçu sept nominations aux South Filmfare Awards et a remporté deux prix : celui du Meilleur Chanteur pour Vijay Yesudas et celui du Meilleur Espoir Féminin pour Sai Pallavi. Selon moi, l'œuvre aurait amplement mérité plus de distinctions. Mais elle a surtout souffert de la concurrence d'autres films de qualité sortis la même année : Ennu Ninte Moideen, Charlie, Pathemari ou encore Mili... Comme régulièrement, l'an 2015 a été faste et riche en œuvres intéressantes. Une preuve de plus qu'en cette période de disette à Bollywood, il est bon de faire un petit tour du côté du cinéma du Kerala...

Vous serez dépaysé, étonné et peut-être un peu déboussolé... Mais vous ne serez pas déçu.

LA NOTE: 5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?