Critique : Khoobsurat (★★★★☆)

samedi 15 juillet 2023
Khoobsurat critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 165.

Quand j’ai fini Khoobsurat, j’avoue avoir été un peu chamboulée : mais qu’est-ce que c’est que ce film ?! En effet, on nous a vendu un remake du film du même nom, classique du cinéma hindi sorti en 1980 avec la lumineuse Rekha. Avec cette version 2014, les producteurs papa Anil et soeurette Rhea tentent d’offrir un rôle d'envergure à la star de la famille Sonam Kapoor. Du coup, je me demande ce qui m’attend, et si Sonam sera capable d’arborer plus de deux expressions durant toute la durée du métrage !

Alors disons-le tout de suite : ce Khoobsurat n’a absolument rien à voir avec la version originale ! C’est uniquement un argument marketing pour vendre le film. Là où le film de Hrishikesh Mukherjee traitait du conflit de génération entre une jeune femme indépendante et une mère de famille rigide, on a droit cette fois à une romcom des plus classiques. L’histoire d’amour entre une fille spontanée et un prince coincé ? On a déjà vu ça chez Disney ! Et ça tombe bien car le film est distribué par la célèbre compagnie.

Lorsque j’ai fini Khoobsurat, j'ai eu un sentiment assez partagé : entre le bonheur de voir une agréable comédie romantique et le sentiment qu’on s’était quand même bien foutu de ma gueule... Je ne comprends vraiment pas en quoi on peut parler de remake pour ce Khoobsurat ! En effet, ça ressemblait plus à Le Prince et moi ou à Princesse malgré elle qu’au Khoobsurat original. On est loin de la finesse et de la sobriété de l'œuvre qui a valu à Rekha le Filmfare Award de la Meilleure Actrice. On a ici droit à une comédie sentimentale de grande consommation, à la fois ancrée dans son folklore indien mais possédant des codes et un schéma narratif assez occidentaux.

Khoobsurat est en quelque sorte un film bâtard : on a effectivement l’impression qu’il essaye de mélanger des ingrédients pour tenter de satisfaire un maximum de consommateurs, sauf que ces éléments ne se marient pas toujours correctement.

Vous êtes largués ? Et moi donc... Pour rédiger cette critique, je décide donc de mettre de l’ordre dans mes idées et de commencer par le commencement : la trame.

Milli (Sonam Kapoor), est kinésithérapeute. Elle est engagée par la reine de Sambhalgarh Nirmila Singh Rathore (Ratna Pathak Shah) pour s’occuper de son mari handicapé, le roi Shekhar (Aamir Raza Hussain). Sur place, elle fait la connaissance du fils de la famille, Vikram (Fawad Afzal Khan), qui est à l’opposé de son tempérament direct et enthousiaste...

Je vous le donne en mille : Vikram et Milli répondent à la célèbre maxime « les opposés s’attirent ». Pas de surprise, ils tombent amoureux après s’être voués une brève aversion. Mais ce qui est dérangeant, c’est qu’on passe trop allègrement de l’indifférence à l’amour. Durant la même scène, Vikram est d’abord exaspéré par l’inconscience de Milli pour ensuite en tomber amoureux... Où est le sens commun dans tout cela ? C’est une vraie faiblesse narrative : ne pas laisser le temps aux personnages de s’attacher l’un à l’autre et de se découvrir. On a le sentiment qu’on veut très rapidement les faire craquer l’un pour l’autre, et ce même si les circonstances de ce coup de foudre sont assez douteuses.

C’est dommage car le sel d’une comédie romantique réussie, ce sont les séquences durant lesquelles les héros s’attachent l’un à l’autre, se comprennent pour mieux s’accrocher l’un à l’autre et finalement s’aimer éperdument.

Même si cela peut prendre uniquement 20 minutes sur la bobine, ces 20 minutes doivent être racontées et mises en image avec savoir-faire. C’est essentiel pour que le spectateur s’attache aux protagonistes et qu’il ait envie de suivre leurs aventures. Ici, on est perdus parce qu’on a l’impression de ne pas avoir vu ce coup de foudre venir, et on a surtout le sentiment amer qu’il est arrivé beaucoup trop rapidement. Cette période de latence durant laquelle les amants se cherchent et se séduisent de façon plus ou moins déguisée a été amputée, certainement pour servir un autre propos : l’amour suffit-il dans un couple qui ne partage rien de commun ?

Quand j’ai fini Khoobsurat, j’étais également mitigée vis-à-vis de Sonam Kapoor. En effet, son jeu est très irrégulier dans ce film, pourtant taillé pour elle par sa chère famille. Elle en a de la chance, Sonam ! Papa Anil vient toujours à sa rescousse quand ses tentatives de chopper ce trophée de la Meilleure Actrice tombent à l’eau. Avec Khoobsurat, elle espère sans doute une nomination, qu’elle obtiendra finalement suite aux avis positifs qu’a reçu le métrage. Pourtant, en ce qui me concerne, je n’ai été qu’à moitié convaincue. Dans les séquences vives où Milli montre toute sa verve et toute sa maladresse, Sonam est clairement irréprochable. Elle s’investit à fond et est tout à fait charmante dans la peau de cette nana aussi gauche que sincère. On décèle ainsi un vrai potentiel comique chez la jeune femme. Pourtant, lorsqu’il s’agit de scènes plus émouvantes, durant lesquelles on découvre une Milli vulnérable et blessée, Sonam retrouve son regard d’huître et ne dégage absolument rien ! La glycérine a dû l’aider à verser quelques larmes de crocodile, mais vraiment, en termes d’émotion, c’était le néant ! C’est bien la preuve de la limite de cette comédienne : elle ne peut jouer que ce qui lui ressemble.

Dès lors qu’elle doit sortir de sa zone de confort, Sonam se perd, puis perd le spectateur par la même occasion.

Elle a pourtant hérité d’un rôle solaire, qui aurait vraiment pu la mettre en valeur. Mais on constate hélas que Sonam n’est pas encore une actrice. Elle apprend encore son métier, et il n’y a guère que dans Delhi-6 où je l’ai vraiment trouvé convaincante du début à la fin. Par contre, elle est sublime à regarder. Elle a un style incroyable et pourrait porter un sac à patates avec une classe certaine. C’est important de le souligner tant elle m’a fait rêver avec sa garde-robe colorée et personnelle.

A ses côtés, un acteur pakistanais qui fait ses débuts à Bollywood avec ce film : Fawad Afzal Khan. S’il y a bien un grand gagnant dans cette œuvre, c’est bien lui. Dans un rôle plutôt convenu, il est juste irrésistible. Et mettons de côté le fait qu’il soit très bel homme. Fawad possède une présence indescriptible ! Il est charismatique, à la fois vivant et pondéré. Il ne surjoue jamais et interprète son personnage avec force et sobriété. On n’a nullement l’impression d’avoir affaire à un débutant : Fawad possède une maturité palpable dans son jeu, qui met d’autant plus en lumière les lacunes de sa partenaire. Si Khoobsurat tourne autour du personnage de Milli, c’est grâce à Fawad que cette histoire assez bancale prend tout son sens. On a envie d’apprécier cet acteur dans son entièreté, et c’est pour cela qu’on regarde le film jusqu’à la fin. Et puis, il a une élégance folle ! Là où les acteurs de la jeune génération misent sur des films clinquants et sur un physique d’Apollon, Fawad prouve que son talent se suffit à lui-même. Dans une production instable et un rôle déjà-vu, il est éblouissant et on ne retient de l'œuvre que sa prestation.

Ratna Pathak Shah est impeccable en Nirmala, la mère intransigeante et froide de Vikram.

Si elle est parfois dure avec Milli, son rôle est bien inférieur à celui de sa défunte mère, Dina Pathak dans la version de 1980. Ici, le conflit entre Nirmala et Milli est secondaire et n’a guère de place à tenir dans le récit. Tout l’enjeu tourne autour de la prise de conscience de Vikram quant aux sentiments qu’il éprouve à l’égard de la jeune femme. Aamir Raza Hussain campe quant à lui le père meurtri de Vikram avec une finesse irréprochable. Il est tout à fait touchant et tient une place centrale dans le bouleversement des mœurs de la famille royale.

Quand j’ai fini Khoobsurat, j’ai aussi été perdue face à l’identité de ce film : était-ce un remake assumé ? Un film Disney dans sa fabrication ? Une production indienne d’Anil Kapoor dans sa démarche ? Comme je le disais précédemment, oubliez tout lien de corrélation avec le Khoobsurat de 1980. Je me suis donc rabattue sur le fait que l'œuvre était distribuée par Walt Disney Pictures. Pourtant, on est loin des films de la bannière. En effet, et ce à mon grand regret, les chansons tiennent une place très restreinte dans la narration, là où Disney et Bollywood savent user de la musique comme de véritables éléments d’une intrigue. La bande-originale est clairement sous-employée alors qu’elle aurait pu apporter une vraie singularité à l'œuvre de Shashanka Ghosh. Il manque cette folie et cette magie qui correspondent respectivement à la personnalité de Milli et à l’ambiance royale du métrage. La mise en scène est trop sage et la cinématographie manque d’audace. Le métrage ne rentre ni dans les codes du film Disney, ni dans les habitudes du film de Bollywood. On aurait pu saluer ce parti pris s’il avait donné du caractère au film, mais on a l’impression d’avoir surtout affaire à une œuvre floue, qui se cherche sans jamais vraiment se trouver. Est-ce une romcom ? Une comédie familiale ? Le film vacille entre les genres sans jamais parvenir à se définir concrètement.

De plus, le contexte royal est ici sous-exploité. Du coup, on passe à côté de l’atmosphère surannée et magique du genre.

Où sont passées les tenues de princesse, les couronnes et les parades ? Où sont passés les conflits pour le pouvoir, les dilemmes entre l’amour et les responsabilités ? Si Khoobsurat voulait jouer la carte du conte de fée en mettant en scène une romance entre une kinésithérapeute et un prince, il l’a fait bien discrètement… Trop pour me faire rêver, en tout cas ! On nous tisse un royaume bien modeste, timide même, et auquel le merveilleux fait cruellement défaut. Khoobsurat est donc loin du conte onirique mais n’est pas non plus à classer dans la catégorie des comédies sentimentales plus matures. C’est en cela que le film manque de repère et de sens.
br> Quand j’ai fini Khoobsurat, je suis aussi restée coite face à la musique. En effet, l’album composé conjointement par Sneha Khanwalkar, Badshah et Amaal Malik est assez inégal. Le titre « Engine Ki Seeti », reprise d’une chanson folk rajasthani, est interprété par Sunidhi Chauhan et Resmi Sateesh. Ce morceau est plutôt agréable bien qu’il s’oublie très vite. Le titre électro « Abhi Toh Party Shuru Hui Hai » sert de générique de fin avec panache. Mais les deux réussites de la bande-son sont clairement la poignante « Preet » et la romanesque « Naina ». La première est chantée par Jasleen Royal et irradie une mélancolie bouleversante. La seconde, composée in extremis par Amaal Malik à la demande de la productrice Rhea Kapoor, nous donne l’opportunité d’apprécier les voix si particulières de Sona Mohapatra et Armaan Malik. La musique de Khoobsurat est donc à l’image du film lui-même : chancelante et mal assurée, mais pourtant pourvue de quelques instants de poésie pure.

Quand j’ai fini Khoobsurat, je me suis demandée comment j’allais aborder la rédaction de sa critique.

J’ai pour habitude de souvent nuancer mes opinions négatives et de majorer mes avis positifs. Lorsque j’aime un film de tout mon cœur, malgré ses défauts, je vais tenter d’utiliser ma plume pour vous convaincre. Lorsque j’ai trouvé le film décevant, je vais tout de même vous inviter à le découvrir afin de vous forger votre propre vision, car une critique n’engage que son rédacteur. Mais j’avoue que pour Khoobsurat, j’ignore comment conclure. Parce que franchement, je mentirais si je disais que je me suis ennuyée. J’ai passé au contraire un joli moment de cinéma. C’est un film qu’on visionne d’une traite sans trop se poser de questions. Le souci, c’est la sensation que le film nous procure a posteriori. Il a effectivement l’atout majeur d’être efficace. C’est après coup qu’on réalise dans quelle arnaque on s’est empêtré. En ce qui me concerne, c’est le lendemain que j’ai pris conscience des faiblesses de Khoobsurat. De l’incapacité de Sonam à porter ce film sur ses épaules, de la trame instable et de la musique inégale... On ne se rend compte de tout cela qu’avec le recul.

Alors peut-être que c’est cela, la force de Khoobsurat : noyer ses défauts dans un océan de rythme et de bons sentiments. Ainsi, c’est à vous de voir : attendez-vous de Khoobsurat une romance oubliable mais instantanément sympathique ? Ou plutôt un vrai métrage digne de l'œuvre de 1980 ? Si vos attentes correspondent plutôt à la première option, vous pouvez foncer tête baissée ! Si elles ressemblent plutôt à la seconde proposition, la seule raison qui justifiera que vous voyiez ce film réside dans la présence de Fawad Khan. Alors à vous de trancher !

LA NOTE: 3,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?