Critique : Phobia (★★★★☆)

lundi 24 juillet 2023
Gunde Jaari Gallanthayyinde critique tollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 112.

Il m'a fallu du courage pour me lancer dans le visionnage de Phobia ! Je fuis comme la peste les films d'horreur, préférant largement les romances et les œuvres sociales, beaucoup plus accessibles en termes d'analyse. Regarder une nana terrifiée de se faire zigouiller pendant 2 heures, ce n'est effectivement pas mon truc ! Je ne prends aucun plaisir devant ces métrages, ils ne me correspondent pas et ce malgré la qualité certaine de quelques-uns d'entre eux (en ce sens, je vous invite à lire avec attention l'article de Fatima-Zahra sur les meilleurs films d'horreur du cinéma hindi). Après des semaines de stratégies d'évitement, je me retrouve finalement face à Phobia, après avoir épuré la majeure partie des articles que je devais rédiger. Je n'ai plus d'excuse, plus d'échappatoire. Ceci étant, je suis tout de même curieuse de découvrir Radhika Apte dans ce rôle qui lui a valu les éloges de la critique.

Mais en réalité, qu'est-ce qui dissocie Phobia des autres métrages du genre ? En quoi ce film vaut-il le détour ?



Mehak (Radhika Apte) est une jeune artiste contemporaine. Le soir de son vernissage, elle est victime d'une agression et développe une sévère agoraphobie à la suite de cet événement traumatique. Son ami Shaan (Satyadeep Mishra) tente du mieux qu'il le peut de l'aider à dépasser sa peur maladive de l'extérieur. Mais la jeune femme commence à avoir d'étranges hallucinations à propos de Jiah (Amrit Bagchi), une hôtesse de l'air portée disparue, qui vivait dans l'appartement où elle réside désormais...

Avant d'entamer la rédaction de cet écrit, j'étais soucieuse de comprendre les symptômes de l'agoraphobie ainsi que de savoir si cette pathologie était correctement retranscrite à l'écran. Se dit donc de l'agoraphobie la peur des grands espaces et des lieux publics. Il ne faut pas la confondre avec l'ochlophobie, qui désigne la peur de la foule. Ce trouble se manifeste suite à un traumatisme psychique (une agression, un deuil, un accident...) et peut générer des crises de panique aigües chez la personne qui en souffre. Celles-ci peuvent présenter plusieurs caractéristiques, de palpitations en tremblements, mais aussi résulter en un sentiment d'étranglement. Parfois même, la personne phobique peut entrer dans des phases de déréalisation (perception irréelle du monde extérieur) ou de dépersonnalisation (prise de recul et dissociation d'elle-même, comme si elle se voyait de l'extérieur).

Phobia est parvenu à illustrer l'agoraphobie dans sa complexité et dans ses multiples manifestations.

Radhika s'est saisie avec une incroyable justesse des différents symptômes de la maladie, à tel point qu'on croirait l'actrice elle-même atteinte de ce trouble. Les visions de Mehak peuvent aussi trouver leur sens et prendre racine dans le phénomène de déréalisation. Cependant, je reste circonspecte face à la manière dont elles sont traduites dans le film, où elles semblent plutôt s'apparenter à des hallucinations. Mais je reviendrai plus tard sur ce point précis, qui a suscité chez moi quelques interrogations...

S'il ne devait exister qu'une seule raison de découvrir Phobia, elle résiderait dans la performance époustouflante de Radhika Apte. L'actrice est Mehak du début à la fin. Elle incarne l'agoraphobie comme si elle en souffrait. Ses tremblements, son regard, sa voix... Tout en elle nous permet de croire pleinement en la pathologie de Mehak et en la détresse qui l'habite. Radhika prouve avec ce film l'entièreté de son jeu, usant des langages corporel et para-verbal mais aussi de ses expressions faciales pour exprimer les émotions de son personnage. C'est elle qui porte le métrage sur ses épaules, grâce à une prestation de haut vol et à la sensibilité désarmante de son jeu.

Pour lui donner la réplique, Satyadeep Mishra campe Shaan, l'ami et amoureux transi de Mehak.

Shaan incarne surtout l'objet masculin qui personnifie le rapport de Mehak aux hommes. Séductrice et dominatrice, elle sait dire 'non' et s'opposer aux sollicitations masculines. Son aplomb déstabilise les hommes qui l'entourent. Lorsqu'elle se fait agresser, on a le sentiment que cet épisode est largement minimisé par son entourage. Pourtant, il remet intégralement en cause l'identité de la jeune femme et l'assurance qui la caractérisait. « Tu n'as pas été violée ! », comme si la tentative ne valait pas l'acte. Mais le fait d'avoir été touchée contre son gré, que son intégrité physique et sa volonté aient été bafouées ce soir-là constitue un viol en soi ! Mehak est terrifiée par l'extérieur et par la possibilité d'être de nouveau abusée. Mais plus encore, elle est effrayée par le contact à l'autre et ne se sent sécurisée qu'avec ses proches. Quand sa voisine Nikki, interprétée par Yashaswini Dayama, l'aborde, elle se braque et tente de se protéger. Le regard interrogateur des gens de l'extérieur sur son comportement l'amène d'ailleurs à les craindre encore plus. Mais Nikki se montre au contraire ouverte, positive et tolérante envers Mehak, nouant ainsi avec elle une relation de confiance inattendue.

Ce qui n'est pas pour plaire à Shaan, car ce dernier se complaisait dans le rôle d'unique sauveur de la jeune femme. Il se satisfaisait implicitement de sa profonde détresse et de sa dépendance dans les actes du quotidien, ne sollicitant que lui et amplifiant donc sa toute-puissance. Nikki remet totalement en cause ce fonctionnement et offre à Mehak un nouvel espace de parole, plus sain que celui de Shaan. Satyadeep Mishra est correcte dans le rôle de l'ami douteux. Mais c'est Yashaswini Damara que l'on retient. En jeune adolescente courageuse et sincère, elle marque les esprits et complète sans fausse note la prestation de Radhika Apte par sa présence solaire.

En emménageant dans l'appartement de Jiah, Mehak a des visions du meurtre de cette dernière, qui a mystérieusement disparu. Shaan mais aussi Anna, la soeur de Mehak, pensent à des hallucinations, songeant que la jeune femme exploite l'histoire de Jiah comme dérivatif afin de ne pas faire face à sa phobie. Pourtant, Nikki accorde du crédit aux apparitions et propos de Mehak et essaye d'y mettre du sens. C'est là que je me suis interrogée pendant le visionnage : le réalisateur a-t-il correctement cerné la maladie ? Car bien qu'elles trouvent une explication dans son histoire, Mehak a bien des hallucinations ! Je me suis donc demandée si les hallucinations constituaient bien un symptôme de l'agoraphobie, ou si cet élément était né de l'imagination du cinéaste ?

S'il a bien identifié la maladie dans ses autres aspects, il s'agit tout de même d'un point de questionnement pour ma part. Mehak voit des choses, de nature prémonitoire ou chimérique, mais mon interrogation ne réside pas dans le contenu de ces visions. Je me demande, en rationaliste que je suis, de quoi elles proviennent. De son agression ? Pourtant, il semble qu'elles se soient déjà manifestées, de manière plus subtile à travers ses œuvres d'art. Sur ce point, je reste sceptique quant à la cohérence de l'écriture.

La photographie de Jayakrishna Gummadi ainsi que le montage de Pooja Ladha Surti s'imprègnent à merveille de l'ambiance sombre et énigmatique du métrage.

La caméra joue avec l'esprit du spectateur et sa perception, le faisant passer d'un point de vue à un autre et s'appuyant sur une certaine bipolarité contemplative chez celui-ci. « Suis-je du côté de Mehak ? Ou plutôt de celui de Shaan ? » Telle est la question que l'on se pose pendant toute la durée de Phobia... Le cinéaste en vient à nous faire frôler une certaine instabilité psychique tant on est en incapacité de se positionner en faveur d'un personnage du début à la fin de l'œuvre. Ce qui fait l'intérêt de Phobia, c'est qu'il s'éloigne des sempiternels schémas du genre. Loin des histoires mystiques de possession, de force surnaturelle ou d'épouvante, le métrage nous fait plonger dans la psyché de son héroïne et s'apparente plus au thriller psychologique qu'au classique film d'horreur. Il constitue une expérience saisissante et inédite, bien qu'elle ait un peu de mal à démarrer. Si des comparaisons ont été émises avec le métrage Kaun (dirigé par Ram Gopal Varma et comptant Urmila Matondkar à sa distribution), Phobia possède néanmoins une identité forte et s'appuie sur le talent de Radhika Apte, de la même façon que Kahaani existait grâce à la puissance de Vidya Balan.

En conclusion



Je ne peux pas dire que le visionnage de Phobia ait été facile pour moi. Mais il tire sa force dans sa capacité à embarquer le spectateur dans les troubles de son héroïne. Radhika est l'âme de Phobia et, que vous soyez fan de l'actrice ou non, sa performance vous marquera. Véritable aventure dans les apparitions de Mehak, Phobia constitue une expérience déroutante et éreintante, mais aussi brillante.



LA NOTE: 3,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?