Critique : Sultan (★★★★☆)

mardi 25 juillet 2023
Sultan critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 120.

Un film sur la lutte... Salman Khan en slip kangourou… De la bagarre... Beaucoup de bagarre... J’ai peur... Très peur ! D‘autant plus que le dernier film en date que j’ai vu de Sallu, à savoir Bajrangi Bhaijaan, a été l’un des plus beaux moments de cinéma qu’il m’ait été donné de vivre depuis des années. En comparaison, je me dis donc que Sultan ne pourra jamais être à la hauteur, particulièrement au vu de ce nous vend sa bande-annonce : un métrage de sport, avec des scènes de combat à gogo et un Salman plus herculéen que jamais...
Ma seule consolation : la présence de l’excellente Anushka Sharma au casting, qui a toujours eu le don de choisir des projets qui la mettent en valeur, et qui lui offrent des rôles aussi intelligents que précis. J’ai eu l’occasion de découvrir Sultan lors d’une séance française proposée par le distributeur Aanna Films et par le Collectif BollyCiné. La salle était remplie, ce qui m’a clairement surprise pour une projection en Province. C’est toujours particulier de voir un film indien au cinéma, de le découvrir en même temps que plein d’autres, plutôt que d’en visionner une version piratée sur son ordinateur. La sensation est différente, et c’est ainsi que toutes mes appréhensions d’alors se sont évanouies, pour laisser la place au plaisir de voir un film indien en salles obscures, en toute quiétude et en présence de fans et de curieux...

Sultan (Salman Khan) est un quadragénaire meurtri. Il vit seul depuis que sa femme Aarfa (Anushka Sharma) l’a quitté. Pourtant, il était l’une des gloires de la lutte indienne et a remporté de nombreuses compétitions dans ce domaine. Aakash (Amit Sadh) cherche quant à lui à imposer la discipline du MMA en Inde, et souhaite solliciter une grande figure locale dans les sports de combat. Endetté jusqu’au cou, il vient à Sultan pour lui demander de reprendre le combat, celui de toute une vie... Sultan ne vaut pas Bajrangi Bhaijaan. Car Sultan est très différent de lui. Je me demande même comment j’ai pu songer à la comparaison, leur unique point commun résidant dans la présence de Salman.

Clairement, Salman délivre sa meilleure prestation depuis des années avec ce métrage ! On le voit mûrir et passer du jeune amant dynamique à l'homme anéanti par les épreuves de la vie. Sans préciser laquelle, une scène vous tirera les larmes des yeux en plus de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Salman n'y prononce pas un seul mot. Pourtant, sa douleur nous atteint comme jamais. Ses gestes, son regard font tout le travail. On ne peut qu'accompagner sa détresse et pleurer avec lui. C'est à se demander si, à travers Sultan, le comédien ne libérait pas une part de sa propre souffrance tant il transpire d'authenticité dans cette séquence. Il n'y a guère que dans deux films où j'ai le souvenir d'avoir été à ce point bouleversée par son jeu d'acteur : Tere Naam (sorti en 2003) et Kyon Ki (sorti en 2005). Entre-temps, Salman s'est perdu, a signé un peu tout et n'importe quoi pour ensuite s'imposer comme le 'masala boy' de l'industrie hindi avec des films populaires comme Wanted, Dabangg et Ready.

Mais depuis peu, l'acteur semble avoir trouvé son équilibre, et être surtout parvenu à effectuer le bon dosage dans ses projets, entre pur divertissement et film humaniste.

Ses films parlent à tous, possèdent tous les ingrédients d'un masala populaire entre danse, romance et scènes de baston. Mais ils portent surtout en eux de vrais messages et génèrent de profondes émotions chez le spectateur, bien au-delà de leur fonction purement récréative. Salman a ainsi trouvé son credo : celui d'un cinéma grand public sans pour autant être dépourvu d'âme. Ali Abbas Zafar est un cinéaste qui m'intéresse fortement depuis quelques années. Son premier film, Mere Brother Ki Dulhan, reste à mes yeux l'une des comédies les plus rafraîchissantes de cette décennie. Il a ensuite dirigé l'original Gunday, qui n'a malheureusement pas reçu l'accueil critique qu'il méritait. En tout cas, il est parvenu à surprendre en proposant des œuvres de qualité. Lorsque j'apprends qu'il réalise Sultan et qu'il dirige, de fait, Salman Khan, j'ai cependant quelques appréhensions. Je crains effectivement qu'on essaye de l'amener vers un cinéma qui ne lui ressemble pas. J'ai peur qu'on lui demande de constituer un métrage qui corresponde à ce à quoi Salman nous a déjà habitué, entre Kick et Ek Tha Tiger. Je crains qu'on veuille tout simplement qu'il s'oublie artistiquement pour se mettre au service d'attentes purement pécuniaires. Je me suis clairement méprise puisqu'il a offert au comédien un véritable rôle de composition avec Sultan, loin de ses personnages de brute épaisse impénétrable. Sultan est doux, sensible et vulnérable.

Sultan montre ses failles et ses blessures. Sultan est un être humain, pas un surhomme. Sultan nous ressemble dans ses rêves, ses déceptions et ses regrets. Et c'est pour ça qu'il nous touche avec autant de force.

Il y en a une qui constitue quant à elle la révélation de ce métrage, c'est Anushka Sharma. Lorsque j'apprends que l'une des actrices les plus pointilleuses de la jeune génération signe un film aux côtés de Salman Khan, je me dis une chose : on l'a perdu, la p'tite ! « Anushka ! Pourquoi tu vas jouer les faire-valoir dans une grosse production quand tu es en capacité de porter un métrage puissant sur tes seules épaules ? » Puis l'équipe du film dévoile un teaser portant sur Aarfa, le personnage campé par la jeune femme, et là... Grosse claque ! Anushka incarne une lutteuse, loin des rôles glamour et décoratifs de Jacqueline Fernandez dans Kick ou de Sonakshi Sinha dans Dabangg.

Lorsque je découvre le film, je comprends ainsi pourquoi elle l'a accepté, et surtout pourquoi Ali Abbas Zafar l'a sélectionné. Anushka est impressionnante, entre nuance et générosité. Selon moi, elle fait partie des rares actrices de la nouvelle génération à pouvoir réellement exister face à Salman Khan. C'est aussi l'une des rares avoir signé un vrai rôle de femme, fort et impactant, face au monument qu'est Sallu. A 28 ans, Anushka prouve ainsi qu'elle n'a absolument rien à envier aux Deepika, Priyanka et autres Kangana. A son rythme, elle devient l'une des grandes dames de l'industrie hindi, et Sultan le corrobore avec ce qui reste l'une de ses prestations les plus criantes de sincérité.

Ancienne vedette de la télévision, Amit Sadh était révélé au cinéma en 2013 dans l'encensé Kai Po Che, face à Sushant Singh Rajput et Rajkummar Rao. Mais depuis, il lui manquait de nouvelles opportunités de faire valoir son talent. L'acteur campe ici Aakash, le mentor de Sultan. Avec ce film, il prouve qu'il a un potentiel incroyable, parmi l'un des plus sous-employés de Bollywood. Si son personnage demande à Sultan de défendre son projet sur le ring, le combat de cet homme pour une cause bien plus noble permet surtout à Aakash de donner du sens à ses aspirations.

Le métrage nous gratifie également de l'apparition remarquable de l'un des acteurs les plus captivants de ces dernières années : Randeep Hooda.

On le retrouve dans la peau de Fateh, entraîneur de Sultan et star déchue des arts martiaux. Le comédien est toujours aussi impeccable, comme il a eu l'occasion de le prouver avec ses performances magistrales dans Rang Rasiya, Highway et Sarbjit. Il avait déjà donné la réplique à Salman dans Kick mais ce qui frappe dans Sultan, c'est leur profonde complicité. C'est le soutien indéfectible dont fait preuve Fateh à l'égard de Sultan. C'est comme s'il souhaitait, à travers lui, retrouver la fierté qu'il a perdue. L'histoire de Sultan et sa soif de revanche viennent ainsi compléter celle, inachevée, de Fateh.

Côté musique, le duo Vishal-Shekhar nous concocte une bande-originale de qualité, qui se veut moderne mais aussi ancrée dans ses sonorités indiennes. L'entraînante « Baby Ko Bass Pasand Hai » marque avec la danse loufoque de Salman et Anushka, mais aussi grâce aux timbres de ses chanteurs Vishal Dadlani et Shalmali Kholgade. « 440 Volt » constitue une balade rock 'n' roll à laquelle se marie parfaitement la voix du punjabi Mika Singh. Papon excelle quant à lui sur la touchante « Bulleya », teintée de nostalgie. « Tuk Tuk » illustre le quotidien d'un homme qui se bat contre la fatalité, le dos courbé et la tête baissée, mais sans jamais perdre sa verve. « Sachi Muchi » narre avec gaieté la relation qui se tisse entre Sultan et Aarfa, avec les timbres de Mohit Chauhan et Harshdeep Kaur. La chanson titre que l'on doit à Sukhwinder Singh et Shadab Faridi possède un dynamisme comparable à celui de Sultan durant ses combats. Mais le point d'orgue de la bande-son reste la magnifique « Jag Ghoomeya », magistralement interprétée par Rahat Fateh Ali Khan. Sa version féminine portée par Neha Bhasin conclut par ailleurs admirablement le métrage.

En conclusion



Sultan est une œuvre prodigieuse, formidablement servie par son casting et qui donne à voir un Salman Khan plus authentique que jamais. Anushka lui donne merveilleusement la réplique, leur alchimie étant magnifiée par la réalisation soignée d'Ali Abbas Zafar, mise en valeur par la musique irréprochable de Vishal-Shekhar. Merci à Aanna Films d'avoir distribué cette œuvre, et merci au Collectif Bollyciné de m'avoir permis de vivre le visionnage de ce superbe métrage dans des conditions optimales, sur grand écran et pas trop loin de chez moi. C'est grâce à leur travail de proximité que j'ai découvert ce petit bijou de 2016, à côté duquel je serai certainement passée sinon, comme j'ai failli ne jamais voir Bajrangi Bhaijaan si ce n'était lors d'une séance exclusive au cinéma de Roubaix, encore une fois grâce à eux. Sultan vaut la peine que l'on fasse de la route pour le visionner.

Décidément, Salman n'a pas fini de me surprendre... Et de m'amener à l'aimer un peu plus avec chacun de ses films.



LA NOTE: 4/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?