Critique : Race Gurram (★★☆☆☆)

mercredi 19 juillet 2023
Race Gurram critique tollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 8 de Bolly&Co, page 211.

J’adore le cinéma télougou ! Lorsque je regarde une œuvre de Tollywood, je suis assurée de passer un agréable moment devant un film divertissant, rythmé et coloré. Les compositeurs locaux sont souvent des faiseurs de tubes et les acteurs peuvent porter un métrage sur leurs seules épaules. Les grands succès de cette industrie résident principalement dans des masala bien montés, à la musique entraînante et au casting dynamique. Des vedettes comme Ram Charan et Ram Pothineni ont fait leurs armes dans ce genre de films, toujours avec le même succès. Mais le prince du masala à Tollywood est indéniablement Allu Arjun, actif au sein de l’industrie depuis 2003. Avec des films comme Desamuduru et Julayi, il a su s’imposer comme une véritable figure populaire dans sa région. Pour autant, il a également montré son jeu impeccable avec des prestations sensibles dans Arya 2 et Vedam, entre autres. Lauréat par deux fois du South Filmfare Award du Meilleur Acteur, celui que le public surnomme Bunny est désormais l’une des personnalités les plus appréciées de l’industrie télougoue.

En 2014, il est à l’affiche de Race Gurram, un énième masala avec également Shruti Haasan, Shaam et Brahmanandam. Pot-pourri de romance, de danse, d’action et de politique, cette réalisation de Surender Reddy a fait un tabac lors de sa sortie en salles, devenant le film télougou le plus rentable de l’année.

A la perspective de ce divertissement, j’avoue avoir été très excitée. Je me réjouissais de retrouver Allu Arjun dans son costume d’action man, taillé sur mesure pour lui. Pour lui donner la réplique était missionnée l’une des actrices les plus ‘bankable’ du sud du pays : Shruti Haasan, qui a officié dans de nombreux succès du genre comme Gabbar Singh et Balupu. Pourtant, j’ai clairement été désappointée par ce film. Je ne suis franchement pas difficile face à un masala, j’ai réussi à passer un bon moment devant des métrages comme Dabangg, Ready et Kandireega. Mais cette fois, je n’ai pas été cueillie.

Mais en quoi Race Gurram a loupé le coche, là où d’autres films télougous du même calibre ont réussi à me convaincre ? Revenons d’abord sur la trame de cette œuvre...



Ram (Shaam) et Lucky (Allu Arjun) sont deux frères que tout oppose. L’un est un officier de police respecté, droit et pondéré. L’autre est un joyeux flemmard, qui cherche juste à mettre les voiles vers les USA pour mener à bien sa vie de bohème. Dans le même temps, Lucky courtise l’inexpressive Spandana (Shruti Haasan), une jeune fille qui intériorise ses émotions en permanence. Et comme si cela ne suffisait pas, le gangster Shiva Reddy (Ravi Kishan) s’investit en politique tout en poursuivant ses activités frauduleuses. Mais c’était sans compter sur l’honnête Ram, qui va tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur les réelles intentions du malfrat, et ce tandis que son frère va tout tenter pour le décrédibiliser...

Comme vous pouvez le constater, le pitch de Race Gurram part dans tous les sens. On a droit tantôt à une histoire familiale, tantôt à une romance, en passant par un film d’action à caractère politique. Mais le problème, c’est qu’aucun de ces aspects n’est traité avec attention. Tout est survolé, esquissé à tel point que l’on peine à suivre ces histoires sans aucun lien les unes avec les autres. Le fragile fil conducteur réside dans le personnage de Lucky, qui titube cependant trop entre chaque affaire pour capter l’attention du spectateur. Le conflit fraternel m’a d’ailleurs semblé tout droit pompé du film tamoul Vettai, avec R. Madhavan et Arya. En effet, ce métrage narre la relation compliquée entre un honnête flic et son frère devenu truand. Ce n’est pas le seul élément à avoir été inspiré d’autres métrages. En effet, sans trop vous en dévoiler, le film emprunte également le concept du classique de Kollywood Mudhalvan dans le cadre de son épilogue. Il fait enfin une petite référence au métrage hindi Dabangg à travers le nom d’un des protagonistes.

Le problème majeur de Race Gurram réside dans son scénario émietté, manquant de consistance et de solidité.

La narration et le montage ne parviennent d’ailleurs pas à sauver cette énorme carence. On a le sentiment que Surender Reddy a voulu condenser plusieurs scripts pour former un seul et même métrage, mais sans parvenir à créer un lien ferme entre eux. Les différents éléments du scénario sont restitués à l’écran de façon trop parcellaire et perdent ainsi de leur sens.

Allu Arjun se donne pourtant à fond dans un rôle bancal et franchement déjà-vu. Il était déjà un glandeur exubérant dans Julayi et Iddarammayilatho et porte de nouveau avec aisance un personnage pourtant peu inspiré. Cet acteur possède une présence incroyable à l’écran et parvient à assurer un film sur la base de son seul talent. Avec Race Gurram plus que jamais, il prouve sa qualité exceptionnelle d’entertainer dans ce film tout de même très décevant. Un comédien moins charismatique aurait fait plonger l'œuvre dans les abysses de la kitscherie. Ici, Allu Arjun nous rend Race Gurram moins pénible et nous fait même apprécier certaines séquences plus enlevées. Il sera d’ailleurs sacré Meilleur Acteur aux South Filmfare Awards 2015 pour la troisième fois de sa carrière.

Shaam, acteur tamoul sous-valorisé, fait depuis quelques années ses armes à Tollywood dans des rôles de second plan. Il incarne ici le frère aîné de Lucky, Ram. Il s’agit du premier film de Shaam que j’ai pu voir, et j’admets ne pas comprendre ses échecs. Cet acteur est bourré de charme et montre une réelle justesse dans son jeu. Il a su se saisir de l’opposition entre les tempéraments de Ram et Lucky sans jamais tomber dans le cliché du frère tortionnaire.

Ram et Lucky ont leurs défauts comme leurs qualités. Leur véritable limite réside dans leur incapacité à communiquer.

Chaque prise de contact se fait avec agressivité et chacun met tout en œuvre pour démontrer sa supériorité à l’autre. Au fond, le modéré Ram comme le fantasque Lucky sont restés petits garçons. Parlons désormais du cas de Shruti Haasan. Artiste polyvalente, la jeune femme est à la fois actrice, chanteuse et compositrice. Elle a su alterner différents univers en incarnant à la fois la fille traditionnelle (Ramaiya Vastavaiya), la prostituée écorchée (D-Day), l’amie inconditionnelle (Oh My Friend), la princesse féerique (Anaganaga Oka Dheerudu), l’étudiante en biologie génétique (7aum Arivu) et l’épouse dévouée (3). Pour autant, Shruti a accepté de jouer dans Race Gurram. Pourquoi pas, si un rôle intéressant lui était proposé... Mais malheureusement, il n’en est rien ! Shruti incarne là une jolie plante verte qui n’a strictement aucune incidence sur le récit. Elle est là pour séduire le héros, applaudir ses performances et partager avec lui les séquences musicales. Je me suis carrément demandée quel était le cachet de la jeune femme pour qu’elle accepte de tenir un rôle aussi insignifiant. Le fait est que la présence de Spandana ne recouvre aucun enjeu, si bien qu’elle aurait tout bonnement pu être supprimée de l’intrigue.

Pour revenir aux quelques aspects positifs de Race Gurram, le comique Brahmanandam y campe Kill Bill Pandey, un officier de la brigade spéciale mis en œuvre pour débouter Shiva Reddy. Récurrent dans des rôles de clown de service, l’acteur de genre est ici au sommet de son art en caricaturant les héros omnipotents du cinéma de masse. J’ai aussi apprécié que son personnage soit mis en avant comme l’instrument de la mission à l’encontre de Shiva Reddy, au contraire de Lucky qui officie comme le cerveau de ces actions. Dans Race Gurram, Brahmanandam est absolument tordant et sauve la dernière demi-heure de l'œuvre par sa verve et sa mobilisation.

Mais le point fort principal de Race Gurram, c’est sa musique. La bande-originale composée par S. Thaman est une réussite absolue, alternant avec savoir-faire balade romantique, dappa dynamique et morceau électro.

L’album s’ouvre sur l’entêtante « Boochade Boochade », un score aux sonorités orientales. Ce titre est excellent, notamment grâce à la contribution de Shreya Ghoshal, qui change littéralement de registre avec cet item number sexy. Pour la balade « Sweety », c’est Siddharth Mahadevan qui surprend sur cette chanson mêlant influences électroniques et violon romantique. Le dappankuthu « Cinema Choopista Mava », interprété par Simha et Varikuppala Yadagiri, fonctionne à merveille grâce à l’utilisation de basses et de guitares électriques dans son instrumentalisation. L’onirique « Gala Gala » incarne également le mélange des genres avec la voix presque synthétique de Dinesh Kanagaratnam, en duo avec Megha.

L’énergique « Down Down Duppa » bénéficie des grains de voix de son compositeur S. Thaman et de son actrice principale Shruti Haasan. Enfin, l’album se clôture sur la chanson titre « Race Gurram », interprétée par la grande dame du jazz Usha Uthup. Avec ce morceau, elle fait un virage à 180° dans un genre plus folklorique et soutenu.

En conclusion



Race Gurram peut se vanter de sa musique, qui constitue une réussite totale. Une grande partie de sa distribution sauve également le métrage du naufrage. Mais le rôle tenu par Shruti Haasan déçoit clairement, d’autant plus quand on connaît le parcours jusqu’ici honorable de l’actrice. Je n’ai d’ailleurs pas compris en quoi elle méritait le South Filmfare Award de la Meilleure Actrice, qu’elle recevra pour cette œuvre en juin 2015. Dans sa construction également, le film manque de cohérence et de rythme. Ainsi, si vous souhaitez tout de même tenter l’expérience, basez vos expectatives sur la qualité du casting et sur la bande-son de haute qualité, sans rien en attendre d’autre...

LA NOTE: 1,5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
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