Critique : Sanam Teri Kasam (★★★★☆)

jeudi 27 juillet 2023
Sanam Teri Kasam critique bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 9 de Bolly&Co, page 128.

Dans le genre du drame romantique, on a donné aussi bien à Bollywood qu'en Occident. Il faut ainsi beaucoup de souffle, d'originalité ou de talent pour surprendre. Lorsque je suis tombée sur la bande-annonce de Sanam Teri Kasam, j'ai été soufflée ! J'étais complètement passée à côté de toute la démarche promotionnelle de ce métrage, privilégiant les vidéos, interviews et affiches de métrages comme Fitoor et Sanam Re, également sortis en février 2016.

Pourtant, dès le visionnage du trailer, j'ai été happée par ce petit bout de femme, fagotée comme une bonne soeur et affublée de lunettes absolument hideuses. Son grain de voix, sa présence et son naturel me donnaient envie d'en savoir plus sur ce métrage. Je découvre ensuite qu'il est dirigé par le duo Radhika Rao et Vinay Sapru, auquel on doit le magnifique Lucky – No Time For Love (avec Salman Khan et Sneha Ullal) et le foireux I Love NY (avec Sunny Deol et Kangana Ranaut). De quoi espérer le meilleur mais également risquer le pire…

La jolie héroïne au timbre éraillé est une actrice bien connue des fans de Lollywood : il s'agit de l'actrice pakistanaise Mawra Hocane, qui a surtout officié à la télévision. Pour lui donner la réplique, les cinéastes ont missionné Harshvardhan Rane, sorte de John Abraham au rabais qui a tourné plusieurs films télougous. Ce métrage lance leurs carrières respectives à Bollywood. Sanam Teri Kasam, c'est le genre de films que tu veux voir par curiosité, dont tu te dis qu'il te fera patienter jusqu'au prochain projet d'Aditya Chopra, sans pour autant te combler totalement sur le plan romanesque. Tu le regardes comme un téléfilm du mercredi après-midi sur M6 sans vraiment savoir ce qu'on va te servir. Je m'installe donc dans mon canapé, avec mon plaid de mémé et mon paquet de chips bien grasses de chez Lidl, prête à passer un moment de romantisme léger et sans prise de tête, avec tout de même le petit espoir que la jeune Mawra Hocane se démarque comme je le pressentais en la voyant dans la bande-annonce…

Le film commence et, pendant ses 154 minutes, je suis vissée sur mon canapé. Je ne touche pas à une seule de mes chips et la seule pause que je m'accorde, c'est pour aller chercher des mouchoirs. Car Sanam Teri Kasam est un métrage bouleversant et généreux. C'est un film qui ne fait pas dans la subtilité : les héros pleurent beaucoup, souffrent à outrance et sont violemment arrachés l'un à l'autre. J'ai été emportée par cette histoire d'amour excessive et clichée à bien des égards.

Mais avant de vous faire part de mon analyse, reprenons la trame là où elle commence...



Saru (Mawra Hocane) est une jeune bibliothécaire issue d'une famille conservatrice. Elle est mal dans sa peau et peine à rencontrer quelqu'un. Mais la tradition lui impose de se marier la première afin de permettre à sa petite sœur Kaveri (Divyetta Singh) d'épouser son petit-ami. De tentatives en désillusions, elle croit de moins en moins en l'existence de son âme sœur. Son voisin Inder (Harshvardhan Rane) vient quant à lui de sortir de prison après une peine de 8 ans pour homicide. Ce grand tatoué ne peine en rien avec les filles, de son côté ! Ils n'ont rien de commun, rien qui soit susceptible de les lier l'un à l'autre. Pourtant, Saru et Inder vont vivre la plus improbable des histoires d'amour, aussi pure que violente...

Difficile d'en dire davantage sans dévoiler ce qui fait le cœur de Sanam Teri Kasam C'est un film romantique qui s'assume, qui tire à fond les ficelles du genre, aussi bien dans son histoire que dans sa mise en scène. Il n'y a rien de nouveau, d'inventif ou de surprenant dans Sanam Teri Kasam, si ce n'est sa capacité à nous embarquer entièrement dans cette idylle pourtant peu inspirée. En ce qui me concerne, j'ai été entraînée dans cette romance entre un bad boy sur le repentir et un vilain petit canard devenu cygne. Et même si le schéma est clairement déjà-vu, la proposition de Vinay Sapru et Radhika Rao a pour atout majeur de ne jamais mentir au public quant à ses intentions. C'est le film lacrymal par excellence, le film qu'on recommandera à ceux et celles qui veulent « voir une histoire triste » comme pour évacuer, à travers son visionnage, leurs propres peines.

Je pense que j'ai été quelque peu en projection avec Saru, ce qui n'est pas franchement difficile !

Beaucoup de jeunes femmes se retrouveront en elle, en particulier celles qui souffrent du « syndrome de la bonne copine ». Car en effet, moi comme Saru et sûrement d'autres filles, nous avons la conviction de ne pas avoir le profil adéquat pour une grande et belle histoire d'amour. De ne pas correspondre aux attentes des hommes, de ne pas être suffisamment jolies, séduisantes ou raffinées pour leur plaire. Saru est une fille normale, comme nous. Elle ne fait pas spécialement attention à son look. Elle est timide, maladroite et souvent trop gentille avec des hommes qui ne le méritent pas.

Je me suis clairement retrouvée en elle, dans son désarroi et son manque de confiance en elle. Je me suis aussi vue dans le cadre rigide qui lui est posé, dans le conservatisme de son père, la propension de son entourage à colporter de fausses rumeurs et dans son sentiment de ne pas être entendue. Nous vivons dans une société qui facilite les jugements. Les réseaux sociaux ont d'ailleurs amplifié ce phénomène. Chacun se sent légitime pour juger son prochain, ses moindres gestes, ses actes et ses décisions. On condamne quelqu'un sans le connaître, sans avoir même pris la peine de comprendre et vérifier les faits que l'on dénonce. C'est exactement ce que vit Saru. Les gens s'arrêtent à ce qu'ils perçoivent lointainement d'elle, sans jamais creuser. Car le regard que le monde porte sur elle est superficiel, basé uniquement sur l'apparence et l'artifice.

Inder est un écorché vif déguisé en bad boy. C'est un criminel de surface mais un prince charmant de fond.

Je me suis demandée pendant une bonne partie du film s'il ne prenait pas Saru en pitié, s'il ne l'aidait pas par pure compassion. Mais plus on avance, plus on découvre la pureté des sentiments d'Inder, qui a cerné dès le début le potentiel de la jeune femme. Il l'embellit par son amour et veut offrir tout ce qu'il manque à sa bien-aimée. Il veut être son ami, son soutien, sa famille, son entremetteur, sa bonne fée... à défaut d'être son amant. Inder magnifie Saru, il a su déceler sa vraie valeur au-delà des apparences. Avec son aide, la jeune femme se découvre de nouvelles possibilités et s'autorise à atteindre ses objectifs. Il ne veut pourtant pas la changer. Il veut juste faire éclore aux yeux du monde sa splendeur et ainsi lui permettre d'aspirer à la vie qu'elle mérite. Inder est un héros romantique dans tous ses aspects, qui rend l'objet de son amour plus beau pour le public. On dit que l'amour est aveugle, mais celui qu'Inder porte à Saru permet au monde d'ouvrir les yeux sur la beauté (intérieure comme extérieure) de la jeune femme.

Ce qui est intéressant avec Sanam Teri Kasam, c'est qu'il nous émeut tout en nous stimulant. Il génère en nous des questionnements sur la nature des protagonistes, sur leur passif, leur identité profonde et leurs espérances. Du début à la fin, je me suis interrogée et j'ai craint d'être laissée sans réponse. C'est en ce sens que le film est particulièrement intelligent : il nous permet de nous attacher aux personnages, de respecter leur rythme tout en nous amenant à nous questionner sur les zones d'ombre de leurs histoires, personnelle mais aussi commune. Le film s'appuie très largement sur ses acteurs vedettes et sur leur incroyable alchimie.

Il n'y a guère de place pour les personnages secondaires, seuls Inder et Saru comptent. Pour les incarner, il fallait donc des interprètes forts, charismatiques, généreux et sincères afin de porter une telle histoire d'amour.

Harshvardhan Rane est impressionnant. Il ne singe nullement John Abraham, auquel je le comparais pourtant au début de cet écrit. L'acteur délivre toute sa sensibilité avec ce rôle puissant de criminel au cœur d'or, prêt à tout pour celle qu'il aime sans rien attendre en retour. Le jeu du comédien est maîtrisé, comme pour équilibrer celui de Mawra, plus en amplitude. Harshvardhan sait ce qu'il fait et y donne du sens. Mais c'est clairement Mawra Hocane qui explose dans ce métrage avec sa prestation magistrale. Comme elle le prouvait déjà dans la bande-annonce, la jolie pakistanaise dégage une aura unique à l'écran. Elle incarne Saru corps et âme, mettant sa voix et son naturel au service de ce personnage aussi complexe qu'attachant. Au même titre que son partenaire, elle mériterait largement tous les prix de Meilleur Espoir lors des cérémonies de récompenses à venir. Hélas, je crains que les organisations des événements précités leur préféreront des débutants plus 'bankable' comme Pooja Hegde pour Mohenjo Daro ou Harshvardhan Kapoor dans Mirzya.

Sanam Teri Kasam est, dans son esthétique et son intrigue, niché entre l'univers très doucereux de Nicholas Sparks et celui, plus appliqué, du conte de fée. Assez étrangement, il m'a fait penser en ce sens à l'un des plus beaux films de l'année 2014 : Highway. Pour le coup, rien de commun entre ces deux films sur le plan scénaristique ou stylistique. Mais Sanam Teri Kasam comme Highway dépeignent une rencontre entre deux mondes, entre deux êtres que rien n'auraient pu unir si ce n'est la destinée. La référence à La Belle et la Bête est permanente dans chacun des métrages, de façon différente certes, mais suffisamment prégnante pour émettre un lien de corrélation entre les deux. Inder se qualifie de « bête » dans le métrage et ne se sent pas digne d'être aimé de la princesse en détresse qu'est Saru, tout comme Mahabir n'osait pas envisager d'avenir avec Veera dans Highway. Le parallèle avec la Belle et la Bête est encore plus pertinent dans la mesure où cette histoire d'amour est émancipatrice pour ses héros. Dans le conte de Madame de Villeneuve, il permet à la Bête de recouvrir son apparence de prince. Dans Sanam Teri Kasam, il aide Inder à se défaire de ses démons et permet à Saru de muer en une superbe jeune femme.

On doit aussi la réussite de cette œuvre à la réalisation soignée de Radhika Rao et Vinay Sapru.

La photographie de Chirantan Das est authentique et restitue avec justesse la réalité des quartiers communautaires de Mumbaï. Rien de surfait ou d'excessif dans le visuel, le montage ou les décors. Le romantisme se trouve au cœur d'un théâtre désaffecté, dans une rose entreposée sur un pare-brise, dans un costume d'ours étouffant ou dans les pages d'un bouquin. Sanam Teri Kasam, c'est un romantisme qui parle à tous, un romantisme assez ordinaire qui n'a pas besoin de moyens pour s'exprimer. Après avoir vu Sanam Teri Kasam, je me suis empressée de lire les critiques indiennes afin de voir si elles partageaient mon enthousiasme. C'est alors que je me suis aperçue que le métrage avait reçu un accueil très froid en Inde, malgré des scores corrects au box-office. Considéré comme poussif, fade et répétitif, les médias semblent être passés à côté de l'intention de Sanam Teri Kasam. On peut effectivement souligner des similitudes avec des films, hindi comme occidentaux, tels que Love Story, Mili ou Ankhiyon Ke Jharokhon Se. Mais le fond de Sanam Teri Kasam, ce n'est pas sa trame. Celle-ci ne sert au final que de théâtre pour mettre en valeur ses protagonistes. Car Sanam Teri Kasam, c'est une façon pour ses réalisateurs de parler d'un amour qui dépasse le passé, les échecs et les classes sociales. C'est une manière de porter un message d'amour unificateur et entier. D'un amour qui transcende les différences et l'apparat.

Sanam Teri Kasam est aussi un véritable film musical.

Sa musique sert l'histoire et met en exergue les enjeux et tourments des protagonistes. La bande-originale de Himesh Reshammiya est non seulement réussie, mais surtout en total accord avec l'atmosphère du métrage. Ainsi, difficile de parler de la bande-son sans évoquer les séquences qu'elle illustre. Je vais donc éviter de dévoiler la trame de l'œuvre à travers ses chansons. Ce qu'il faut en tout cas retenir, c'est que les morceaux respectent les variations de tons dans le lien qui se tisse entre Inder et Saru, passant de chansons légères comme « Kheech Meri Photo » et « Ek Number » à des titres plus lancinants tels que « Tera Chehra » et « Bewajah ». L'album nous gratifie des voix singulières d'Arijit Singh, Ankit Tiwari ou encore Neeti Mohan.

En conclusion



Sanam Teri Kasam est l'un des plus beaux films romantiques de cette décennie à Bollywood, et sans nul doute le plus intéressant de 2016. Il prouve ainsi que les bons films ne se trouvent pas forcément chez Dharma ou Yash Raj, ni avec un Shahrukh Khan ou une Kareena Kapoor en tête d'affiche. Certaines scènes ne tarderont pas à devenir cultes, je ne peux donc que vous inciter à découvrir cette pépite que personne n'a vu venir. Au milieu des Bajirao Mastani, Kapoor and Sons et autres Dilwale, Sanam Teri Kasam a une saveur particulière, par sa sincérité et son humilité. Si vous souhaitez vivre une expérience cinématographique envoûtante, vous savez ce qu'il vous reste à faire : foncer vous procurer ce bijou dès que possible !



LA NOTE: 4/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?