Critique : Thattathin Marayathu (★★★★★)

samedi 1 juillet 2023
critique mollywood Thattathin Marayathu
— Cet article a été publié dans le numéro 7 de Bolly&Co, page 174.

L’Inde compte pas moins de 11 industries cinématographiques. Les plus prospères sont celles qui produisent des films en hindi (Bollywood), en tamoul (Kollywood) et en télougou (Tollywood). Mais ces industries productives ne sont pourtant pas les seules à proposer des œuvres de qualité. En effet, le cinéma malayalam est le plus souvent lauréat de National Awards (récompense ultime en matière de cinéma, qui s’applique à l’Inde entière toutes régions confondues) avec les industries bengali et marathi. Des acteurs au talent et à la renommée incontestables comme Mohanlal et Prithviraj ont fait leurs armes dans cette industrie, pour ensuite travailler en tamoul ou en hindi.

Mais pour les fans français, c’est une lutte quotidienne pour se procurer ces films indiens sous-titrés. Si les films de Bollywood restent disponibles dans des points de vente spécialisés, les œuvres dravidiennes sont bien plus rarement vendues, et il faut soit les commander sur des sites étrangers, soit se résoudre à les regarder sur Internet avec l’espoir d’y trouver des sous-titres en anglais.

Cela ampute donc l’envie à bon nombre d’amateurs français de découvrir les films de Rajinikanth, Chiranjeevi et Mohanlal, pour ceux qui ne sont pas anglophones. Et c’est bien dommage, car c’est le meilleur moyen de passer à côté de véritables pépites cinématographiques. Ce n’est pas pour rien que Bollywood enchaîne remake sur remake, entre Ghajini et Ready, en passant par Singham.

Les films dravidiens ont leurs propres codes, leurs propres références et leur propre identité. Et le cinéma du sud inspire même dans sa culture, il suffit de noter l’engouement autour du dernier film de Shahrukh Khan : Chennai Express, contextualisé au Tamil Nadu.

L’industrie de Mollywood héberge donc des acteurs au potentiel immense, des compositeurs talentueux et des cinéastes visionnaires. Parmi eux, il y a Vineeth Sreenivasan, qui réalise en 2012 l’une des romances les plus aériennes du cinéma indien : Thattathin Marayathu. Appréciée par les critiques, cette romance met en scène le jeune Nivin Pauly et la débutante Isha Talwar dans les rôles principaux.

Traduisible par « Sous le voile », Thattathin Marayathu narre l’histoire d’amour entre un hindou idéaliste et une musulmane désillusionnée...



Vinod (Nivin Pauly) est hindou. Aisha (Isha Talwar) est musulmane. Ils s’aiment mais ne le peuvent pas, conflit religieux oblige… Vous croyez avoir affaire à un remake de Veer-Zaara ou d’Ishaqzaade ? Foutaises ! Si la famille de Vinod est sous le charme de la jolie jeune femme, celle d’Aisha est formellement opposée au fait que leur fille n’épouse un homme d’une autre foi...

A la manière de Vinnaithaandi Varuvaayaa, Thattathin Marayathu raconte la lutte d’un romantique invétéré pour gagner le cœur de sa belle. Il y a d’ailleurs du Gautham Menon dans le style de Vineeth Sreenivasan, dans la photographie très vérace, sans enjolivure ou aseptisation, aussi bien dans les décors que dans les tenues, mais aussi dans l’illustration des personnages. Si les histoires d’amour entre jeunes de communautés différentes sont devenues monnaie courante au cinéma, c’est dans le traitement du sujet que le film puise sa singularité.

On peut allègrement déléguer une bonne partie du mérite à l’irrésistible Nivin Pauly.

Il a pour commencer le sourire le plus craquant de tout le sous-continent ! Mais surtout, il est franchement solaire dans le rôle de Vinod, hindou follement épris de cette fille qu’il ne peut aimer librement. Il est doux, patient. Il est tout content de pouvoir apposer un baiser sur le front de sa belle, de lui écrire des lettres aux messages codés et de l’admirer en train de jouer de la guitare. On aime ce personnage auquel Nivin donne vie avec aplomb mais nuance.

Isha Talwar campe Aisha, la dulcinée de Vinod. Elle fait ses débuts d’actrice avec Thattathin Marayathu, dans une langue qu’elle ne maîtrisait pas. Elle suivra des cours de diction pendant quatre mois afin d’intégrer correctement les subtilités du malayalam. Elle est en tout cas étincelante en Aisha, pieuse et réservée. La passivité certaine avec laquelle elle subit les événements de l'œuvre fait partie intégrante du caractère de son personnage. Cet aspect d’Aisha aurait d’ailleurs pu rebuter, mais il trouve ici tout son sens. L’alchimie qui la lie à Nivin Pauly est stupéfiante, ils remporteront d’ailleurs l’Asianet Film Award du Meilleur Couple à l’écran, en 2013.

Ce qui est particulièrement appréciable dans Thattathin Marayathu, c’est la beauté des images capturées par Vineeth Sreenivasan.

Le résultat est aérien, suranné, presque onirique. Pourtant, le film est parfaitement ancré dans le réel, entre un Vinod qui doit s’assurer un emploi pour subvenir aux besoins de sa future épouse, et le refus de la famille de cette dernière. Cet équilibre entre songe et réalité fait le charme de cette romance de qualité. Les dialogues de Vineeth Sreenivasan sont excellents, aussi bien les tirades romanesques de Vinod que ses échanges avec ses amis.

La musique de Shaan Rahman est magistrale. Elle est comparable à la qualité des travaux de son homonyme A.R. Rahman. L’album est d’une qualité inénarrable. La chanson « Anuraagathin Velayil » est le point d’orgue de la bande-originale, sublimée par la voix de Vineeth Sreenivasan lui-même. Le morceau titre est tout aussi qualitatif, à l’instar des chansons « Praananthe Naalangal », « Shyaamambaram », des deux versions de « Anuragam », de « Muthuchippi » et de l’intense « Namosthuthe ». Le travail impeccable de Shaan Rehman lui vaudra le South Indian International Movie Award de la Meilleure Bande-Originale en malayalam. Mais l’autre atout musical de Thattathin Marayathu, c’est sa bande-son de fond. Les morceaux qui servent d’accompagnement aux séquences sont enivrants, et l’on retient surtout la magnifique « O Sahiba » bien que d’autres scores soient eux aussi réussis.

En conclusion,



La musique, la prestation des comédiens, la photographie et la réalisation forment un mélange savoureux, et la préparation finale est un festival visuel, auditif mais surtout émotionnel. On aura souvent le cœur qui bat, la gorge serrée, la tête qui dodeline au rythme des chansons, les yeux qui brillent, les larmes qui tombent et le sourire jusqu’aux oreilles. Thattathin Marayathu est délicat et poétique. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus novateur en matière de cinéma, mais ce qu’il y a de plus envoûtant, sans aucun doute.

Alors effectivement, cela risque d’être très compliqué de trouver les sous-titres français de Thattathin Marayathu. Mais si vous voulez vivre une expérience cinématographique irrésistible, il s’agit du film idéal pour vous introduire à la magie toute particulière du cinéma malayalam. Le Kerala regorge de perles artistiques qu’il serait dommage d’occulter. Et Thattathin Marayathu en fait partie…

LA NOTE: 5/5
mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?