Critique : Leo (★★★☆☆)

mercredi 1 novembre 2023
leo thalapathy vijay
Il faut absolument que je vous parle de Leo, la dernière sortie signée Lokesh Kanagaraj. Et il faut que je vous en parle librement, sans retenue car il y a tellement de choses à dire sur ce film ! Alors en tout premier lieu, si vous n’avez toujours pas eu l’occasion de découvrir Leo, je vous encourage à aller au cinéma et à revenir ensuite à cette critique. Autrement, vous risquez de vous faire spoiler.

Maintenant, entrons dans le Lokesh Cinematic Universe…



Oui, Leo fait partie d’un univers précis, développé par son réalisateur avec le film Kaithi, sorti en 2019. Et bon sang, qu’est-ce que j’ai aimé ce film ! Les enjeux posés durant cette nuit obscure, à l’occasion de laquelle un ancien prisonnier doit aider la police à démanteler un cartel de drogue… Bref, les rares défauts ne m’ont en rien gâché cette folle expérience. On sentait chez Lokesh une véritable envie d’innover dans le domaine des séquences d’action, d’essayer des choses nouvelles et surtout, de faire purement kiffer ses spectateurs ! Toutefois, par manque de temps, je n’ai toujours pas vu Vikram, le deuxième film de l’univers. Mais en fait, le LCU, c’est un peu comme Marvel ! Chaque film parle d’un héros (en quelque sorte) et ensuite, on a hâte de découvrir tous ces mecs dans un même film. Ah oups, désolée : il y a des suites de prévu, mais aucun film avec les trois acteurs dedans (ou 4, si on compte Surya qui tiendra le personnage de Rolex et qui aura droit à un spin-off) ? Mais le but de créer un univers, c’est pas justement de pouvoir tout mélanger à un moment donné ? Bref, on verra…

Maintenant qu’on prend tout cela en considération, on sait donc que Leo va être essentiellement introductif. Qu’on va découvrir un nouveau personnage fondateur de cet univers, mais que nous n'aurons pas toutes les réponses à nos questions le concernant. Ainsi, Parthiban est un père de famille tout ce qu’il y a de plus ordinaire (ou pas, Monsieur gère un café et est spécialiste en secourisme animalier ?). Un jour, des malfrats s'introduisent dans son café et mettent en danger l’une de ses employées ainsi que sa fille… Face à l’urgence, le papa poule se transforme en véritable machine à tuer.

Pour celles et ceux qui ont vu A History of Violence de David Cronenberg, peu de choses vont vous surprendre.

En réalité, le film explique tout de suite à quel point l'œuvre de Cronenberg a été marquante pour le cinéaste, qui présente Leo comme un modeste hommage. Un jour, je me pencherai sérieusement sur la question de l’hommage et du remake non-officiel car pour moi, toute la base de Leo est similaire à celle du film de Cronenberg. Du gérant de café aux deux enfants, en passant par l’ami policier, par la manière dont il est retrouvé… Si vous ne l’avez pas vu, je vous conseille d’ailleurs de foncer. Dans le genre, c’est un métrage précurseur. Marquant. En soi, ça ne m’a pas gâché mon visionnage, mais ça ne m’a pas non plus permis d'être complètement surprise. Dès que j’ai été en mesure de reconnaître certaines scènes, j’ai compris ce qu’il allait se produire. Cependant, Lokesh explore les choses sous un angle différent, et essaie de proposer des pistes intéressantes. C’est un peu sa marque de fabrique, non ? Pour Kaithi, il aurait été influencé par Le convoi de la peur (1977) et Assaut (1976). Pour Vikram, il a ouvertement expliqué que c’était une suite spirituelle du film du même nom, sorti en 1986. Mais est-ce acceptable ? A-t-il les droits de ces films pour s’en inspirer aussi clairement ? Ou comme c’est un “hommage”, il est légalement tranquille ? Un débat que je nous laisse pour une prochaine fois.

Le véritable enjeu du métrage, c’est de savoir si Parthiban est Leo ou pas.

La première partie, la plus inspirée de Cronenberg (qui est elle-même basée sur une BD au passage), est plutôt maîtrisée. J’aime assez qu’on pose une morale tout de suite. En effet, juste avant la scène du café, Parthi soumet une histoire à ses enfants avec un dilemme moral. Tu as une arme, le criminel est devant toi, la police n’est pas là. Quelle est la meilleure décision ? Et est-ce que tuer est réellement le seul choix possible ? Cette conversation permet de mettre les choses au clair : en aucun cas Leo n’est un film qui promeut la violence gratuite. Il faut une situation extrême pour en arriver à faire des choses tout aussi extrêmes. Parthiban est clairement poussé à bout. Cet accident le met non seulement face au système judiciaire, mais aussi à une paranoïa grandissante. Et Vijay fait du très bon taff ! Il a tout du papa cool, sans prise de tête, qui essaye d’être juste et bon, mais qui voit son monde s’écrouler. Qui se découvre capable du pire pour sauver et protéger les siens. Mais il perd complètement ce propos dans la seconde partie. Car Leo, lui, n’a pas de limite. La musique méga-entrainante rend les actions à la fois jouissives et poussives. On retrouve les coups de poing de folie qui font planer l’adversaire à dix mètres, les encaissements faciles et les artifices en tout genre pour rendre tout ça fun. L'authenticité du point de départ s’évapore dans des combats longuets, et pas franchement crédibles.

Pourtant, le personnage de Parthiban est complexe, et surtout parfaitement porté par Vijay.

C’est l’élément central du film, et la raison pour laquelle j’ai tenu jusqu’au bout. Pour le reste des comédiens, ce n’était pas aussi évident. Sanjay Dutt est bon en méchant, ici père de Leo persuadé que Parthiban est bel et bien son fils. Mais Sanjay Dutt sans sa voix… J’ai rien contre le doublage (qui est correct), mais ça me perturbe et souvent, ça sonne faux. Gautham Vasudev Menon devrait se concentrer sur la réalisation, comme Anurag Kashyap et son apparition vraiment anecdotique. Ou encore Priya Anand qui n'apparaît pour aucune raison valable. Là où Sam, dans A History of Violence, est un flic attachant et inquiet pour le couple. Ici, on ajoute un garde forestier supplémentaire, ami de la famille, mais sans grand intérêt pour l’histoire. En revanche, les flics sont inutiles, grotesques, insultants… Pourquoi ? On perd tout de suite le côté petit village solidaire/reculé ou rien de grave ne se passe d’habitude. Arjun est superbe en Harold Das et George Maryan est de retour dans le rôle de Napoléon, mais n’est vraiment pas exploité. Madonna Sebastian était absolument divine, mais ça ne dure pas assez et on ne nous en dit pas assez sur elle ! Finalement, il n’y a de place que pour une seule et même personne : Parthiban/Leo, et donc Vijay.

Ma déception majeure s'appelle Sathya.

De son côté, Trisha est bloquée dans le rôle de la mère de famille apparemment stricte, mais sérieusement limitée. Elle est introduite dans l’histoire quand elle boude son mari pour avoir déchiré sa chemise (j’vous jure, je déconne pas) alors qu’il venait d’attraper une hyène sauvage. A sa place, j’aurais plutôt été inquiète pour mon mari, non ? Je pense que cette scène nous montre tout de suite que Sathya ne fera rien de plus qu’appeler Parthiban à l’aide, et gronder ses enfants. On nous précise qu’elle travaille, mais on ne la voit jamais au bureau. Elle se met à fouiner sur le passé de son mari, à lui mentir sous prétexte qu’elle a besoin de preuve. Mais elle justifie ses actions en disant que c’est pour les autres, pas pour elle. Je suis désolée, mais la dynamique mari-femme est complétement superficielle. Même la scène de confrontation, durant laquelle Parthi découvre que sa femme menait son enquête, manque de punch car le rôle est terriblement réduit. Pire, on dirait du chantage émotionnel de la part de Parthi qui a pourtant toutes les raisons de se sentir trahi, mais c’est si exagéré et ça se clôture de manière tellement simpliste… Qu’au final, on est en droit de se demander : qu’est-ce que ça apporte ? Pas grand-chose.

Et naturellement, quand je compare à Eddie dans A History of Violence, je suis cruellement déçue. Eddie est une mère protectrice, qui va jusqu’à sauver son mari de manière complètement inattendue. Elle est autant victime que son mari de ce qu’il se passe et surtout, elle n’est jamais passive. Consciente du danger, elle prend les choses en main. Les doutes qui planent sur son époux arrivent tôt, parce que c’est une femme pragmatique. Sathya n’est jamais présentée comme une femme aveuglée par ses sentiments (même si, dans mes souvenirs, c’est elle qui l’a demandé en mariage au bout de deux jours… ). Par conséquent, qu’elle ne commence à chercher la vérité qu’une fois menacée (et encore, il lui propose juste de révéler la vérité) par le père, me questionne fortement (surtout après le carnage au marché…).

Parthiban est-il réellement Leo Das ?

Je suis sortie de mon visionnage mitigée. Qu’est-ce qu’une hyène sauvage tachetée (qui ne vit qu’en Afrique subsaharienne - oui, je suis allée tapper ça sur Google) fait au milieu de l’Himachal Pradesh ? Ceci dit, chapeau pour les effets spéciaux, la bête était très chouette ! Ils n'ont pas fait le même effort pour l’accident de voiture du papy par les brigands… Mais du coup, comment se fait-il que Parthiban s’y connaisse autant en bêtes sauvages ? Être secouriste animalier, c’est un hobby ? Du bénévolat ? Ou juste un moyen de nous montrer ses capacités physiques ? Pardon, mais un secouriste, c’est pas un GI Joe ! Au fond, tout ça n’est pas dérangeant, parce que le but du film, c’est de nous faire douter ! Et jusqu’à la dernière minute, Parthi confirmera qu’il y a erreur sur la personne. Et pour le coup, j’aimais l’idée que la réalisation se détache de son inspiration à ce moment-là. Dans A History of Violence, les scènes d’action sont très rapides et choquantes, mais très vite on sent que Tom Stall, bien qu’il essaye de convaincre sa famille qu’il est l’homme qu’il est, est en réalité Joey Cusack. La confusion ne dure pas longtemps. Ici, Parthiban craque 5 minutes avant la fin. Il ricane comme un héros des années 1980 qu’il est bien Leo !

La scène finale déconstruit tout, comme le clash des documents. Tout peut être falsifié. Et c’est là que je trouve Lokesh intéressant. Parce qu’il incite à regarder la suite, il sait qu’on a des questions et qu’on veut des réponses ! Et il peut compter sur moi, même s’il y a des incohérences dans l’écriture qu’il va être difficile de justifier.

En soi, il y a deux possibilités.

En ce qui concerne ma théorie (et ce que j’aimerais, au fond), c’est une dissociation de la personnalité dû au trauma du café. Parthiban est Parthiban. Qu’Antony Das le confonde avec son fils peut être dû à la culpabilité (si on admet que l'histoire de Leo est vraie) et à la vieillesse. Avec les recherches faites sur Leo qui lui sont fournies, Parthiban a tous les éléments pour construire cette nouvelle personnalité. Cela explique donc qu’il n’ait aucune marque de balle sur le corps. Et qu’il s’acharne à ce point à faire comprendre qu’il y a erreur sur la personne. Cependant, il cache tout de même un passé… Ça serait pas mal, non ? Un vrai twist par rapport à A History of Violence.

Maintenant, je pense que Lokesh est plus terre-à-terre et que Parthiban est Leo, surtout compte tenu des dialogues finaux, du titre du film et de l’épilogue. Un père peut-il vraiment se tromper sur son fils ? Le prisonnier racontant l'histoire de Leo étant complètement ivre… Toute son histoire aurait pu être fausse. Leo pourrait être encore pire que ce que l’on pense… Après tout, qui irait dans la gueule du loup sans aide et juste avec quelques papiers pour récupérer son fils kidnappé ? Il savait parfaitement ce qu’il faisait. L’aigle ne confirme-t-il pas, d’ailleurs, qu’il s’agit en effet de Leo ? Les bêtes ne mentent pas, n’est-ce pas ?

Bref, on va attendre la suite.



Mais plus que d’avoir des réponses, j’en attends aussi plus niveau réalisation et histoire. On sent que les moyens sont là : la séquence musicale Naa Ready est ouf, le combat dans l’usine lors du flash-back est ultra chouette, la scène d’action sur la route aussi… Mais alors, pourquoi ai-je l’impression que dès qu’on sort de l’influence de A History of Violence, le film se perd et devient complètement inégal ? J’ai bien peur de la suite, en réalité, mais je serais là !

En tout cas, j’écoute “Badass” en boucle.
LA NOTE:3/5

mots par
Elodie Hamidovic
« A grandi avec le cinéma indien, mais ses parents viennent des pays de l'est. Cherchez l'erreur. »
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