Critique : Fighter (★★★☆☆)

samedi 3 février 2024
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Fighter, le nouveau film de Siddharth Anand (auquel on doit les récents succès de War et Pathaan) nous propose un nouveau film qui s'extrait de l'univers des espions de Yash Raj Films… Et la bande-annonce est claire : le métrage parlera de soldats de l'armée de l'air, un peu à la Top Gun ! Le casting, constitué en tête de gondole de Hrithik Roshan, Deepika Padukone et Anil Kapoor, est plus que prometteur. Pourtant, des inquiétudes émergent quant au caractère chauvin voire discriminant de l’œuvre, notamment dans son traitement du conflit indo-pakistanais. Hélas, ce n'est pas nouveau : le cinéma indien (en particulier hindi) raffole de la diabolisation de son voisin historique. On lui fait volontiers porter tous les maux du monde et toutes les mauvaises intentions. Ce discours, sans nuance et particulièrement dangereux, a pris de l'ampleur avec l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi, qui a ouvertement soutenu des œuvres de propagande comme Uri – The Surgical Strike (2019), Tanhaji – The Unsung Warrior (2020) ou encore The Kashmir Files (2022)…

Et dans un tel climat, Pathaan (2023) et War (2019), les deux précédents films d'action dirigés par Siddharth Anand, allaient volontiers à l'encontre de cette mouvance préoccupante, en illustrant des personnages musulmans et/ou pakistanais sincèrement bons et en faveur de la paix. De plus, Pathaan osait livrer un protagoniste à l'ascendance obscure, qui s'assimile par son nom à la communauté musulmane… Et dans un tel climat, il fallait oser !

C'est pourquoi, à l'annonce du projet Fighter, je suis d'abord plutôt confiante, notamment dans la bienveillance de son réalisateur. Je me dis que ça fait deux fois qu'il prouve qu'on peut livrer du divertissement qualitatif sans pour autant servir l'agenda politique du gouvernement… Alors pourquoi changerait-il de cap ?

Et pourtant, je suis ressortie de ma séance… partagée. Et surtout très emmerdée par ce que je venais de voir.

Car si le film prend ses précautions en nous livrant, en introduction, un long disclaimer selon lequel il se défend de stigmatiser qui que ce soit… Force est de constater que le résultat est tout de même bien moins clair dans son message. Si le patriotisme est ici évident (et plutôt cohérent au regard du genre dans lequel l’œuvre s'inscrit), j'ai toutefois beaucoup plus de mal à justifier l’ambiguïté du propos autour du conflit au Cachemire… Car si, à de multiples reprises, Fighter nous rappelle qu'il lutte contre le terrorisme et non contre une nation, d'autres séquences opposent à la fois verbalement et visuellement l'Inde au Pakistan. Et évidemment, cet antagonisme illustre, ô surprise, l'Inde comme la nation valeureuse et le Pakistan comme celle qui a fauté… Pffff.

Patty, incarné par Hrithik Roshan, est un héros infiniment cliché, mais surtout très superficiel dans son écriture. D'autant que la prestation de l'acteur, qui nous a pourtant habitué à une certaine excellence, est ici en demi-teinte. Dans la première partie, il ne paraît pas investi et livre un protagoniste à la fois torturé et trop sûr de lui… Pour au final, en devenir juste pleinement antipathique. Après l'entracte, Duggu renoue avec la sensibilité exacerbée qu'on lui connaît et nous permet enfin d'entrevoir une attendrissante douceur en ce héros… Hélas, j'ai tout de même le sentiment que cela arrivait un peu tard.

A contrario, Deepika Padukone adopte un jeu sobre, beaucoup moins dans la séduction que dans Pathaan… Et franchement, ça fait du bien ! La comédienne est clairement convaincante dans le rôle de Minni, et aurait d'ailleurs mérité davantage d'espace.

Car l'autre grief que j'ai contre Fighter, c'est la place qu'il donne à son intéressante héroïne. Car si Minni fait bien partie de l'équipe d'élite, ses scènes demeurent accessoires et au final, elle n'a pour fonction que de faire les yeux doux à Patty…

Concernant le caractère problématique de son message, le film pourrait se défendre en avançant la présence d'un personnage ouvertement musulman dans son équipe de valeureux soldats… Mais le rôle me donne surtout le sentiment d'être un 'token character', qui n'est là que pour permettre au film de se dédouaner d'adopter un discours concrètement clivant. Pour rappel, un 'token character' est une pratique consistant à faire un effort symbolique d'inclusion de minorités dans l'unique but d'échapper aux accusations de discrimination. Et c'est là où le bât blesse, selon moi.

Justement, les personnages de Basheer et Taj, incarnés respectivement par Akshay Oberoi et Karan Singh Grover, ont davantage de personnalité que Patty et en deviennent de facto infiniment plus attachants. Si l'on tient tout au long du métrage, c'est notamment parce qu'on se préoccupe de leur sort. Et les quelques séquences impactantes en termes d'émotion sont profondément liées à leur arc narratif. De son côté, Anil Kapoor est toujours très convaincant, toujours aussi charismatique… Bref, il arrive en terrain conquis et incarne un chef de bande plus que crédible.

Ceci étant dit, la révélation du métrage s'appelle Rishabh Sawhney, dont c'est manifestement le premier rôle au cinéma.

Dans la peau du cruel antagoniste, il dégage une présence folle, et exploite son étrange regard pour inspirer la peur et l'effroi. Le comédien met d'ailleurs son physique singulier au service de ce rôle qui aurait très bien pu devenir cliché, mais nous livre à la place l'un des méchants les plus intéressants du cinéma hindi contemporain. Du côté de la musique, composée par le duo Vishal-Sheykhar, les mélodies sont entraînantes mais s'intègrent au film de manière assez aléatoire, ce qui peut casser sa narration. Je vous recommande toutefois cette bande-originale qui s'écoute sans problème, notamment grâce au timbre de la merveilleuse Shilpa Rao, qui s'impose progressivement comme la voix chantée officielle de Deepika Padukone.

En conclusion



Je suis assez déçue par ce film à la narration brouillonne, aux retournements narratifs téléphonés et au héros esquissé. Il y a certes de l'ambition et des moyens techniques incontestables… Mais le résultat manque cruellement de style et de congruence. Loin de l'univers bien défini de War et Pathaan, Fighter patauge dans un mélange aqueux de patriotisme criard, d'amalgames dangereux et d'écriture paresseuse… Ce n'est pas une daube, mais on est bien loin de l'exigence d'un Top Gun !

LA NOTE:2,5/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?