Critique : Article 19(1)a (★★★★☆)
21 avril 2024
A l'occasion de la seconde journée du Festival des Cinémas Indiens de Toulouse était projeté le film malayalam Article 19(1)a, avec Nithya Menen et Vijay Sethupathi en têtes d'affiche. Si j'avais pour ma part déjà vu le film, il en restait toutefois le souvenir nébuleux d'un visionnage assez longuet, si bien qu'il m'était impossible de pondre le moindre écrit sur la base de ma mémoire défaillante.
Je me suis donc saisie de l'occasion pour revoir le métrage et, par la même occasion, pour lui donner une seconde chance… Peut-être étais-je passée à côté d'éléments clés du scénario ? Peut-être n'avais-je pas perçu le génie sous-jacent de la mise en scène ? D'autant que, comme je le dis souvent, voir un film en salles est une expérience à part entière, qui peut même altérer la perception du film que l'on regarde. J'en avais parlé pour le blockbuster tamoul Varisu (2023), puisqu'il y a effectivement fort à parier que je n'aurais pas passé un si bon moment si j'avais vu le film chez moi. En allait-il être de même pour Article 19(1)a ? Voici la réponse à cette question au suspense insoutenable, et bien plus encore…
Mais avant cela, rappelons le sujet du film ! Une jeune femme à l'existence banale (Nithya Menen) voit son destin bouleversé brutalement lorsqu'un écrivain militant (Vijay Sethupathi) lui confie le manuscrit de son roman inédit. Quand ce dernier est abattu, elle réalise la responsabilité qu'elle porte…
Le titre de son œuvre fait effectivement référence à un article de la Constitution Indienne portant sur le sujet. Nithya Menen y incarne une madame-tout-le-monde, à tel point qu'on ne lui connaît pas de nom. Ainsi, point de distinction religieuse ou castéiste. N'importe qui est susceptible de s'identifier à elle, à sa volonté initiale de mener une vie discrète et au dilemme éthique auquel elle se confronte. Car l'enjeu du film tourne autour de l'interrogation suivante : à quoi sommes-nous prêts à renoncer au nom de la vérité ? Lorsque l'héroïne réalise qu'elle a le pouvoir de faire parler cet auteur disparu, avec le risque d'être la cible de représailles, on la voit mûrir. Elle passe d'une personne sans personnalité apparente à une femme dont la conscience militante s'éveille, pour mieux s'apercevoir des failles de la société dans laquelle elle vit. Elle s'abreuve des travaux de l'auteur pour comprendre son combat et être en mesure de le porter à son tour à l'attention du plus grand nombre.
Jusqu'ici, rien d'étonnant quand on sait que le Kerala demeure l'un des berceaux du communisme depuis des décennies. C'est également l'un des derniers États indiens à avoir résisté à l'extrême droite de Narendra Modi. Le film semble ainsi se poser indirectement comme un donneur d'alertes contre les dérives communautaristes portées par le parti du BJP. Sans le désigner frontalement, Article 19(1)a se pose tout de même comme un film engagé contre l'actuel pouvoir, comme un constat amer d'une Inde plus divisée post-2014.
Le film fait également référence à l'assassinat de la journaliste rationaliste Gauri Lankesh, survenu en 2017 dans l’État du Karnataka. Indhu V.S prend le parti sans équivoque de nommer le personnage de Vijay Sethupathi Gauri Shankar, comme un hommage à peine voilé à la militante et à son combat contre l'extrémisme hindou.
Du côté du casting, Nithya Menen avait déjà eu l'occasion de prouver son immense talent dans des œuvres comme Ala Modalaindi (2011), Ustad Hotel (2012), O Kadhal Kanmani (2015) ou encore Awe (2018). Ici, elle persiste et signe en livrant une prestation impeccable en jeune fille timide, qui mue progressivement en femme responsable et assurée. La nuance étant son point fort, la comédienne insuffle à son personnage suffisamment d'intelligence émotionnelle et d'empathie pour nous la rendre profondément attachante, malgré le fait qu'on en sache si peu sur elle. Pour lui donner la réplique, Vijay Sethupathi campe un écrivain déterminé avec un bagout assez irrésistible, et ce malgré un temps à l'écran plus limité. De même pour Indrajith Sukumaran, habitué des seconds rôles qui vient apporter sa pierre à l'édifice en incarnant son rôle avec minutie.
On pourrait incomber cela à la fâcheuse tendance qu'ont de nombreux films malayalam contemporains à prendre (un peu trop) leur temps. Si cela semble faire partie de leur identité, il n'empêche que pour un spectateur non aguerri, ça peut être déstabilisant. Cependant, ce n'est pas uniquement pour cela que le métrage manque d'efficacité, selon moi. Je trouve en effet que l’œuvre d'Indhu V.S vacille dans sa structure et dans la trajectoire de son récit. On sent une maladresse narrative sûrement due à l'inexpérience de la réalisatrice, qui semble encore chercher son style. Si elle tente de nous proposer un métrage à la construction non linéaire, la mise en scène ne nous permet pas toujours de nous y retrouver, et certaines séquences manquent de lien les unes entre les autres.
Il y a bien plus de choses positives à dire que de déception concrète au sujet de Article 19(1)a, malgré son caractère assez lent. Car le métrage a l'audace de soulever des questionnements aussi douloureux que nécessaires autour de la liberté d'expression en Inde, et de son caractère hélas de plus en plus fragile. Si je regrette que l’œuvre ne soit pas plus cadencée, je salue profondément la démarche de son auteure, qui nous rappelle ici le pouvoir des mots contre l'oppression et l'injustice…
Je me suis donc saisie de l'occasion pour revoir le métrage et, par la même occasion, pour lui donner une seconde chance… Peut-être étais-je passée à côté d'éléments clés du scénario ? Peut-être n'avais-je pas perçu le génie sous-jacent de la mise en scène ? D'autant que, comme je le dis souvent, voir un film en salles est une expérience à part entière, qui peut même altérer la perception du film que l'on regarde. J'en avais parlé pour le blockbuster tamoul Varisu (2023), puisqu'il y a effectivement fort à parier que je n'aurais pas passé un si bon moment si j'avais vu le film chez moi. En allait-il être de même pour Article 19(1)a ? Voici la réponse à cette question au suspense insoutenable, et bien plus encore…
Mais avant cela, rappelons le sujet du film ! Une jeune femme à l'existence banale (Nithya Menen) voit son destin bouleversé brutalement lorsqu'un écrivain militant (Vijay Sethupathi) lui confie le manuscrit de son roman inédit. Quand ce dernier est abattu, elle réalise la responsabilité qu'elle porte…
Il s'agit du premier film de la réalisatrice Indhu V. S, qui livre ici un film courageux sur la question de la liberté d'expression.
Le titre de son œuvre fait effectivement référence à un article de la Constitution Indienne portant sur le sujet. Nithya Menen y incarne une madame-tout-le-monde, à tel point qu'on ne lui connaît pas de nom. Ainsi, point de distinction religieuse ou castéiste. N'importe qui est susceptible de s'identifier à elle, à sa volonté initiale de mener une vie discrète et au dilemme éthique auquel elle se confronte. Car l'enjeu du film tourne autour de l'interrogation suivante : à quoi sommes-nous prêts à renoncer au nom de la vérité ? Lorsque l'héroïne réalise qu'elle a le pouvoir de faire parler cet auteur disparu, avec le risque d'être la cible de représailles, on la voit mûrir. Elle passe d'une personne sans personnalité apparente à une femme dont la conscience militante s'éveille, pour mieux s'apercevoir des failles de la société dans laquelle elle vit. Elle s'abreuve des travaux de l'auteur pour comprendre son combat et être en mesure de le porter à son tour à l'attention du plus grand nombre.
Évidemment, on ne peut nier le sous-texte politique évident du métrage, qui s'inscrit clairement dans une opposition au gouvernement en place.
Jusqu'ici, rien d'étonnant quand on sait que le Kerala demeure l'un des berceaux du communisme depuis des décennies. C'est également l'un des derniers États indiens à avoir résisté à l'extrême droite de Narendra Modi. Le film semble ainsi se poser indirectement comme un donneur d'alertes contre les dérives communautaristes portées par le parti du BJP. Sans le désigner frontalement, Article 19(1)a se pose tout de même comme un film engagé contre l'actuel pouvoir, comme un constat amer d'une Inde plus divisée post-2014.
Le film fait également référence à l'assassinat de la journaliste rationaliste Gauri Lankesh, survenu en 2017 dans l’État du Karnataka. Indhu V.S prend le parti sans équivoque de nommer le personnage de Vijay Sethupathi Gauri Shankar, comme un hommage à peine voilé à la militante et à son combat contre l'extrémisme hindou.
Du côté du casting, Nithya Menen avait déjà eu l'occasion de prouver son immense talent dans des œuvres comme Ala Modalaindi (2011), Ustad Hotel (2012), O Kadhal Kanmani (2015) ou encore Awe (2018). Ici, elle persiste et signe en livrant une prestation impeccable en jeune fille timide, qui mue progressivement en femme responsable et assurée. La nuance étant son point fort, la comédienne insuffle à son personnage suffisamment d'intelligence émotionnelle et d'empathie pour nous la rendre profondément attachante, malgré le fait qu'on en sache si peu sur elle. Pour lui donner la réplique, Vijay Sethupathi campe un écrivain déterminé avec un bagout assez irrésistible, et ce malgré un temps à l'écran plus limité. De même pour Indrajith Sukumaran, habitué des seconds rôles qui vient apporter sa pierre à l'édifice en incarnant son rôle avec minutie.
Toutefois, Article 19(1)a souffre de quelques défauts, le premier étant indubitablement son problème de rythme.
On pourrait incomber cela à la fâcheuse tendance qu'ont de nombreux films malayalam contemporains à prendre (un peu trop) leur temps. Si cela semble faire partie de leur identité, il n'empêche que pour un spectateur non aguerri, ça peut être déstabilisant. Cependant, ce n'est pas uniquement pour cela que le métrage manque d'efficacité, selon moi. Je trouve en effet que l’œuvre d'Indhu V.S vacille dans sa structure et dans la trajectoire de son récit. On sent une maladresse narrative sûrement due à l'inexpérience de la réalisatrice, qui semble encore chercher son style. Si elle tente de nous proposer un métrage à la construction non linéaire, la mise en scène ne nous permet pas toujours de nous y retrouver, et certaines séquences manquent de lien les unes entre les autres.
En conclusion
Il y a bien plus de choses positives à dire que de déception concrète au sujet de Article 19(1)a, malgré son caractère assez lent. Car le métrage a l'audace de soulever des questionnements aussi douloureux que nécessaires autour de la liberté d'expression en Inde, et de son caractère hélas de plus en plus fragile. Si je regrette que l’œuvre ne soit pas plus cadencée, je salue profondément la démarche de son auteure, qui nous rappelle ici le pouvoir des mots contre l'oppression et l'injustice…
LA NOTE: 3,5/5