Critique : Kayo Kayo Colour? (★★★★★)

dimanche 21 avril 2024
Kayo Kayo Colour critique Cinéma Inde
Kayo Kayo Colour?, c'est le récit de vie d'une petite famille musulmane de la classe ouvrière d'Ahmedabad, dans le cœur du Gujarat… Mais encore, me direz-vous ? Lorsque je demande davantage d'information concernant le métrage du cinéaste Shahrukhkhan Chavada (qui a effectivement été prénommé après la superstar de Bollywood Shahrukh Khan), on me présente l’œuvre comme un film en noir et blanc qui ne raconte pas grand-chose, si ce n'est le quotidien de membres de la communauté musulmane gujarati.

Bref, vous l'aurez sûrement compris, j'avais un peu peur de m'ennuyer. La programmatrice du festival, Vanessa Bianchi, croit toutefois grandement en ce film, et m'invite d'ailleurs à me plonger dans l'interview qu'elle a faite avec le réalisateur et la productrice, Wafa Reffai, pour saisir un peu plus leur démarche artistique. Comme je suis bonne élève, je m'exécute. Et après le visionnage, je dois avouer qu'elle avait raison !

Puisqu'effectivement, on est loin de l’œuvre contemplative assez vide de sens à laquelle je m'attendais bêtement.

Le film possède en son sein une intelligence remarquable, et une bienveillance envers ses personnages que j'ai personnellement rarement vu sur grand écran. Car effectivement, la volonté de Shahrukhkhan et Wafa est très claire : déconstruire les représentations réductrices voire problématiques des musulmans dans le cinéma indien mainstream. Point de terroriste ou de femme battue, on voit ici une communauté musulmane dans sa quotidienneté, dans ses petits riens qui font l'existence.

Le métrage semble d'ailleurs porter deux prismes en son sein : celui fataliste des adultes (avec énormément de huis-clos et de plans fixes) et celui empli de candeur et d'optimisme des enfants (dont de nombreuses séquences sont tournées en extérieur, avec une caméra en mouvement permanent). Ces derniers sont également porteurs d'un regard plutôt sagace sur le monde qui les entoure, que ce soit dans leurs attitudes de reproduction des adultes que dans les jeux de mimétismes qu'ils instaurent entre eux.

Le parti pris du noir et blanc, qui peut sembler surprenant de prime abord, illustre de nouveau la volonté de sincérité de son cinéaste.

Pour une œuvre dont le titre nous interroge sur les couleurs, on doit entrevoir ces couleurs par le biais de nos héros. C'est donc une confiance aveugle que le spectateur doit vouer au récit, que ce soit lorsqu'une enfant décrit une tomate verte ou quand plusieurs d'entre eux se livrent à un jeu où il faut trouver un objet correspondant à la couleur demandée. On investit la voix de l'enfant comme celle de la vérité mais aussi comme celle qui, fondamentalement, peut donner de l'espoir à l'humanité. Dans un cinéma de plus en plus normatif, où tout doit être montré pour avoir de la pertinence, le métrage de Shahrukhkhan Chavada s'émancipe des codes et se libère des conventions pour nous livrer un petit bijou d'humanisme et de subtilité. Cette démarche minimaliste nous invite ainsi à nous attarder sur l'essentiel, sur ce que disent les personnages, sur ce qu'ils vivent et non sur la manière dont ils pourraient être mis en scène.

Le cinéaste n'a pas peur de remuer le spectateur dans ses habitudes et de s'affranchir de certains gimmicks inhérents au récit de fiction.

Ainsi, sa caméra, qui flirte régulièrement avec le style documentaire, ne craint guère de briser le quatrième mur pour entrer en interaction avec ses protagonistes, tous incarnés par des acteurs non professionnels. Ces derniers résidant tous dans le quartier de Kalupur, où se déroule l'action, cela donne lieu à des prestations très naturelles, aussi bien de la part des adultes que des enfants.

S'il n'y a pas là la volonté revendiquée de proposer un film politique mais plutôt de raconter la vie telle qu'elle est, plusieurs questions sociétales et historiques sont toutefois suggérées. Des conséquences des émeutes gujarati de 2002 à la démonétisation de 2016, on découvre ce qui a mené cette communauté à se constituer dans ce ghetto, ce qui a pu plonger certains et maintenir d'autres dans des conditions de vie plus que sommaires. Et tout cela nous est montré avec une finesse impressionnante. Au détour d'une conversation, à travers une réplique calée entre d'autres, on comprend. On comprend parce que ces gens ne sont pas des héros de cinéma, mais des humains proches de nous et de nos considérations.

En conclusion



Kayo Kayo Colour? est le récit d'une tranche de vie pur et bouleversant, porté par un réalisateur en phase avec son identité musulmane malgré un contexte sociétal empreint à une islamophobie de plus en plus décomplexée, notamment au cinéma hindi populaire. Shahrukhkhan Chavada et Wafa Reffai nous livrent effectivement un métrage humaniste qui, bien qu'immersif, demeure profondément respectueux de ses personnages. Bref, ce qui est certain, c'est que vous ne reverrez pas un film pareil de sitôt. Et c'est bien dommage…
LA NOTE: 4,5/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?