Critique de Heeramandi - Les Diamants de la Cour (★★★★☆)

mercredi 1 mai 2024
Critique série Heeramandi netflix cinéma indien
Ça y est ! Heeramandi - Les Diamants de la Cour est sorti sur Netflix le 1er mai 2024. Réalisée par le maître Sanjay Leela Bhansali, cette mini-série en 8 épisodes était attendue de très longue date, notamment par les fans du cinéaste, qui semblait s’y réconcilier avec le style baroque et opulent de ses films d’époque. Il y retrouve d’abord l’actrice Manisha Koirala, qu’il avait dirigée pour les séquences musicales de 1942 - A Love Story (1994) et pour Khamoshi - The Musical (1996). Mais Sanjay y collabore également de nouveau avec Richa Chadda et Aditi Rao Hydari, qui figuraient respectivement aux castings de Goliyon Ki Raasleela - Ram Leela (2013) et Padmaavat (2018).

Il était donc impensable pour moi de ne pas me ruer sur la série, qui a en plus le bon goût de sortir pour la fête du travail ! Jour férié oblige, je me suis réveillée à 9h et ai gobé tous les épisodes en une journée, cela dans le but de vous livrer cet écrit.

Et comme il est absolument hors de question de vous gâcher le plaisir de la découverte, cette critique ne contiendra aucun spoiler…



Une jeune courtisane vendue par sa tenancière est de retour à Heeramandi, un célèbre bordel de Lahore, pour se venger de la femme qui l’a sacrifiée… Ce pitch est certes un peu faible, mais je ne vous en dirai pas plus délibérément. Car les enjeux de Heeramandi sont multiples et méritent que vous vous y attardiez autour d’un visionnage marathon !

Justement, le travail visuel de Sanjay Leela Bhansali, aussi bien dans la lumière, la texture de l’image que dans l’utilisation de la caméra, est juste fascinant.

Le cinéaste a ce don pour créer des fresques époustouflantes et abouties. Heeramandi est avant tout une claque visuelle, qui confirme le statut de maître d'œuvre de son cinéaste. Car chaque scène a un sens et contribue à la fois à étoffer la psychologie de chaque personnage et à faire avancer cette histoire de vengeance, de rébellion et d’égos.

Du côté de la distribution, Sanjay Leela Bhansali nous a vendu du rêve en castant une équipe féminine de choc ! Tout d’abord, la grande Manisha Koirala campe Mallikajaan, une tenancière de bordel que l’existence a brisé, si bien qu’elle en devient cruelle et terrifiante. Elle est le miroir de son bourreau, déterminée à garder le pouvoir, quoi qu’il en coûte. Et à titre personnel, elle m’a donné des frissons ! La star de télévision Sanjeeda Shaikh, que l’on a vu en début d’année dans le bide Fighter (2024), brille dans un rôle torturé de courtisane délaissée, en quête destructrice de reconnaissance. L’occasion pour elle de prouver au monde à quel point elle aurait mérité une meilleure carrière... La jeune Pratibha Ranta, révélée par l’excellent Laapataa Ladies (2024), tient quant à elle un petit rôle dans la série et donne à voir une personnage séducteur et intéressé auquel elle rend justice sans fausse note.

Richa Chadda hérite hélas d’un rôle au potentiel énorme, mais qui n’a guère le temps d’être exploité.

Toutefois, elle incarne une jeune femme dans le déni avec une force remarquable. Il y a clairement du Meena Kumari dans sa prestation, et on ne regrette qu’une chose : que son rôle ne soit pas plus important. A contrario, le personnage de Bibbojaan, tenu par la superbe Aditi Rao Hydari, se révèle au fil des épisodes. D’abord beauté évanescente, elle mue en stratège essentielle à la résistance contre l'oppresseur britannique. Car le sort des courtisanes, prisonnières de leur bordel et de leur statut, devient allégorique en illustrant la lutte du peuple indien pour sa liberté. C’est également un plaisir de retrouver les comédiennes expérimentées Jayathi Bhatia et Farida Jalal, impeccables dans des rôles de second plan.

Mais la star du programme s’appelle Sonakshi Sinha, qui incarne une Fareedan féroce, revancharde et terriblement charismatique.

La comédienne prouve ici à quel point elle a été sous-valorisée par l’industrie hindi tant elle irradie une verve communicative. D’ailleurs, le jeu de miroir entre Manisha et elle est un régal à découvrir tant elles se lancent dans des joutes verbales et autres attaques passives-agressives savoureuses pour le spectateur. Sharmin Segal, la nièce du réalisateur qui hérite ici du rôle le plus conventionnel, est la moins convaincante de la troupe. Si on est loin d’une prestation fondamentalement catastrophique à la Sara Ali Khan, la comédienne ne donne pas beaucoup de corps à son personnage et affiche un jeu assez superficiel. Elle incarne une Alamzed digne d’une princesse Disney, sans rugosité ni nuance. Et face à ses implacables partenaires, la jeune comédienne ne fait pas le poids.

Si le casting masculin est dense (Adhyayan Suman, son père Shekhar Suman, Indresh Malik…), il fait vraiment office de faire-valoir pour ses co-stars féminines. Fardeen Khan marque d’ailleurs son grand retour après 14 ans d’absence dans un rôle tertiaire. Et si c’est effectivement très plaisant de le retrouver, il n’a hélas pas l’opportunité d’y prouver sa valeur. Dans le lot, seuls deux comédiens se démarquent. Tout d’abord Taaha Shah, qui bouleverse en incarnant un résistant amoureux, aux prises à un dilemme interne entre ses engagements et l’amour qu’il porte à Alamzed. Mais surtout, impossible de ne pas être saisi par l’interprétation de Jason Shah, qui donne vie à l’impitoyable flic Cartwright, démontrant à son tour qu’il vaut bien plus que sa participation au télécrochet Bigg Boss (2016).

La musique, composée par Sanjay Leela Bhansali lui-même, est à la hauteur de sa réputation.

Le cinéaste et compositeur ne se gène pas pour rendre un hommage évident à des films comme Mughal-E-Azam (1960) et Pakeezah (1972) dans sa mise en scène comme dans ses mélodies. Les tableaux musicaux sont effectivement sublimes, mais j’ai personnellement eu un coup de cœur pour “Tilasmi Bahein” qui sort de l’iconographie habituelle du réalisateur, donnant à voir une Fareedan déchaînée et imbue d’elle-même. Toutefois, je ne peux que vous recommander la totalité de l’album tant il est truffé de pépites…

En conclusion



J’ai été enchantée par Heeramandi du début à la fin. Si je regrette le sous-texte patriote un peu facile de sa conclusion, je ne peux être indifférente au boulot dantesque qui a été fait pour nous livrer une série ambitieuse et approfondie. Une version doublée en français est d’ailleurs disponible sur Netflix pour les plus réfractaires, alors vous n’avez plus la moindre excuse pour passer à côté de cette expérience vivifiante !
LA NOTE: 4/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?