Critique de All We Imagine as Light (★★★★☆)
24 mai 2024
All We Imagine as Light est le premier film indien depuis 30 ans à être en compétition dans la sélection officielle du Festival de Cannes. Sa réalisatrice, Payal Kapadia, a déjà brillé dans ses propositions documentaires par le passé. Et si All We Imagine as Light est son premier essai dans l’exercice de la fiction, il est bon de rappeler que la cinéaste fait aujourd’hui son troisième festival de Cannes après que ses documentaires, Afternoon Clouds et Toute une nuit sans savoir, aient été présentés en 2017 et en 2021.
De Shuchi Talati à Sandhya Suri, Cannes aura mis à l’honneur les cinéastes indiennes plus que jamais. Et All We Imagine As Light n’y fait pas exception et constitue un portrait de femmes sensible et distillé.
Dès les premiers plans, elle illustre un Mumbai nocturne bruyant, écrasant et au sein duquel il est difficile de se faire une place. La nuit est d’ailleurs un personnage à part entière du film, puisque c’est dans l’obscurité que les protagonistes naviguent, titubent dans l’espoir de trouver un peu de lumière. La caméra de Payal, entre réalisme et lyrisme, nous cueille par sa capacité à instaurer de multiples atmosphères. Dans la seconde partie du métrage, lorsque le trio de femmes sort de Mumbai pour un village en bord de mer, l’image est plus éclairée, plus aérée. Les héroïnes ne sont plus prisonnières de la nuit et la manière dont elles sont filmées est donc totalement différente. On peut donc avoir le sentiment légitime de voir une toute autre œuvre tant cette rupture dans le style est assumée. Mais c’est exactement ce qui, selon moi, donne tant de force au propos de All We Imagine As Light, qui porte décidément très bien son titre.
Et tout d’abord, quel plaisir d’entendre du malayalam au Grand Théâtre Lumière ! L'œuvre parle de déracinement, de rupture culturelle et langagière au sein d’un pays où tant de communautés existent. All We Imagine as Light parle aussi de la nature éphémère du bien et du statut. Prabha est une épouse sans mari, Parvati perd ce qui a été sa maison pendant 22 ans, tandis que Anu investit une relation passionnelle qui semble toutefois sans avenir. Il est cependant dommage que les récits de ces femmes soient profondément liés aux hommes de leur vie. Parvati perd sa maison suite à l'ingérence de son défunt époux. Prabha fait face à une solitude assourdissante à cause de son mari absent. Et Anu se découvre et se révèle uniquement au travers de sa relation avec son petit-ami. Si la vision de Payal les met superbement en valeur, j’aurais aimé que l’écriture en fasse autant.
Sa solitude est palpable, criante à travers le jeu subtil de la comédienne. Son regard fait une grande partie du travail et explore les multiples tourments de Prabha avec une sagacité remarquable. La délicieuse Divya Prabha est quant à elle Anu, la colocataire romantique et rebelle de Prabha. Elle insuffle à ce personnage la verve et la détermination qui manquent à son aînée, mettant de facto en lumière le jeu de miroir qui s’opère entre elles. Prabha accepte le statu quo avec fatalité, tandis que Anu ne cesse jamais de croire en de meilleurs lendemains. Enfin, la formidable Chhaya Kadam, qui brillait également cette année dans Laapataa Ladies ou dans un autre film présenté sur la Croisette - en l’occurrence Sister Midnight, hérite hélas d’un personnage intéressant mais sous-employé. Elle donne toutefois vie avec force à Parvati, une veuve chassée injustement de chez elle par d’impitoyables promoteurs immobiliers. La complicité qui lie les trois comédiennes consolide le propos de l'œuvre et rend leurs personnages d’autant plus attachants.
All We Imagine As Light se démarque par son identité visuelle hybride, son propos résolument féministe et sa palette de personnages féminins nuancés et poignants. Et si je trouve le résultat encore sage au regard des indubitables capacités de sa réalisatrice, je lui souhaite également de remporter la Palme d’Or tant son accomplissement demeure historique.
D’ailleurs, cette édition du festival aura été marquée par de nombreux récits féministes, portés pour la plupart par des réalisatrices.
De Shuchi Talati à Sandhya Suri, Cannes aura mis à l’honneur les cinéastes indiennes plus que jamais. Et All We Imagine As Light n’y fait pas exception et constitue un portrait de femmes sensible et distillé.
Le travail de mise en scène de Payal est évidemment teinté de sa grande histoire avec le format documentaire.
Dès les premiers plans, elle illustre un Mumbai nocturne bruyant, écrasant et au sein duquel il est difficile de se faire une place. La nuit est d’ailleurs un personnage à part entière du film, puisque c’est dans l’obscurité que les protagonistes naviguent, titubent dans l’espoir de trouver un peu de lumière. La caméra de Payal, entre réalisme et lyrisme, nous cueille par sa capacité à instaurer de multiples atmosphères. Dans la seconde partie du métrage, lorsque le trio de femmes sort de Mumbai pour un village en bord de mer, l’image est plus éclairée, plus aérée. Les héroïnes ne sont plus prisonnières de la nuit et la manière dont elles sont filmées est donc totalement différente. On peut donc avoir le sentiment légitime de voir une toute autre œuvre tant cette rupture dans le style est assumée. Mais c’est exactement ce qui, selon moi, donne tant de force au propos de All We Imagine As Light, qui porte décidément très bien son titre.
Le film prend également le parti d’évoquer le récit de deux femme kéralaises venues à Mumbai pour le travail.
Et tout d’abord, quel plaisir d’entendre du malayalam au Grand Théâtre Lumière ! L'œuvre parle de déracinement, de rupture culturelle et langagière au sein d’un pays où tant de communautés existent. All We Imagine as Light parle aussi de la nature éphémère du bien et du statut. Prabha est une épouse sans mari, Parvati perd ce qui a été sa maison pendant 22 ans, tandis que Anu investit une relation passionnelle qui semble toutefois sans avenir. Il est cependant dommage que les récits de ces femmes soient profondément liés aux hommes de leur vie. Parvati perd sa maison suite à l'ingérence de son défunt époux. Prabha fait face à une solitude assourdissante à cause de son mari absent. Et Anu se découvre et se révèle uniquement au travers de sa relation avec son petit-ami. Si la vision de Payal les met superbement en valeur, j’aurais aimé que l’écriture en fasse autant.
Kani Kusruti - impériale - incarne Prabha, une infirmière esseulée dont le mari vit en Allemagne.
Sa solitude est palpable, criante à travers le jeu subtil de la comédienne. Son regard fait une grande partie du travail et explore les multiples tourments de Prabha avec une sagacité remarquable. La délicieuse Divya Prabha est quant à elle Anu, la colocataire romantique et rebelle de Prabha. Elle insuffle à ce personnage la verve et la détermination qui manquent à son aînée, mettant de facto en lumière le jeu de miroir qui s’opère entre elles. Prabha accepte le statu quo avec fatalité, tandis que Anu ne cesse jamais de croire en de meilleurs lendemains. Enfin, la formidable Chhaya Kadam, qui brillait également cette année dans Laapataa Ladies ou dans un autre film présenté sur la Croisette - en l’occurrence Sister Midnight, hérite hélas d’un personnage intéressant mais sous-employé. Elle donne toutefois vie avec force à Parvati, une veuve chassée injustement de chez elle par d’impitoyables promoteurs immobiliers. La complicité qui lie les trois comédiennes consolide le propos de l'œuvre et rend leurs personnages d’autant plus attachants.
En conclusion
All We Imagine As Light se démarque par son identité visuelle hybride, son propos résolument féministe et sa palette de personnages féminins nuancés et poignants. Et si je trouve le résultat encore sage au regard des indubitables capacités de sa réalisatrice, je lui souhaite également de remporter la Palme d’Or tant son accomplissement demeure historique.
LA NOTE: 4/5