Critique de Manthan (★★★★★)
18 mai 2024
C’est délicat d’écrire la critique d’un film sorti en 1976… Qui plus est quand on le sait culte. Toutefois, j’étais surtout enthousiaste à la perspective de découvrir cette œuvre non seulement sur grand écran, mais surtout dans sa version remasterisée en présence de l’un des acteurs du film : Naseeruddin Shah. Au moment de la sortie de Manthan, il n’était qu’un acteur débutant. Aujourd’hui, c’est l’un des plus grands comédiens de tout le pays, ayant inspiré de nombreuses générations d’acteurs après lui. Il est par ailleurs bon de noter qu’il s’agit de sa première venue à cannes, malgré l’immense carrière du bonhomme… Étonnant quand on sait que Tiger Shroff y est venu avant lui.
Bref, vous n’êtes évidemment pas sans savoir qu’en l’absence d’accréditation, l’accès aux séances de films est évidemment bien plus laborieuse pour moi. Et que mise à part la Quinzaine des Cinéastes, pour laquelle nous avons été généreusement accréditées, trouver des places pour aller en projection est assez compliqué. On peut alors soit démarcher directement les équipes des films et négocier. Soit faire marcher notre réseau. Mais c’était sans compter nos chers abonnés qui nous ont, à de multiples reprises, offert des places et des invitations pour des métrages qui nous intéressaient… Alors sincèrement, un immense merci à eux pour leur soutien, qui sera venu enrichir cette édition, un peu particulière, du Festival de Cannes.
Je suis évidemment toute tourneboulée à la vue de Naseeruddin, que j’admire tant. Après plusieurs discours émouvants sur le contexte du tournage, la restauration laborieuse du film et l’héritage de la regrettée Smita Patil, la bobine est lancée…
Réalisé par l’immense Shyam Benegal, maître d’oeuvre de classiques comme Nishant (1975), Bhumika (1977) ou encore Zubeidaa (2001), Manthan est le premier film indien entièrement financé en crowdfunding, puisque 500 000 agriculteurs du Gujarat ont chacun contribué, à hauteur de 2 roupies chacun, au budget de l’oeuvre. Et ce n’est pas pour rien puisque le film parle de la création d’une coopérative laitière, s'inscrivant dans le contexte de la révolution blanche de 1970.
Et je le regrette vivement dans la mesure où ce qu’il dénonce demeure cruellement d’actualité, notamment lorsqu’il évoque les discriminations liées au système de castes. Le métrage se pose comme une critique sociale et humaniste sans jamais sombrer dans le misérabilisme ni dans l’utopie mielleuse. Sans apporter de conclusion fermée, l'œuvre semble surtout porter un message à son public, lui indiquant que le changement peut et doit venir d’en bas.
La mise en scène de Shyam Benegal, malgré des moyens limités et des aspects qui ont tout de même vieillis, demeure d’une remarquable sagacité même aujourd’hui. Dans plusieurs de ses partis pris, Manthan est vraiment contemporain et impressionne dans sa compréhension d’un langage filmique bien plus libre et naturaliste que ce à quoi le cinéma hindi de l’époque était habitué.
Le jeune Anant Nag, ici dans un rôle secondaire, est juste impeccable. L’immense Amrish Puri incarne un homme véreux aussi détestable que manipulateur. Kulbhushan Kharbanda est quant à lui un maire imbu de lui-même auquel on croit volontiers. De son côté, Girish Karnad impulse avec verve l’élan nécessaire au changement d’un injuste ordre établi. La défunte Smita Patil prouve à quel point elle était unique en interprétant une laitière brisée pleine de nuances. Enfin, Naseeruddin Shah en rebelle opprimé crève l’écran et confirme le statut de prodige qu’on lui prêtait à l’époque.
En 2024, il demeure d’une admirable pertinence aussi bien dans son approche que dans sa directeur d’acteurs. C’est un bijou de film indépendant et engagé, qui a de toute évidence ouvert la voie à nombre d’autres œuvres du genre.
En conclusion
J’ai été touchée par la force de Manthan, par l’écriture fine de son récit et de ses personnages. J’ai aimé la bienveillance infinie de Shyam Benegal pour ses protagonistes mais aussi son positionnement fort et assumé face à l’oppresseur, qu’il ne manque pas de tourner en ridicule en le déconstruisant avec brio. Naseeruddin Shah a lâché quelques larmes face aux chaleureux applaudissements du public, et je partage son émotion. Quel honneur d’avoir pu rencontrer ce grand monsieur et de l’avoir vu éclore sur grand écran.
Bref, vous n’êtes évidemment pas sans savoir qu’en l’absence d’accréditation, l’accès aux séances de films est évidemment bien plus laborieuse pour moi. Et que mise à part la Quinzaine des Cinéastes, pour laquelle nous avons été généreusement accréditées, trouver des places pour aller en projection est assez compliqué. On peut alors soit démarcher directement les équipes des films et négocier. Soit faire marcher notre réseau. Mais c’était sans compter nos chers abonnés qui nous ont, à de multiples reprises, offert des places et des invitations pour des métrages qui nous intéressaient… Alors sincèrement, un immense merci à eux pour leur soutien, qui sera venu enrichir cette édition, un peu particulière, du Festival de Cannes.
C’est donc grâce à l’un d’entre eux, en l’occurrence Camille, que j’ai le plaisir de voir Manthan dans de telles conditions.
Je suis évidemment toute tourneboulée à la vue de Naseeruddin, que j’admire tant. Après plusieurs discours émouvants sur le contexte du tournage, la restauration laborieuse du film et l’héritage de la regrettée Smita Patil, la bobine est lancée…
Réalisé par l’immense Shyam Benegal, maître d’oeuvre de classiques comme Nishant (1975), Bhumika (1977) ou encore Zubeidaa (2001), Manthan est le premier film indien entièrement financé en crowdfunding, puisque 500 000 agriculteurs du Gujarat ont chacun contribué, à hauteur de 2 roupies chacun, au budget de l’oeuvre. Et ce n’est pas pour rien puisque le film parle de la création d’une coopérative laitière, s'inscrivant dans le contexte de la révolution blanche de 1970.
Dans son propos, Manthan n’a hélas pas pris une ride.
Et je le regrette vivement dans la mesure où ce qu’il dénonce demeure cruellement d’actualité, notamment lorsqu’il évoque les discriminations liées au système de castes. Le métrage se pose comme une critique sociale et humaniste sans jamais sombrer dans le misérabilisme ni dans l’utopie mielleuse. Sans apporter de conclusion fermée, l'œuvre semble surtout porter un message à son public, lui indiquant que le changement peut et doit venir d’en bas.
La mise en scène de Shyam Benegal, malgré des moyens limités et des aspects qui ont tout de même vieillis, demeure d’une remarquable sagacité même aujourd’hui. Dans plusieurs de ses partis pris, Manthan est vraiment contemporain et impressionne dans sa compréhension d’un langage filmique bien plus libre et naturaliste que ce à quoi le cinéma hindi de l’époque était habitué.
La distribution est absolument prodigieuse, et est composée de grands acteurs en devenir.
Le jeune Anant Nag, ici dans un rôle secondaire, est juste impeccable. L’immense Amrish Puri incarne un homme véreux aussi détestable que manipulateur. Kulbhushan Kharbanda est quant à lui un maire imbu de lui-même auquel on croit volontiers. De son côté, Girish Karnad impulse avec verve l’élan nécessaire au changement d’un injuste ordre établi. La défunte Smita Patil prouve à quel point elle était unique en interprétant une laitière brisée pleine de nuances. Enfin, Naseeruddin Shah en rebelle opprimé crève l’écran et confirme le statut de prodige qu’on lui prêtait à l’époque.
A son époque, Manthan a remporté deux National Awards, dont celui du Meilleur Film en langue hindi.
En 2024, il demeure d’une admirable pertinence aussi bien dans son approche que dans sa directeur d’acteurs. C’est un bijou de film indépendant et engagé, qui a de toute évidence ouvert la voie à nombre d’autres œuvres du genre.
En conclusion
J’ai été touchée par la force de Manthan, par l’écriture fine de son récit et de ses personnages. J’ai aimé la bienveillance infinie de Shyam Benegal pour ses protagonistes mais aussi son positionnement fort et assumé face à l’oppresseur, qu’il ne manque pas de tourner en ridicule en le déconstruisant avec brio. Naseeruddin Shah a lâché quelques larmes face aux chaleureux applaudissements du public, et je partage son émotion. Quel honneur d’avoir pu rencontrer ce grand monsieur et de l’avoir vu éclore sur grand écran.
LA NOTE: 5/5