Bolly&co Magazine

Critique de Sister Midnight (★★★★☆)

19 mai 2024
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Sister Midnight, première réalisation de Karan Kandhari, était projetée dans le cadre de la Quinzaine des Cinéastes de ce 77ème Festival de Cannes. S’il est difficile pour moi de vous en présenter le concept, je peux en tout cas vous dire qu’il s’agit pour l’instant de l’une des propositions les plus intéressantes de ce festival.

Le film est-il parfait ? Non. Mais je vous avoue avoir tout de même passé un très bon moment…



Le film possède en son sein une musicalité palpable dans sa mise en scène, qui n’est pas sans rappeler un certain Wes Anderson avec sa passion pour les plans fixes et symétriques. Mais cette direction chorégraphiée se ressent également dans la prestation de ses acteurs, et plus précisément de l’époustouflante Radhika Apte. Par ailleurs, lors de son échange avec le public jusqu’après la projection, Karan Kandhari a confirmé que son influence majeure était Buster Keaton, dont la physicalité faisait partie intégrante de son identité artistique. On retrouve incontestablement de cela dans la prestation de Radhika qui, avec très peu de dialogues, donne littéralement vie à Uma et à ses tourments. L’actrice s’essaie à un registre plus comique qui lui va à ravir, sans pour autant vraiment abandonner la noirceur des rôles qui ont fait sa gloire. Il y a en elle tout ce qui faisait le sel des comédies slapsticks des années 1930, et j’ai trouvé qu’elle avait un bagout et une intelligence de jeu semblables à ceux de Katharine Hepburn.

Ashok Pathak est aussi exaspérant qu’il n’est attachant dans le rôle de Gopal, le mari dépassé d’Uma. La formidable Chhaya Kadam, que le grand public hindi connaît pour ses prestations dans Gangubai Kathaiwadi (2022), Jhund (2022) ou plus récemment Laapataa Ladies (2024), fait de nouveau forte impression en voisine à la fois rustre et fidèle.

Karan Kandhari fait le pari de nous livrer une comédie horrifique punk et décalée, et semble avoir surtout voulu effacer tout ce qui avait été établi précédemment dans le registre du film de vampire.

Le cinéaste mélange toutes ses influences, brise les barrières entre les genres pour proposer une œuvre atypique et franchement, assez inclassable. Est-ce un film d’horreur ? Une comédie noire ? Une satire sociale ? Sûrement tout ça à la fois. L’usage de codes appartenant au genre horrifique devient presque allégorique lorsqu’il est mis en parallèle avec le début de l'œuvre, qui évoque les débuts laborieux de la vie maritale d’Uma. Cette dernière ne sait pas ce qu’on attend d’elle et se sent enfermée dans un rôle d’épouse qu’on ne lui a pas appris à tenir. On sait en tout cas qu’elle n’est pas à sa place et qu’elle ne ressemble à aucune des femmes au foyer qui l’entourent. La solitude du personnage est certes bouleversante, mais elle est surtout une partie intégrante de son identité, de fait incompatible avec toute vie de couple.

Le caractère profondément musical du film est d’autant plus marqué par les choix de bande-son du réalisateur, qui tourne littéralement le dos aux mélodies hindi pour s’enfuir du côté du blues et de chansons rock vintage.

Toutefois, j’ai regretté que Sister Midnight perde en rythme et en dynamisme dans son dernier acte. Si le métrage demeure d’une sagacité redoutable dans l’utilisation de sa caméra et dans plusieurs partis-pris esthétiques - notamment dans l’usage de stop-motion pour les animaux du récit - j’ai personnellement trouvé que le montage était plus brouillon, plus hésitant dans les 40 ultimes minutes.

En conclusion



Sister Midnight oscille assez savamment entre gore et fatalisme. Karan Kandhari livre un premier film assez remarquable de créativité, malgré une regrettable perte de souffle dans la dernière partie de sa narration. Mention spéciale à Radhika Apte, absolument phénoménale dans ce qui constitue à mes yeux l’une des prestations les plus fascinantes de sa carrière.
LA NOTE: 4/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?