Bolly&co Magazine

3 films qui disent tout de... Raj Kapoor.

6 novembre 2024
3 films qui disent tout de Raj Kapoor
Le réalisateur, c’est le chef d’orchestre. C’est l’esprit qui dirige une oeuvre et assure la collaboration des différentes équipes. Il mène les techniciens et les artistes pour arriver à transmettre une vision concluante à travers son film. Au cinéma indien, les réalisateurs se multiplient au fil des années. Leurs noms s’inscrivent dans les mémoires du public selon la portée de leur message, leur style et le résultat commercial de leurs métrages. Et si nous nous focalisions davantage sur ces génies du cinéma, que nous avons parfois tendance à oublier ? Le temps d’un article, découvrez Raj Kapoor, si vous ne le connaissez pas déjà...

— Cet article a été publié dans le numéro 19 de Bolly&Co, page 14.

Raj Kapoor, en bref.



On le surnomme le Charlie Chaplin du cinéma indien. Et si on sent dans son style de jeu une indubitable admiration pour le Kid, je trouve personnellement cette comparaison assez réductrice. Surtout quand on parle de Raj Kapoor, le réalisateur. Car ce sera ici l’objet de cet article. Raj Kapoor est un acteur démentiel qui a marqué Bollywood de son empreinte. Mais il a aussi imposé sa patte en enfilant le costume imposant de metteur en scène. Nous sommes en 1948. Le jeune Raj Kapoor, acteur depuis peu, se lance dans la réalisation à seulement 24 ans.

Il dirige Aag, qui constitue son premier film et dont il est le héros face à Nargis (qui deviendra l’une de ses partenaires de prédilection). Le réalisateur débutant bluffe déjà par la sensibilité de sa caméra, la poésie de son image. Les plans de Raj Kapoor sont puissants, ils transpirent l’émotion. Loin de nous présenter ses protagonistes en héros impénétrables, il donne à voir des personnages à fleur de peau, nuancés et imparfaits. Aussi, son style visuel est déjà évident, encore plus à l’ère du noir et blanc. Il use et abuse des fondus, des superpositions d’images pour donner de la densité à une scène. Il exploitera ce procédé durant toute sa carrière, notamment dans son film le plus ambitieux : Mera Naam Joker. Mais nous y reviendrons plus tard…

Raj affine son empreinte artistique avec ses films suivants, dans lesquels il joue à chaque fois : de Barsaat (1949) à Awaara (1951), en passant par Shree 420 (1955) et Sangam (1964). Ses métrages traitent d’amour, d’existence et d’identité. Comment vivre et aimer dans un monde duquel on se sent exclu, marginal ? C’est une question qui ponctuera toute son oeuvre, les romances évidentes servant davantage de prétexte pour aborder ses personnages avec une rare complexité, surtout pour l’époque.

Raj Kapoor s’adresse aux oubliés de la société indienne, aux parias. À l’instar de son modèle Charlie Chaplin, le cinéaste illustre des héros innocents, parfois presque simplets mais surtout profondément sincères et optimistes. Des héros heurtés par une réalité cruelle, qu’elle soit sociale, politique ou religieuse. Même dans l’apparemment plus léger Bobby, ce propos demeure, indubitablement. Raj Kapoor, c’est aussi la mélancolie, la nostalgie d’une jeunesse fougueuse, passionnée mais forcément éphémère. De ce passage au monde des adultes qui, lui, voit les différences de caste, de religion, de rang, avec la vigueur d’une jeunesse qui cherche à lutter contre un ordre établi d’une infinie tristesse.

Ces 3 films qui disent tout de lui...



Mera Naam Joker

Réalisateur, producteur et monteur
Sorti en 1970

C’est probablement son oeuvre la plus ambitieuse, la plus personnelle aussi. À l’image du Kaagaz Ke Phool de Guru Dutt, Mera Naam Joker constitue le grand film de la carrière du cinéaste, mais aussi son plus triste échec. Il a effectivement investi un budget énorme au service de ce récit de vie de plus de 4 heures : celui d’un saltimbanque façonné par l’amour qu’il a porté à trois femmes tout au long de sa vie.

Si la pellicule de Mera Naam Joker demeure très marquée par les années 1970, son message n’a quant à lui pas pris une ride. Le métrage frappe par sa pertinence et son ton très contemporain. L’énergie presque juvénile de Raj Kapoor est communicative, à la fois puissante et vulnérable. Mera Naam Joker a surtout influencé le langage cinématographique indien par la suite, exploitant ses chansons comme de véritables scènes à enjeu, et pas uniquement comme des rêveries suspendues.



Bobby

Réalisateur, producteur et monteur
Sorti en 1973

Bobby, c’est d’abord la machine à travers laquelle le cinéaste lance la carrière de son fils Rishi, âgé d’alors 21 ans. Comme le feront plus tard Rakesh Roshan (qui lancera son fils Hrithik, avec le succès qu’on connaît) ou Sunny Deol (qui lancera également son fils Karan, de façon bien moins concluante), il lui offre avec Bobby un rôle sur mesure pour faire ses preuves. Et le jeune comédien ne fait pas démentir les espoirs de son père ! Loin de jouer les brutes, Rishi incarne un jeune homme naïf, sensible et délicat, porté par ses sentiments avant tout le reste. C’est d’ailleurs le premier film dans lequel le réalisateur ne joue pas, laissant tout l’espace à son prometteur rejeton.

Et autant dire qu’il a bien fait ! Bobby est une ode à la jeunesse folle, à ce premier amour qui rompt tous les interdits. En plus de rencontrer un vif succès au box-office, le métrage deviendra incontournable.

Voir le film gratuitement sur youtube.

Prem Rog

Réalisateur et monteur
Sorti en 1982

Rishi Kapoor a 10 ans de plus. Il est toujours l’incarnation du jeune premier à Bollywood. Plus mûr, mais toujours aussi charismatique, il donne ici la réplique à la jeune Padmini Kolhapure, tout juste 17 ans. Les moyens techniques de l’époque évoluent, Raj Kapoor prend donc bien plus de liberté. La caméra est davantage en mouvement, le metteur en scène usant de travellings, de plans larges pour sublimer l’histoire de cette jeune veuve à laquelle on interdit de retomber amoureuse.

Prem Rog ose, dénonçant la pratique de la sati, les conditions des veuves indiennes tout en continuant sur le crédo du cinéaste : les relations inter-castes. Avec ce film, Raj Kapoor a fini d’imposer son identité artistique, parlant d’amour plus fort que tout, d’amour qui change le regard de la société, qui change les us et autres pratiques douteuses. Un amour qui fait grandir, qui rend meilleur.

Voir le film gratuitement sur youtube.

Le mot de la fin.



Raj Kapoor a posé la pierre de ce que le cinéma hindi deviendra. Avec Guru Dutt, Satyajit Ray ou encore Yash Chopra, ils ont été les précurseurs du paysage cinématographique indien actuel. Le propos de Guru est empli de cynisme et de désespoir, celui de Satyajit a les pieds ancrés dans le sol. Yash Chopra, c’est le cinéma du rêve, de l’onirisme. Quant à Raj Kapoor, il est pile au milieu de tout cela : attaché à l’illustration d’une certaine réalité, à la mise en avant d’une population oubliée, mais toujours avec un vif optimisme.

À travers son cinéma, il veut croire en un avenir meilleur, plus juste et tolérant. C’est par ailleurs en ce sens que le réalisateur fédérait tant : il ravissait le grand public friand de romances sirupeuses, tout en abordant de front les problématiques sociales qui le concerne.

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?