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Critique de Rhythm of Dammam, un chant vibrant pour la mémoire des Siddi...

27 avril 2025
critique The Queen Of My Dream Festival des cinémas indiens de Toulouse
Hier après-midi était projeté au Festival des Cinémas Indiens de Toulouse le film Rhythm of Dammam de Jayan Cherian, cinéaste engagé du Kerala, qui signe ici une œuvre d’une nécessité brûlante. Pour la première fois à l’écran, une fiction contemporaine se penche sur l’histoire méconnue des Siddi, communauté d’afro-descendants vivant en Inde, dont l'ascendance africaine n’a été pleinement reconnue que depuis une trentaine d'années.

Rhythm of Dammam ne se contente pas d'exposer une réalité sociale ignorée : il en fait un récit vibrant, à hauteur d'enfant, traversé par les fantômes du passé et les douleurs du présent.

Au cœur de l’histoire, Jayaram, un petit garçon siddi du Karnataka bouleversé par le décès de son grand-père, entame un dialogue intime et onirique avec l’absent. Par ce lien presque mystique, il découvre peu à peu l’héritage de sa communauté : ses racines africaines, la violence du passé esclavagiste et l’oppression contemporaine. Le film, tourné en konkani, kannada et créole siddi, épouse ainsi la richesse linguistique de ces identités multiples, et offre au spectateur un regard incarné sur ce peuple.

Loin de toute reconstitution historique classique, Jayan Cherian choisit la voie de l’onirisme et du symbolisme. A travers des séquences de rêves qui peuvent être déstabilisantes pour un public français plus habitué à des narrations formelles, le métrage traduit avec justesse la confusion, la peur et l’espoir mêlés d'une mémoire collective douloureuse. Rhythm of Dammam n’a pas vocation à être un manifeste historique ou un documentaire ethnographique. Il est avant tout une œuvre d’auteur, personnelle, éclatante d’humanité.

Le jeune Chinmaya Siddi, dans le rôle de Jayaram, impressionne par sa justesse et sa sensibilité.

Il porte tout le film sur ses épaules, devenant le témoin silencieux et obstiné des non-dits et des secrets d’une communauté meurtrie. À ses côtés, Prashanth Siddi, figure respectée du cinéma kannada, incarne son père brutal et vénal, archétype d'une autorité corrompue par la misère et la résignation. Face à lui, la touchante Girija Siddi donne corps à une mère aimante mais soumise, essayant tant bien que mal de protéger son fils des violences domestiques et sociales.

À travers le deuil du grand-père, c'est tout le poids des traumas intergénérationnels que le réalisateur met en scène : l'histoire des Siddi, descendants des Bantous d’Afrique de l’Est, arrachés à leur terre par les traites portugaises et arabes et réduits en esclavage.

Certains réussirent à fuir et trouvèrent refuge dans les forêts reculées du Karnataka, tandis que d'autres durent attendre l'abolition de la traite en 1865 pour retrouver leur liberté. Une liberté toute relative dans une société dominée par le système de caste, où les Siddi sont encore relégués tout en bas de l'échelle sociale. Rhythm of Dammam ne se contente donc pas de raconter leur oppression : il donne aussi à voir la culture vivante des Siddi, magnifiquement illustrée à travers des scènes de danse, de chants et de musiques collectives. Ces moments de liesses, poignants et sincères, viennent rappeler la puissance fédératrice d'une culture commune, qui résiste et survit malgré les tentatives répétées d'effacement.

Il faut en tout cas saluer l’humilité du projet : Jayan Cherian ne prétend pas livrer une fresque exhaustive sur les Siddi.

Il propose sa vision, instructive mais forcément limitée, en espérant que d’autres voix se lèveront pour raconter à leur tour cette histoire, ce combat et cette quête de reconnaissance. À l’issue de la séance d’hier, la doctorante Sofia Péquignot, spécialiste de l'histoire siddi, a apporté un éclairage bienvenu, soulignant l'importance d’un tel film pour briser l’invisibilisation dont souffre encore cette communauté.

Rhythm of Dammam est ainsi bien plus qu'un film : c'est un cri discret mais déterminé, une tentative nécessaire pour combler les silences de l’histoire, une œuvre éminemment engagée portée par l'innocence poignante d'un enfant et par la dignité d'un peuple en quête de reconnaissance.

LA NOTE: 4/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?