Critique de The Queen of My Dreams de Fawzia Mirza : éclats de pop culture et blessures d'héritage...
27 avril 2025

Le film suit Azra, une jeune Canadienne d’origine pakistanaise, ouverte sur sa sexualité mais en conflit constant avec sa mère conservatrice. Lorsque son père décède subitement, Azra doit retourner au Pakistan, terre d’exils et de souvenirs douloureux. Ce retour forcé est l’occasion pour elle comme pour le spectateur de découvrir la jeunesse de sa mère Mariam dans les années 1960, à travers une reconstitution nostalgique et joyeuse d’un Pakistan moderniste, rêvant d’émancipation.
La brillante Amrit Kaur, protégée de Mindy Kaling révélée par la série The Sex Lives of College Girls, incarne ici un double rôle ambitieux : celui d'Azra et de Mariam jeune.
Cet écho générationnel, porté par une performance nuancée et exigeante, illustre l’idée que nos trajectoires personnelles sont souvent le miroir déformé de celles de nos parents. Amrit Kaur navigue avec aisance entre l’anglais et l’ourdou, avec des accents émotionnels subtils, le tout dans une composition rappelant la tradition du cinéma hindi des années d'or. Les influences de Bollywood sont assumées : du style vestimentaire à la dynamique narrative, Aradhana avec Sharmila Tagore et Rajesh Khanna plane sur tout le film comme un hommage appuyé.
Face à elle, Nimra Bucha, monument de la télévision et du cinéma pakistanais, campe une Mariam adulte déchirée entre ses regrets et ses principes. Elle offre au film une profondeur bouleversante, capturant la difficulté d’aimer au sein d’une culture marquée par l'autorité et les attentes sociales. En arrière-plan se dessine aussi la figure de Gul-e-Rana en matriarche intransigeante, incarnant Amira, mère de Mariam, dont l’ombre et l'amertume pèsent lourd sur les générations suivantes.
The Queen of My Dreams ne se contente pas d’être un film sur la sexualité ou le coming out : il est plus largement un récit sur la transmission du trauma, les rêves sacrifiés et les fractures identitaires.
D'ailleurs, Azra n’est pas seulement en conflit avec sa mère à cause de son homosexualité. Elle hérite surtout d’un lourd bagage de silences, de renoncements et de blessures non dites. Le style visuel est l'une des forces majeures du film. Fawzia Mirza opte pour une esthétique pop, saturée de couleurs vives, avec des séquences oniriques et des jeux de montage dynamiques orchestrés par Simone Smith. Cette mise en scène audacieuse contraste magnifiquement avec la gravité des thèmes abordés. Le choix esthétique évoque la nostalgie douce-amère des films hindi anciens, tout en imposant un rythme moderne et nerveux, presque effervescent.
On retrouve également Hamza Haq - révélé par la série Transplant - dans le rôle du père d'Azra, Hassan, figure d’amour et de soutien, dont la disparition laisse un vide béant dans la famille et pousse Azra à affronter ses propres fantômes.
Certes, l’écriture narrative de Fawzia Mirza suit parfois des arcs narratifs assez classiques et certaines transitions émotionnelles semblent un peu abruptes, mais la sincérité et la générosité de la démarche emportent tout.
On regrette même que certains aspects du passé de Mariam et sa relation conflictuelle avec Amira ne soient pas plus approfondis, tant cette dynamique multigénérationnelle est fascinante et universelle. Car au fond, c’est cela que The Queen of My Dreams parvient à capter avec justesse : comment les rêves, les douleurs et les échecs d’une génération façonnent, souvent à leur insu, les espoirs et les révoltes de la suivante. C’est un récit d’identités plurielles, de frontières culturelles difficiles à franchir, mais aussi d’un amour que ni les incompréhensions, ni la distance, ni même la mort ne peuvent vraiment éteindre.
Déjà présenté en début d'année au Festival des Images aux Mots de Toulouse, The Queen of My Dreams est une belle réussite : un mélange irrésistible d’émotion, d’énergie et d’hommage cinéphile, porté par une mise en scène généreuse et un casting en état de grâce. Un métrage lumineux et profondément humain, qui célèbre les rêves brisés, les espoirs tenaces et la possibilité de réconciliation entre les mondes desquels nous héritons et ceux que nous choisissons de bâtir.
LA NOTE: 4/5